Photo 1 : C'était en fin de semaine, dans une maison où il y avait tant de peine, mais aussi tant d'amour et de solidarité, en ce matin pas comme les autres.
Photo 2 : Toujours au même endroit, mon regard a été attiré par la vie dehors... Des canards déployant leurs ailes coin coin coin/Disaient à leurs canes fidèles coin coin coin/Quand donc finiront nos tourments coin coin coin/Quand donc finiront nos tourments.
Fenêtre sur paysage intérieur
Un proverbe amérindien bien connu dit ceci : « Ne juge pas quelqu'un sans avoir d'abord marché une lune dans ses mocassins ».
Autant vous le dire bien simplement, parce que ne pas le mentionner quand ça prend toute la place équivaudrait pour moi à vous mentir par omission. Nous avons eu la douleur de perdre une nièce récemment. Un suicide. Dans la famille de Crocodile Dundee, la mienne depuis 35 ans. De l'Estrie, de la Montérégie, des Laurentides, de l'Abitibi et du Témiscamingue, c'est ce qui nous a fait tous et toutes converger vers Montréal en fin de semaine dernière, dans un élan incommensurable de solidarité familiale. Nous avions besoin d'être ensemble.
Je n'en dirai pas davantage sur ce sujet précis même si je n'ai aucun tabou en cette matière ni au sujet de la maladie mentale. Si je m'autorise à exprimer parfois ici des réflexions personnelles, l'histoire d'Annick appartient à notre famille et je veux respecter sa mémoire, ce qu'a été sa vie... et sa mort.
Étrangement, dans cette même fin de semaine, un autre événement a pris beaucoup de place dans nos vies, à Crocodile Dundee et moi, dès notre retour chez nous, dimanche soir. On avait tellement hâte de rentrer à la maison, défaire nos bagages, prendre nos messages et retourner nos appels, nous couler dans un bon bain, et enfin pouvoir dormir une nuit digne de ce nom...
Après avoir déposé chez elle Belle-Maman et l'avoir installée dans ses affaires, je reprends le volant de ma voiture, et Crocodile Dundee regarde dans le vide. Le silence respectueux et complice est parfois une autre façon de jaser... Tout à coup, rue Mercier, derrière le Théâtre du Cuivre, on aperçoit une personne par terre sur le trottoir et son petit chien blanc apeuré qui s'égosille... S'agit-il d'un homme ou d'une femme? On ne le sait pas. Quelqu'un de très mal en point en tout cas. Je range la voiture tout croche sur le côté de la rue, on accourt vers elle. C'est pas beau. Intoxiquée comme c'est pas possible, alcool, drogues, médicaments, elle me le confirmera plus tard. On se comprend d'un geste, d'un regard, d'une mimique, il faut agir délicatement, c'est pas d'hier qu'on fait équipe, lui et moi. Mais là...
Pendant qu'il la soulève avec précaution pour voir l'étendue des blessures et qu'il réussit à la maintenir un peu en position assise, je réquisitionne un cellulaire chez des jeunes qui s'amusent pas loin et qui n'avaient rien vu. Elle ne veut pas qu'on appelle le 911. Elle nous supplie. Elle insiste. Elle pleure dans son délire. Je refile le téléphone cellulaire discrètement à Crocodile Dundee qui s'éloigne de sa vue à elle, pas de la mienne. Nous restons en contact visuel... et auditif. Lui répond aux questions et suit les consignes. Il sera en communication avec eux jusqu'à ce que l'ambulance arrive.
Moi, je reste avec elle, l'accompagne, lui parle pour la rassurer, l'écoute, lui pose une question de temps en temps, quand je sens que je peux le faire, je soutiens son regard, essuie ses larmes avec mes pouces dans son visage, tout en surveillant du coin de l'oeil Crocodile Dundee à qui je fournis des informations dont il a besoin et qui comprend mon langage non verbal. Elle, je lui prends les genoux, les épaules, les mains, je tente de la sécuriser, de l'entourer. J'aurais voulu la prendre dans mes bras mais je lui aurais fait peur peut-être. Son petit chien blanc veillait sur elle, il a cessé de japper, il a compris que moi aussi je veillais sur elle...
Elle n'a jamais lâché la laisse de son petit compagnon tout affolé qu'elle tenait à deux mains même dans sa grande détresse, son délire, sa faiblesse... « C'est tout ce que j'ai... Je veux l'amener avec moi... où tu penses... dans le grand corridor noir... je veux pas survivre à ça... j'étais pas supposée de survivre à ça... je veux pas aller à l'hôpital... ils veulent pas mon chien... »
Des minutes si longues avant que l'ambulance arrive. Il me semble... Une petite équipe bien rodée est débarquée, ils avaient l'air de bien connaître la personne dont j'ai pu communiquer le nom à Crocodile Dundee pendant qu'il parlait avec le 911. J'ai donné les informations essentielles à celui qui me semblait le responsable. Il m'a confirmé qu'on ne lui laisserait pas son chien, que la police s'en venait expressément pour cette raison. Ils nous ont fait comprendre qu'on devait partir pour les laisser effectuer leur travail.
Je sais qu'on a fait tous les deux ce qu'il fallait avec efficacité et compassion. Une fois dans l'auto, nos nerfs ont un peu lâché, on tremblait, on se demandait comment on avait fait, on s'est trouvé des forces qu'on n'avait même plus en pensant à notre nièce qu'on venait d'enterrer. Je n'ai pas pu dormir avant 4 heures du matin. Ces images s'étaient imprimées avec tant de force... La détresse dans ses yeux, son regard suppliant, son détachement de cette vie qui n'en est plus une, tout en elle crie à l'aide mais en même temps, elle nous supplie de ne pas la sauver. Et pourtant, on la sauve. Malgré nous. Elle va devoir recommencer, trouver une autre fois la force de le faire. Je l'ai vu dans ses yeux. Elle était déjà dans le grand corridor noir...
J'ai pris conscience en fin de semaine que la maladie mentale, c'est comme un cancer. La plupart y survivent, ils sont diagnostiqués tôt, ils reçoivent les traitements qui s'imposent au bon moment et sont bien entourés. Beaucoup en guérissent. D'autres connaissent une longue rémission. Ça donne de l'espoir. Mais quelques-uns arrivent après un long combat à la phase terminale, après s'être battus un peu, beaucoup, passionnément, à la folie. La maladie mentale, comme le cancer, peut s'avérer fatale. La mort survient alors comme la seule fin possible des souffrances, une délivrance, une libération.
Je ne juge personne. Qui suis-je pour juger de ce que je ne connais pas ou même de ce que je connais ou pense connaître? La vie m'a appris ça et me le rappelle sans cesse au cas où je l'oublierais. Et par un concours de circonstances incroyables comme je n'arrête pas d'en vivre, je me suis trouvée à hériter des « mocassins » d'Annick, des espadrilles New Balance à ma pointure, et dont personne ne voulait. Je les porte depuis ce matin et j'ai l'intention de les porter pour plusieurs lunes. Pour m'imprégner d'elle, de son énergie de battante, de son amour de la vie quand c'en est une, quoiqu'on en dise, quoiqu'on puisse en penser.
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Kassandra Lebelle continue de sévir et elle se porte toujours à merveille. Ce sont les autres autour d'elle qui ont des problèmes. Pas elle. Pas le moins du monde. Va-t-elle réussir son stage? Si vous avez une opinion là-dessus, il y a un sondage qui vous permet de vous exprimer.
L'épisode 5 est en ligne depuis ce matin.