Elle, c'est ma grand-mère maternelle. Au décès de mon grand-père, elle est venue habiter chez nous. Elle et moi avons partagé longtemps la même chambre, ça crée des liens!
Le sapin de Noël chez nous il y a quelques années. Chaque ornement a son histoire et son souvenir qui y est rattaché. La crèche et les personnages sont tout autant significatifs.
« Je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître » comme le chante Aznavour.
Les cadeaux de ma grand-mère
Au début des années 70, on n'habitait plus à Matagami mais à Noranda. Notre si petite maison de la 10e Rue était tout le temps pleine de monde, même si nous n'étions officiellement que six à faire partie de la maisonnée : Papa, Maman, Grand-Maman, mes petits frères, Yves et Jocelyn, et moi. Nous étions devenus la maison familiale depuis que Grand-Maman habitait chez nous. Maman était l'aînée de sa famille de neuf enfants. Chacun(e) avait un(e) conjoint(e) et des enfants. Je me demande encore comment on réussissait à nourrir et héberger tout ce monde-là... Une fois, une voisine avait demandé à mes parents : « Mais où c'est que vous les couchez tous, on les voit rentrer mais on les voit pas ressortir? ». Papa avait répondu : « Ben c'est justement, ils se couchent pas, ils jouent de la musique jusqu'au petit matin! »
N'empêche que Grand-Maman, malgré son peu de moyens financiers, tenait à faire des cadeaux de Noël à tout son monde. Pour nous, ses très nombreux petits-enfants, elle tricotait toute l'année : des bas, des mitaines, des foulards, de toutes les grandeurs, de toutes les couleurs, parfois avec de la laine « détricotée », d'autres fois avec de la laine d'habitant qu'elle achetait en gros, c'était moi son assistante pour tenir les écheveaux qu'on démêlait et qu'elle roulait en pelotes, ce qui lui permettait de mesurer à l'oeil si elle en avait assez de la même couleur pour faire des grands bas ou des plus petits, ou bien s'il lui faudrait tricoter les bordures d'une couleur contrastante pour utiliser tous ses restants.
Pour ses neuf enfants et leur conjoint, elle tenait à offrir quelque chose de neuf et de bien emballé, avec pour chacun sa carte de Noël personnalisée, choisie avec soin, écrite sur les deux bords et parfois même à l'endos, de sa propre main, avec sa calligraphie de bonne soeur, surtout qu'elle avait passé proche d'en faire une, comme trois autres de ses petites soeurs religieuses de la Congrégation Notre-Dame qu'elle admirait beaucoup. Grand-Maman n'était pas avare ni de ses écrits ni de ses sentiments qui débordaient d'amour, d'admiration, de protection et de tendresse infinie pour sa très nombreuse famille. Elle passait ses journées et ses soirées à tricoter en priant pour nous autres. Combien de fois m'a-t-elle dit : « Je t'ai encore placée sous la protection de la Sainte Vierge » et moi, je lui répondais : « Encore? Vous êtes donc ben fine, je vais pouvoir traverser la rue sans regarder ben vite! ». Au fond, c'était sa manière de me dire qu'elle m'aimait et qu'elle voulait qu'il ne m'arrive rien de fâcheux. J'étais ado, j'allais à l'école secondaire, j'avais toujours deux ou trois jobs les soirs et fins de semaine et je réussissais à faire ma vie de jeunesse, croyez-moi que j'ai pas passé à côté, j'ai « jeunessé » rien qu'en masse. (Sainement quand même!...)
C'est à ce temps-ci de l'année qu'elle avait besoin de mon aide pour ses cadeaux de Noël. Vers la mi-novembre, elle vidait sa tirelire et ensemble, on roulait des 1 cent, 5 cents, 10 cents, 25 cents. On s'installait sur la table de la cuisine, avec des rouleaux de papier brun qui nous étaient donnés par les banques. On comptait deux fois pour être certaines de ne pas frauder la banque (!) nous étions honnêtes, intègres et très responsables : 50 x 1 cent, 40 x 5 cents, 50 x 10 cents et 40 x 25 cents. À la fin de la soirée, on avait pas mal de rouleaux. C'était la base de son budget pour ses cadeaux à ses enfants.
Elle m'avait demandé une année de répondre à une annonce qu'elle avait vue dans un magazine pour recevoir gratuitement et sans obligation de ma part « le catalogue Primes de luxe ». Comme elle ne voulait pas se préoccuper des formulaires à remplir et des taxes de vente à gérer, elle voulait que je demande ce catalogue à mon nom, ce qui nous donnait le prix du gros sans pour autant que je devienne vendeuse pour cette compagnie. Une semaine plus tard, je recevais le catalogue et je découvrais en même temps qu'elle tout ce qu'on pouvait commander à des prix fort raisonnables quand on considérait le prix de vente affiché dans le catalogue en comparaison du prix que je payais, moi, en tant que vendeuse. Nous en avons passé des soirées, elle et moi, à magasiner dans ce catalogue... toutes les années qui ont suivi.
Je me souviens que la première année, elle avait commandé une planche de crible pour mon oncle Hilaire et ma tante Huguette, le genre de cadeau qu'elle aimait offrir, qui pouvait faire autant pour l'homme que pour la femme. Pour mon oncle Edwin, comme il n'avait pas encore refait sa vie à cette époque, elle s'était permis de lui commander un contenant à boisson en forme d'auto. Ça va faire beau dans son salon qu'elle disait. Un ensemble de beaux verres pour ma tante Bernadette, parce qu'elle aimait le beau, et qu'elle avait déjà travaillé dans un bar, elle connaissait ça. « Pis mon oncle Claude, lui, des beaux verres, ça va tu lui faire plaisir? », elle m'avait répondu du tac au tac : « Elle a juste à lui mettre du 5 étoiles dedans pis il va aimer ça! » Deux jeux de cartes coordonnés dans une belle boîte en bois pour mon oncle Marcel et ma tante Denise et quoi encore pour mon oncle Jean-Charles, ma tante Jocelyne, mon oncle Raymond, Papa et Maman, mon oncle Yvon, le syndicaliste (clin d'oeil à Barbe Blanche!...) On était prêts à poster la commande au bout de quelques soirées de magasinage dans le catalogue, j'y joignais mon chèque libellé à l'ordre de Primes de luxe et Grand-Maman me faisait un chèque du même montant le soir même, elle n'aurait jamais voulu que je finance ses cadeaux de Noël à ses enfants.
Une dizaine de jours plus tard, on recevait la commande. Enfin, le petit carton de Postes Canada qui m'avertissait que j'avais un paquet arrivé à mon nom au bureau de poste. Quelle joie! Grand-Maman et moi, on était énervées comme des petites filles à découvrir le contenu de sa commande. On avait hâte de voir si c'était aussi beau en vrai que dans le catalogue qu'on avait usé à force d'hésiter et de le feuilleter d'un couvert à l'autre jusqu'au moment de commander.
Les soirs suivants, ô bonheur suprême, surtout si j'avais congé de mes jobs d'étudiante et que je rentrais de bonne heure, on s'installait sur la table de la cuisine et on s'étendait même jusqu'au comptoir, avec les papiers d'emballage recyclés des années passées, des bouts de ruban, des choux, des ciseaux, du ruban gommé, des restants de décos de Noël, n'importe quoi qui me tombait sous la main, je me lâchais lousse dans la créativité et l'originalité pour créer les plus beaux emballages cadeaux qui soient, encouragée par elle qui s'émerveillait de tout et de rien, pendant qu'elle choisissait et écrivait ses cartes. Grand-Maman était impressionnée de mes petites trouvailles, et moi, de ses mots tendres à ses enfants, c'était du bonbon pour nous deux de partager ces soirées-là. Préparer Noël n'avait jamais été aussi joyeux qu'avec elle dans ces années-là.
Après que tous ses cadeaux de Noël était prêts, bien emballés et les cartes toutes écrites, il nous restait à faire des dizaines de pâtés à la viande, des beignes, des gâteaux sans feu, des tartes de toutes sortes pour le grand jour où tous débarqueraient à la maison : mon oncle Marcel et mon oncle Paul avec les guitares, mon oncle Claude avec son 60 onces de « Five Star » acheté « aux lignes » et légèrement entamé, les matantes toutes belles, les éclats de rire qui fusaient jusqu'à enterrer le bruit des enfants turbulents qui couraient partout, les manteaux empilés plein le lit de mes parents, les bottes cordées pour s'égoutter dans le bain et dégager l'entrée, les deux ou trois tablées à se succéder dans la cuisine où il faisait toujours trop chaud, le four rempli sur deux étages, les 4 ronds du poêle couverts de chaudrons, avec la vaisselle sale qui n'avait pas le temps de s'empiler parce qu'on la faisait à mesure et là, là, là, là?
Mon oncle Paul commençait à réchauffer sa guitare qui reposait dans le coin à côté du sapin en attendant, ma tante Yvonne, ma tante Denise et ma tante Gertrude qui se réchauffaient la voix en débarrassant la table, quelques accords endiablés plus tard, entre les fous rires uniques de ma tante Bernadette et les histoires grivoises de mon oncle Edwin, mon oncle Marcel allait rejoindre son petit frère pour s'accorder autant que s'accordaient leurs instruments et ça partait sur l'erre d'aller qui durerait toute la nuit avec une pause pour la messe de minuit où plusieurs n'iraient pas communier parce que pas à jeun : « Non pas par la fenêtre/Ni par la porte d'entrée/Mais par la cheminée/Comme il a fait l'an dernier/Pour tous Noël vient de naître/Papa Noël est arrivé/Comme par les années passées/Il vient remplir tous nos souliers/ Oh Noël Noël Noël Noël/C'est toi que nous fêtons/Petits comme grands/Le coeur content/Joyeux nous t'attendions... »
Avec le recul, je vois bien que nous n'étions pas riches. Mais nous n'étions surtout pas pauvres, ah ça non, surtout pas pauvres. Eh qu'on n'était donc pas pauvres...