mardi 29 mai 2012

N'est pas dragon qui veut




Photo 1 : Un tétras mâle (communément appelé perdrix) ne sait pas encore que je l'observe.

Photo 2 : Il vient de s'en apercevoir, il se tourne pour me présenter son meilleur profil.

Photo 3 : Là, il pense de m'impressionner! 

N'est pas dragon qui veut

Je ne regarde pas beaucoup la télé mais depuis quelques semaines, il y a une émission diffusée les lundis soir, à 20 heures, à Radio-Canada : Dans l'oeil des dragons, ou quelque chose du genre. Je n'arrive jamais à l'écouter au complet, je suis toujours dérangée pendant cette heure-là, on dirait que ça le fait exprès, et  je m'en suis fait une idée sans toutefois pouvoir la défendre mais cette émission me fascine. Cinq dragons, quatre hommes et une femme, sont des gens d'affaires qui reçoivent, jaugent et jugent des propositions d'investissement présentées par de jeunes entrepreneurs qui cherchent à les convaincre d'embarquer avec eux dans leur entreprise, à différents pourcentages. Ils recherchent du financement, de nouveaux marchés, de la publicité, du mentorat de toute nature. Fascinant! Et formateur. À tout point de vue.

Les dragons ont la réputation d'être durs en affaires. L'émission est conçue et montée pour qu'on pense ça aussi. C'est assez réaliste. Ça se passerait pas mal comme ça dans la réalité, mais on ne verrait pas tout et ça nous prendrait plus de temps à comprendre quelles sont les motivations, les questionnements, les inquiétudes, les points favorables et défavorables qui font que certains se vendent mieux que d'autres et que le principal capital d'une entreprise, c'est d'abord et avant tout l'entrepreneur lui-même.

Autrement dit, les gagnants, dans cette émission comme dans la vie, sont ceux et celles qui savent se vendre. Mauvais exemple à suivre : mon tétras. À partir du moment où il était conscient d'être en représentation, il ne me montrait pas le meilleur côté de lui mais plutôt ce qu'il croyait comme étant le meilleur de lui. Erreur de bébé lala très courante. Nous autres aussi, les humains, on fait souvent cette erreur.

Anecdote : Ce matin, à 8 heures, le téléphone sonne chez nous. Au bout du fil, une voix féminine s'adresse à moi sans se nommer, elle m'appelle par le nom de mon entreprise et pas mon nom, elle me demande si je fais de la traduction. Elle a vu mon site internet, où il n'est question nulle part de traduction, et comme je le fais souvent quand je refuse un mandat, je lui donne des noms d'entreprises où elle pourrait trouver ce qu'elle cherche. C'est là qu'elle m'arrête et me dit qu'elle se cherche du travail pour l'été, qu'elle est en études anglaises. En voilà une autre qui ressemble à mon tétras...

Si j'avais été un dragon, je lui aurais donné ces quelques conseils :

- Quand tu te cherches un travail, même un travail d'été, tu n'appelles pas chez les gens à 8 heures du matin.

- Tu commences par t'identifier quand tu téléphones quelque part. Ensuite, tu poses tes questions.

- Quand tu veux un travail dans une entreprise, tu devrais au moins savoir dans quel domaine cette entreprise offre ses services.

Je ne crois pas que cette fille trouvera un travail d'été dans son domaine. Je lui ai quand même souhaité bonne chance, elle en aura bien besoin. Dans son attitude, juste au téléphone, je n'aurais pas eu envie de l'embaucher, même si j'avais eu un poste à combler, ce qui n'est pas mon cas, je suis travailleuse autonome. Mais j'aurais peut-être pu la référer ailleurs, ce que j'ai fait souvent quand je pouvais jumeler une chercheuse d'emploi avec une entreprise qui cherchait à combler un poste. 

On dit souvent que le monde des affaires est impitoyable. Moi, je trouve pas. Pour avoir côtoyé cet univers, et en faire encore un petit peu partie, je peux témoigner qu'il s'y pose beaucoup de gestes gratuits, qu'on y trouve souvent de la passion, de l'entraide, des alliances, des collaborations et des échanges de bons procédés. Sauf que ces gens s'en tiennent aux faits établis, pas aux idées bien exprimées. Ils n'agissent pas dans le but de se faire aimer mais de faire de l'argent. Ce qui ne les empêche pas, dans leur vie personnelle, de vouloir se faire aimer comme tout le monde. C'est clair. Et même transparent. Honnête, je dirais. Moi, j'aime ça de même.

À mon premier emploi comme étudiante, c'était à ce temps-ci de l'année, j'avais presque 15 ans, disons un gros 14, et j'étais tellement fière qu'on me fasse confiance, si jeune, pour commencer à travailler derrière le comptoir chez Lou's Tobacco Shop.  C'était comme de jouer au magasin, avec plein de choses à vendre, des clients faciles à satisfaire, une reconnaissance immédiate, une caisse enregistreuse qui faisait dring dring et merci beaucoup, à la prochaine! Je n'étais pas bilingue mais je me débrouillais en anglais et je voulais tellement apprendre, d'autant plus que le salaire minimum à 1,55 $ l'heure me semblait comme trop beau pour être vrai. Encouragée par mes petits succès, j'avais accepté aussi de travailler au Noranda Bakery et je continuais toujours d'aller garder chez le voisinage chaque fois qu'on me le demandait, j'adorais les enfants, les clients, le monde, et cette impression d'avoir de l'argent plein mes poches!

Aujourd'hui, j'ai un gros 54 ans. Ça fait 40 ans que je suis sur le marché du travail. C'est pour ça que des fois, je suis fatiguée, à bout de souffle et de motivation. Je n'ai plus l'impression d'avoir de l'argent plein mes poches, ça, c'est ce qui est parti en premier! Je commence à regarder en arrière et faire des bilans, c'est plus fort que moi. J'ai tellement appris tout au long de ces 40 ans qu'il me semble que j'en sais trop!

Si j'étais un dragon, je n'investirais pas 5 cennes dans une entreprise comme la mienne. Et j'aurais tellement de bons conseils à me donner!

Hier soir, je disais à Crocodile Dundee : « Qu'est-ce que ça m'a donné, à part de rendre service à tous les achalants du monde,  de savoir rédiger et de voir les fautes dans le journal, les magazines et les bouquins que je lis? » ce à quoi il m'a répondu avec son aplomb habituel : « À gagner ta vie! ». N'empêche que je demeure convaincue que j'aurais pu la gagner beaucoup plus facilement et dans le plaisir surtout, derrière un comptoir où je serais devenue bilingue avec le temps, en ayant la satisfaction de rendre le monde plus heureux, en jouant au magasin avec une vraie caisse qui fait dring dring et des enfants qui hésitent en faisant des calculs savants derrière la vitrine des bonbons à la cenne. Avec de l'argent plein mes poches! En 40 ans sur le marché du travail, je pense que j'ai régressé. Je suis vraiment pas un dragon...

jeudi 24 mai 2012

Consolation






Photo 1 : Une étoile est née! Dimanche dernier, après souper, entre la berçante et le poêle à bois. Elle n'interprète que ses propres chansons, paroles et musique. Chorégraphie et mise en scène. Production et réalisation. Une artiste multidisciplinaire!

Photo 2 : Quand on a une robe qui tourne, il est primordial de la faire tourner beaucoup beaucoup.

Photo 3 : Comme dans tout bon spectacle, celui-là comportait des moments tendres.

Photo 4 : Le spectacle terminé, l'artiste a tout donné, le public est conquis, ça applaudit à tout rompre.

Photo 5 : Hors de la scène, l'artiste demeure très accessible et trouve son inspiration dans la nature.

Consolation

La crise sociale qu'on vit au Québec présentement n'en finit plus de prendre tellement trop de place dans nos médias et dans nos vies. J'ai mes opinions, mes convictions et  ça ne vous étonnera pas que je vous dise que je penche toujours du côté de notre jeunesse, que je reste ouverte aux compromis, mais que j'admirerai jusqu'à la fin ceux qui se lèvent debout pour ce en quoi ils croient, dont nos libertés.

J'observe depuis le début comment notre société québécoise se comporte, les partis politiques, leurs stratégies, et les médias, comment ils traitent l'information, les factions étudiantes, leur mobilisation sans précédent, et dans tout ça, l'opinion publique qu'on manipule si facilement, la polarisation des positions et des débats, l'évolution (le terme est très mal choisi, je l'admets) de toute cette crise. 

Au moins, me disais-je, si on se déchire la chemise entre gens d'une même famille ou d'un même groupe, il se passe quelque chose d'encourageant : on est en train de se réveiller, de prendre conscience de nos forces, de nos richesses, se les approprier et les défendre, de comprendre comment ça marche, de réaliser le pouvoir qu'on a quand on se tient,  qu'on rallie du monde autour des valeurs qui nous sont chères. 

Ce que je voyais et que j'entendais autour de moi depuis le début me laissait croire que les médias et les sondages se faisaient complices lorsqu'ils affirmaient que la population du Québec approuvait la loi 78, la position du gouvernement qui fait la sourde oreille devant les revendications des étudiants et toutes sortes de balivernes que je classais parmi les exagérations mises de l'avant par ceux qui y gagnaient quelque chose.

Je m'étais trompée royalement. Autour de moi, j'avais beau écouter tout le monde, lire tout ce que je pouvais, m'abreuver à plusieurs sources, mon « autour de moi » n'était pas du tout représentatif de la réalité.

Je l'ai constaté hier avant-midi à mon grand désarroi, lors d'une petite réunion impromptue de quelques personnes dans la balançoire chez ma mère, au soleil, en prenant un jus d'orange et des nouvelles de tout un chacun.  Il faut dire que j'étais la plus jeune du groupe, mais en principe, ça ne devait pas changer la donne tant que ça.  Tous ceux qui étaient là avaient des enfants et des petits-enfants.

En un peu plus d'une heure, je n'ai jamais entendu autant de réactions vives, émotives, impulsives, déchaînées, mensongères, accusatrices, martelées violemment et sans aucune écoute pour une autre opinion, un peu d'ouverture, de réflexion, d'analyse, un jugement éclairé, critique et nuancé. Non, j'assistais en direct à une démonstration de la plus pure démagogie. Je n'ai pas pu placer un mot, ou rétablir quelques faits, d'abord, ils ne s'écoutaient même pas entre eux, et ensuite, je ne savais pas par où commencer, j'étais tellement sous le choc. Ils méprisaient leurs propres petits-enfants!

On a probablement pensé qu'on m'avait convaincue et que j'étais de leur bord. Non. Je pensais seulement qu'il ne valait pas la peine d'en discuter, le contexte ne s'y prêtait pas, je me serais épuisée davantage que je l'étais déjà. Mais je ne serai jamais du bord de la la peur, de la haine ou du mépris. Jamais. Si l'on ne s'est pas aperçu de ça dans mon non verbal, c'est qu'on ne considère pas le minimum de base de tout ce que je suis, qu'on ne me reconnaît pas comme une personne valable.  Je l'ai pris personnel. Refuser d'écouter, c'est mépriser. C'est ça que les étudiants arborant le carré rouge ressentent au Québec depuis 102 jours.
Je suis partie de là le coeur en miettes. J'étais déçue et heurtée mais j'étais devenue réaliste, ayant perdu beaucoup d'illusions. Ça s'est fait dans le plus grand des silences pour ma part. Dorénavant, quand je lirai ou que j'entendrai que le gouvernement Charest, en agissant comme il le fait à propos de la crise actuelle, du Plan Nord, de la corruption, de l'exploitation de nos richesses, de l'environnement, la santé, l'éducation ou de tout autre sujet d'importance, je saurai qu'il continue de marquer des points auprès d'une grande partie de la population (celle qui se garroche pour aller voter) qui considère qu'il « met ses culottes » et gouverne le Québec comme le plus grand nombre le veut. 

Nos médias ne parlent que de ça. Ils négligent tout le reste.

Saviez-vous que la forêt brûle ici? Oui oui, notre belle forêt boréale s'en va en fumée ces jours-ci. Plus de 30 feux de forêt rien qu'en Abitibi-Témiscamingue, et encore plus dans le Nord-Est ontarien, juste à côté, qui prennent de l'ampleur à cause des forts vents et des conditions climatiques de sécheresse qui sévissent. À l'est de Senneterre, un seul de ces feux, hors de contrôle, a déjà brûlé 17 000 hectares. Les pompiers forestiers de la Sopfeu sont débordés, ils ont besoin de l'aide de leurs collègues de l'Ontario, du Maine (aux États-Unis) et de tous ceux qui peuvent prêter des avions CL-415, du matériel et du personnel qualifié.

Saviez-vous qu'on vend aux plus offrants les richesses de votre sous-sol, oui oui, votre sous-sol qui contient de l'or et des métaux précieux? Ça se passe au nord du 48e parallèle, sur la Côte-Nord, en Abitibi-Témiscamingue surtout, et dans le Nord-du-Québec. Qu'est-ce qu'on fait de nos îles, celles d'Anticosti et les Iles de la Madeleine, entre autres, qui renferment sur leurs côtes des richesses gazières et pétrolières? Et le gaz de shiste dont l'exploitation pas tout à fait au point pourrait mettre en péril des régions entières, en Montérégie et autour du fleuve St-Laurent?
Vous ne le saviez pas, hein? Non, depuis deux mois, on nous présente aux 5 minutes les moindres mouvements de foule au coin des rues Berri et Sainte-Catherine, ou quelques rues plus loin, les arrestations qui se multiplient, les manifestations illégales, nocturnes, quotidiennes, et s'il y a une petite madame qui braille quand on l'embarque dans un char de police, on va nous présenter ça ad nauseam jusqu'à ce que vous pleuriez avec elle à force qu'elle vous est devenue intime et familière.  Ça aussi, ça me choque.

Ce qu'on présente du Québec, ce sont toujours les mêmes faces, les mêmes ponts, les mêmes réalités urbaines, les mêmes coins de rue, les mêmes voyous, comme si tout le reste n'existait pas. Le grand Néant savamment orchestré. Comment peut-on s'approprier notre pays, nos ressources, nos richesses et notre territoire quand on ne sait pas ce qu'on a, qu'on ne le voit jamais, qu'on en entend jamais parler autrement que dans le contexte tordu du « Plan Nord » qu'on nous vend à n'importe quel prix. Poser la question, c'est y répondre et de là, cette facilité de nos dirigeants de les vendre aux plus offrants dans notre dos sans qu'on le sache. Bébé fafa comme tout, le territoire est abstrait, il n'existe pas, personne ne s'y intéresse de toute façon.

C'est vrai que je suis une mamie complètement gaga de ma petite-fille. C'est pas original. Quand je la vois grandir et s'épanouir comme enfant, je m'inquiète de la société que je lui laisse, cette société québécoise inconsciente de tant de choses importantes et par le fait même complice des réseaux d'information continue qui forment (et surtout déforment) l'opinion publique. Une société qui achète tout et n'importe quoi, à partir du moment où c'est vendu par une grosse machine bien organisée, des stratégies de communication formidablement huilées qui continuent de faire la job.

Elle est trop petite, la  Félixou, pour  qu'on lui explique la loi 78, cette entrave dangereuse à nos libertés, nos droits, à notre démocratie. D'autres, beaucoup d'autres, supposément adultes et plus informés qu'elle ne le réalisent même pas, se désintéressent de l'essentiel de ce pays, s'insurgent contre  les luttes sociales de leurs petits-enfants et les traitent de tous les noms, approuvent l'humiliation et applaudissent, au contraire, ce gouvernement-là  qui « met ses culottes » en écrasant tout espoir chez « les enfants rois qui font du trouble » et qui se mobilisent pour quelque chose qui leur tient à coeur. 

Alors, quand je la vois danser, chanter et composer des chansons qui parlent d'amour, de lièvres, d'oiseaux, de castors, de fleurs, de robes qui tournent, des papas, des mamans, des papis, des mamies, des amies de la garderie, du lac et des poissons, ça me console un peu qu'il lui reste encore de belles années d'innocence devant elle.

mardi 15 mai 2012

L'éloge de la lenteur





Photo 1 : Félixe pense que c'est le même lièvre que l'année dernière mais nous autres, on n'est pas sûrs de ça du tout!

Photo 2 : Les castors ont dammé plus haut, il nous a fallu construire un plus gros pont pour traverser. J'aime l'allégorie de « construire un pont... en famille »!!!

Photo 3 : Depuis longtemps qu'Isabelle s'était acheté un yukulélé mais elle n'avait jamais le temps d'en jouer. Samedi, en prenant l'apéro, elle nous a joué et chanté Somewhere over the rainbow sur un rythme joyeux. Félixe a voulu imiter sa Maman, on voit que de tenir un instrument de musique et d'en jouer, ça ne semble pas lui être étranger. Il faut dire que l'instrument est tout à fait de la bonne grandeur pour elle.

Photo 4 : Des hamburgers laitue tomates et des épis de blé d'Inde au menu du souper. À partir du moment où l'on ouvre une bonne bouteille de rouge, moi, je considère que ça devient un souper gastronomique!

L'éloge de la lenteur

Je n'avais pas le goût d'écrire depuis le 26 avril, je m'en sentais incapable et j'ai suivi cet élan ou ce manque d'élan. Je crois avoir battu mon record de silence en plus de 5 ans. Trop de choses à vivre, à démêler et à penser... Ce matin, je m'oblige à faire un genre de lien avec mon billet précédent pour poursuivre dans la continuité. Je n'y arrive pas. Enfin, c'est flou un peu mais deux chemins se dessinent à la suite du décès de mon amie Diane et ça me tente de les suivre.

La première réflexion que j'ai faite a été la plus douloureuse : de constater jusqu'à quel point depuis que Diane n'est plus là, cette photo qui nous liait représente  une époque révolue. Morte avec elle, dans ce dernier fou rire qui continue de m'habiter et qui comble peu à peu le vide. J'avais eu l'intuition d'apporter cette photo avec moi lors de ce moment et j'en saisis maintenant un peu mieux la portée dans ma vie, la raison profonde. Il n'y a qu'avec ceux qui restent qu'on peut se consoler de ceux qui partent. Tout le monde sait ça mais moi, je viens de l'intégrer. Des fois, ça me prend du temps. J'ai intérêt à faire l'éloge de la lenteur parce que c'est le rythme qui me convient le mieux et ça se confirme de plus en plus!

Heureusement pour moi, mes proches partagent cette façon de voir. Dans cet esprit-là, la fin de semaine dernière, on s'était fait le cadeau de passer du temps ensemble, tous les cinq. Pour bloquer 3 jours dans nos 5 agendas,  disons plutôt 4 agendas, il fallait le vouloir fort fort fort! Mais la vie étant ce qu'elle est, notre séjour là-bas a été amputé d'un journée au début et une autre à la fin. Alors on s'est concentré sur ce qui nous restait : 24 heures. C'est fou tout ce qu'on peut vivre en 24 heures. Même construire un pont... 

Le deuxième chemin que je veux suivre n'est pas du tout un jugement critique mais une simple observation de comment les choses se passent autour de la mort. La mort sur les réseaux sociaux, je devrais plutôt préciser.

À l'approche du décès de Diane, on m'avait comme un peu mandatée pour aviser les amis(es) quand ça se produirait. Quelques-uns m'avaient lue ici mais je ne pouvais pas compter là-dessus. D'autres la savaient très malade et s'attendaient à ça mais on convient tous que ça surprend tout le temps quand même. Quand j'ai reçu l'appel de sa famille pour me dire qu'elle venait de rendre l'âme, je n'avais pas les numéros de téléphone de tout le monde et j'ai utilisé les réseaux que j'avais à ma disposition, dont Facebook. J'ai publié notre photo de secondaire IV sur mon mur et sur le sien, avec la mention : « Pour se rappeler le bonheur de nos amitiés ». Ceux qui devaient comprendre ont compris. Dans son réseau et dans le mien. Je trouvais ça moins choquant et plus respectueux ainsi. Ceux qui n'étaient pas au courant de la situation pouvaient penser que je publiais une photo de 1973 pour qu'on se rappelle tout simplement de bons souvenirs de nos amitiés d'alors.

Depuis, il y a eu 2 autres décès qui ont touché de très près des gens que j'aime et qui ont beaucoup de peine. La nouvelle de ces deux décès s'est répandue sur Facebook et sûrement d'autres réseaux sociaux également. À la vitesse de l'éclair. Phénomène moderne. Que je questionne.  

Le premier cas, c'est celui d'un jeune homme qui vient de perdre son grand-père. Quelques minutes plus tard, il annonce : « RIP Grand'Pa, j't'aime ». C'est de même que le monde l'ont su, des proches et des moins proches qui connaissaient très bien son grand-père. Deux des amis du jeune homme en deuil, pour lui signifier qu'ils venaient de prendre connaissance de la nouvelle, ont cliqué sur « j'aime ». Rien que ça. « J'aime » avec le petit dessin du pouce en l'air... C'est un peu indécent. Cheap shot! J'ai senti l'urgence de lui faire un p'tit coeur, lui offrir un câlin, je pouvais juste pas laisser ça de même. Et j'ai pas cliqué sur « J'aime », surtout pas. Par la suite, de nombreux commentaires se sont ajoutés, chacun exprimait sa souffrance personnelle en direct. Mais pas d'empathie. Ou très peu. L'expression simplissime d'un choc à l'annonce d'un décès. Un accusé réception. Point. Tu lis ça, tu cliques sur le ti pouce en l'air, tu fesses sur « enter », et tu passes à autre chose. C'est de même. Action? Réaction!

Le deuxième cas est encore plus triste. Il s'agit du décès d'un jeune homme, beaucoup trop jeune pour être foudroyé par une crise de coeur, à 31 ans. Une affaire imprévisible et inexpliquable. La nouvelle a été annoncée en grande primeur sur Facebook, c'est comme ça que je l'ai appris moi-même, et j'ai observé sans intervenir comment cette nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre, avec tout ce que ça comporte de révolte, d'émotions non contenues, de détresse et de questionnements sans réponse.  Une véritable crise vécue encore là en direct, dans l'impulsivité, l'instantanéité et la solitude dans la foule que génèrent trop souvent encore les réseaux sociaux qui sont des médias très puissants. 

Imaginez ce scénario : Vous êtes seul, il est très tard, vous n'arrivez pas à dormir. Pour chasser vos pensées d'insomniaque, vous ouvrez l'ordinateur et vous décidez d'aller faire un tour pour vous mettre à jour dans le fil des nouvelles sur les réseaux que vous fréquentez. C'est là que vous apprenez que votre grand ami vient d'être foudroyé par une crise de coeur, si jeune, laissant dans le deuil sa conjointe et deux petites puces de 5 ans et 3 ans. Vous êtes seul devant votre écran d'ordinateur, en pleine nuit, avec ce choc qui vous paralyse, cette peine immense qui vous submerge. Il n'y a personne avec qui partager la douleur que ça vous cause, les souvenirs qui vous reviennent avec force. Il est 2 heures du matin, vous êtes en communication avec le monde entier mais vous n'avez jamais été aussi seul.  

Il y a 10 ans à peine, ça ne se serait pas passé ainsi. On aurait attendu le lendemain matin, on vous aurait téléphoné. Un ami commun, probablement. Quelqu'un qui l'aimait autant que vous, sûrement. On vous aurait peut-être préparé au choc, avec un ton de voix qui vous aurait prévenu instinctivement qu'il se passait quelque chose de grave, en vous disant quelque chose comme « J'ai une nouvelle à t'annoncer, je n'arrive pas à le croire moi non plus, c'est au sujet de notre ami Untel, est-ce que je peux venir te voir ou si tu préfères que je te le dise tout de suite au téléphone? » et vous auriez été au moins deux pour vivre ça ensemble. 

Encore une fois, je ne veux pas porter de jugement critique sur cette façon de faire très moderne et efficace mais je continue de prôner davantage l'éloge de la lenteur que l'instantanéité de la nouvelle, l'efficacité des communications.