lundi 26 mars 2007

La confiance, c'est toujours un cadeau...

J'ai pris cette photo samedi dernier, à notre camp, où nous passons toujours de si beaux moments. Je vous présente mon bras droit, en fait, plutôt, celui de mon amoureux qui donnait à manger aux pies qui viennent inmanquablement nous accueillir quand on arrive, trop heureuses d'avoir un repas gratuit et différent de ce qu'elles trouvent d'habitude en forêt. Avec nous, elles se sentent en confiance...

Et dimanche, je continuais de m'acharner dans le sablage de ma vieille chaise pendant qu'à la radio, j'écoutais quelqu'un raconter qu'en France, comme au Québec, les biographies familiales connaissent un engouement sans précédent depuis quelques années. Même qu'au Québec, une maison d'édition s'est spécialisée en ce domaine. Ça m'a ramenée en arrière de plusieurs années, au temps où j'étais une écrivain public et que je gagnais ma vie à écrire toutes sortes de choses pour le compte de mes clients, des particuliers comme des petites entreprises. Le plus beau métier du monde, c'est celui d'écrivain public, je le redis, et ça m'a permis de vivre des expériences humaines dont la richesse compensait largement le chiche salaire que j'en retirais.

J'offrais déjà ce service, unique à ce moment-là, de faire ce que j'appelais des biographies en édition limitée, c'est-à-dire qu'auprès de la personne qui le désirait, je me faisais pour quelque temps biographe, en étant complètement à son écoute pour réaliser son projet de transmettre à ses proches le livre qui racontait sa vie mais qui révélait surtout la personne qu'elle était et ce qu'elle voulait léguer comme héritage humain. J'entrais alors dans un univers qui n'était pas le mien et avec beaucoup d'humilité, je m'effaçais complètement pour laisser toute la place à cette personne, en réalisant les entrevues, la recherche, la coordination et tout le reste, jusqu'au produit final, assez souvent livré en une cinquantaine d'exemplaires. J'en ai réalisé 7 de ces biographies en édition limitée pendant ces trois années, de 1993 à 1996.

Il me fallait établir d'abord avec mon sujet une relation de confiance absolue, toute intime et chaque fois, quand le miracle se produisait, je recevais ça comme un cadeau inestimable. On me racontait des choses profondes, authentiques, merveilleuses, douloureuses, des secrets de famille aussi, bref, le testament spirituel d'une vie et moi, je devais choisir ou taire, mettre un peu en sourdine des moments, tricoter de la fine dentelle autour de certains faits pour ne froisser personne, embellir juste ce qu'il faut pour donner de la valeur aux confidences et bien d'autres subtilités qui avaient pour but de sublimer une vie bien ordinaire vécue par une personne extraordinaire qui se donnait sans compter à ceux qu'elle aimait, de la manière qu'elle souhaitait, dans cet ultime héritage écrit.

Je procédais toujours différemment puisque je m'adaptais à chaque personne mais il y avait des constantes : avant chaque rencontre, je me concentrais sur la personne en réécoutant l'intégrale de l'enregistrement de l'entrevue précédente. Presque du recueillement! Puis, la rencontre commençait tout doucement, sans le dictaphone d'abord, alors qu'on choisissait ensemble des photos, lettres, documents de toutes sortes et là, on glissait lentement vers les souvenirs racontés, ponctués de mes questions, reformulations ou demandes de précision. Ils ne se rendaient jamais compte du moment où j'appuyais sur le bouton de mise en marche. La fin de la période des rencontres représentait toujours pour moi un deuil et je me consolais en travaillant à mettre de l'ordre dans les mots, phrases, faits, souvenirs, événements, chapitres, recoupant, peaufinant, élaguant, regroupant, cherchant à mettre en valeur cette personne à laquelle je m'étais réellement attachée. Quand je soumettais à cette personne le produit final, dans sa version originale, pour approbation, c'était toujours extrêmement émouvant. La plupart du temps, on n'y changeait rien, même pas une virgule ou alors, si peu, pour être tout à fait certain de livrer le meilleur et la vérité. Commençait ensuite mon vrai deuil, puisque le reste du travail était plutôt sans âme, comme d'assurer l'impression, la reprographie, le montage, la vérification méticuleuse des annexes, etc., jusqu'à ce que j'aille finalement remettre à cette personne le nombre d'exemplaires qu'elle voulait offrir à son entourage.

Je ne signais jamais ces biographies, comme tous les autres documents que produisent les écrivains publics d'ailleurs, mais les membres des familles et les proches de mes sujets savaient bien qui était cette écrivain public qui se substituait à leur mère, grand-mère et je suis toujours touchée lorsqu'on me manifeste de la reconnaissance pour cela, même des années plus tard. J'ai connu de cette manière des êtres exceptionnels, je les ai aimés autant qu'ils m'ont fait confiance, soit d'une manière absolue. Oui, j'ai été en lien très intime avec eux et j'ai parfois reçu des gestes et des mots d'amour qu'ils n'avaient même jamais partagés avec leurs propres enfants.

Je me souviens d'un couple qui célébrait 50 ans de mariage. Pour la circonstance, leurs enfants avaient voulu que je fasse leur biographie, donc, leur histoire de famille à travers leur vie de couple. Ce n'était pas courant que le client et le sujet soient deux personnes différentes. Il me fallait donc convaincre ces deux personnes, mon sujet, et j'y suis arrivée sur la pointe des pieds. Ah, un couple simple et charmant, discret, assez âgé, qui s'aimait si profondément et depuis longtemps. Lors de notre deuxième rencontre, en cherchant une lettre d'amour qu'il lui avait jadis écrite, elle est tombée sur la chanson qu'elle avait chantée à leur mariage. Je lui ai demandé si elle s'en souvenait encore, si elle voulait me la chanter... Elle est devenue émue un peu, c'est sûr, alors que lui ne disait plus un mot, avait déjà la gorge nouée par l'émotion mais la regardait avec tellement d'espoir. Alors, en dépliant sa feuille jaunie, de sa voix tellement douce, un peu chevrotante au début, elle s'est mise à fredonner la mélodie d'abord, puis sa voix s'est élevée avec une telle pureté, avec puissance... qu'il pleurait à chaudes larmes dans mes bras pendant qu'elle me souriait en chantant avec tellement de tendresse... pour lui. Ce jour-là, il y a eu de la magie dans nos confidences pendant toute la matinée, j'avais récolté au moins 90 minutes d'entrevue de ce qui allait devenir le coeur de cette biographie, le moment où ils m'ont révélé combien ils aimaient l'autre et pourquoi, la force de la vie, l'amour, pour leurs enfants et petits-enfants, en ayant pour chacun d'eux des fiertés, des tendresses et des espoirs de bonheur.

Aujourd'hui, ce monsieur est décédé mais sa dame vit toujours. Elle me dit qu'elle relit souvent leur biographie, qu'elle a l'impression chaque fois de revivre nos rencontres de ce temps-là, de le retrouver un peu à ses côtés et elle me prend à témoin pour se remémorer les bouts qui ne sont pas écrits. Quand elle m'en parle, on se sourit avec une grande tendresse, parce qu'on sait bien, l'une comme l'autre, qu'on a vécu quelque chose de très particulier et que j'ai été un témoin privilégié de l'amour infini qu'il y avait entre elle et lui et aussi de cette confiance qu'il y aura toujours entre eux et moi.

jeudi 22 mars 2007

Donne, donne


Je n'ai pas pris cette photo moi-même mais elle me rappelle qu'en dépit de tout, quelle que soit la facilité qu'on me prête parfois à exprimer des idées avec des mots de tous les jours, il m'est arrivé souvent d'être en panne et de devoir créer une chanson pour livrer le fond de mon âme quand je ne trouvais plus les mots et la manière de dire ce que j'avais besoin d'exprimer. Et si je peux créer des textes sur commande pour mon travail, mes chansons, elles, se sont toujours imposées d'elles-mêmes, en lieu et place des larmes que j'étais incapable de verser, parce qu'il y a des chagrins qui ne se pleurent pas. Ma guitare, fidèle compagne en ces moments-là, a toujours été bonne conseillère...

Donne, donne

À ma petite poupée blonde
Mon bel enfant, mon coeur sucré
Tu vas voir en quelques secondes
Combien les grands peuvent se tromper
Ma consigne était donne, donne
Donne, donne toujours sans compter
Donne, tu verras, ça fonctionne
Donne, donne pour te faire aimer

Comme si le monde était rose
Comme s'il n'y avait que de la beauté
Et qu'il n'y avait en toute chose
Que de la générosité
Faut surtout faire plaisir au monde
Toujours sourire, jamais pleurer
User ton coeur et tes secondes
Te donner aux autres en entier

Quand ils oublieront tes sourires
Et ce que tu leur as donné
Quand t'auras plus le goût de rire
Qui c'est qui voudra t'écouter
Quand t'auras épuisé ton âme
À force de trop t'oublier
Le monde te semblera infâme
Mais chez moi tu pourras pleurer

Maintenant que tu as de la peine
Et que tu te caches pour pleurer
Déçue de la nature humaine
Tu fais un peu regretter
Que dans mes leçons de partage
J'avais oublié de mentionner
Qu'il fallait surtout que tu t'en gardes
Qu'il fallait aussi te protéger

À ma petite poupée blonde
Mon bel enfant, mon coeur sucré
Faut pas se donner à tout le monde
Tu vois, Maman s'était trompée

jeudi 8 mars 2007

La huite marse


Photo que j'ai prise à l'été 2006, aux chutes Quinn, entre la sortie sud du parc de la Vérendrye et Grand Remous, région de l'Outaouais.

Comme l'eau vive, depuis sa source, elle suit son cours... Parfois langoureusement entre les méandres d'un ruisseau, puis d'une rivière qui sillonnera jusqu'au fleuve, à l'estuaire, au golfe et à la mer... sa mère, parfois avec fracas lorsque des obstacles se mettent en travers de son chemin ou qu'une dénivellation trop soudaine la surprend et la fait tomber. De très haut qu'elle peut tomber, des fois, l'eau vive, mais elle sait toujours poursuivre sa course infinie!

Elle l'ignore trop souvent mais elle est force, puissance et énergie aussi, c'est parce qu'on fait appel à elle plutôt pour purifier, abreuver, soigner, détendre, donner la vie et bien d'autres tâches, souvent humbles, qu'elle exécute de toute son âme d'eau vive, parce qu'elle sait combien elles sont essentielles à la vie.

J'aime l'eau vive et j'en ai besoin, j'en suis moi aussi quand je pense à Isabelle, Rita, Éva, Luce, Élise, Noémie, Guylaine, Martine, Jolyne, Sylvie, Lise, Francine, Claudette, Céline, Nicole, Gisèle, Nathalie, Danièle, Joanne, Véro, Sophie, Audrey, Virginie, Maggy...

Bonne fête à vous toutes : celle à qui j'ai donné la vie, celle à qui je la dois et aux autres qui me l'embellissez tellement...

mardi 6 mars 2007

Comme pour étirer le temps...


J'ai pris cette photo samedi dernier, aux lendemains de la tempête de neige, à notre camp de Rapide Deux et s'il vous semble qu'il n'y a rien à y voir et pas de quoi écrire à sa mère, vous aurez raison. Il m'arrive souvent de prendre des clichés pour moi-même, sans penser à autre chose qu'à fixer sur pellicule et à jamais un instant de bonheur fugitif que je voudrais voir s'éterniser.

J'ai la chance d'avoir plusieurs passions dans la vie, certaines palpitantes, d'autres moins, les unes plus faciles à comprendre que les autres. Il y a mes jardins secrets aussi, tellement secrets en fait, que je les ignore moi-même! J'aimerais un jour en arriver à saisir pourquoi je mets une telle ardeur à redonner vie à ce qui n'est plus, aux cas désespérés, aux rejets.

Au hasard de nos transactions immobilières passées, j'ai fait de belles trouvailles, laissées pour mortes, abandonnées sur place par les anciens propriétaires des maisons, chalets, camps, remises et garages qui ont été les nôtres au fil du temps. J'ai pu redonner vie à des vieilles berçantes aux barreaux cassés, des courtes-pointes décousues, faites par des grands-mères depuis longtemps décédées, des lampes à l'huile anciennes à nettoyer et réparer, des coffres de bois ayant contenu des trésors probablement, des tables à battants qui, une fois ouvertes, pouvaient accueillir des soupers de Gaulois, des chaises avec l'assise brisée, tressées en foin de mer, qui m'ont obligée à fouiller dans des vieux livres et apprendre cet art démodé, des gramophones qui font de fort jolis meubles même quand ils ne font plus entendre leur musique et bien d'autres choses encore qui n'ont pas de prix pour moi, parce que je les ai sauvées d'une mort certaine. Souvenez-vous du Petit Prince... « Ce qui donne du prix à ta rose, c'est le temps que tu as consacré pour elle... »

J'ai toujours un petit chantier en marche. Là, ma table à battants est revenue en vie, elle trône, discrète et toute mignonne dans un coin du salon maintenant, avec sa belle couleur caramel, révélée au fur et à mesure des heures de sablage passées dans le garage et j'ai pu la conserver ainsi avec un mélange spécial de thérébentine et d'huile de lin. Elle retrouve tout son sens et son essence quand la maison s'emplit et qu'on doit la jumeler à celle de la cuisine pour en faire un lieu de rencontre où chacun a sa place et tous l'ont tout entier!

Au camp, j'avais mis la main sur une vieille chaise finie dans le vieux camp abandonné qu'on avait acheté en l'an 2000 et qu'on a débâti pour le reconstruire. L'abandon total. Rien à faire avec ça. Il paraît qu'il n'y avait que moi pour essayer de ressusciter pareil cas. Ça m'a juste motivée davantage de me l'entendre dire! J'ai cru que j'aurais l'admiration de mes proches en m'y attaquant avec conviction mais à la place, on commence à me laisser entendre que ce serait de l'entêtement de m'y acharner, alors, j'ai d'autant plus l'ambition et l'obligation d'en faire la plus belle chaise qui soit. Il me faut sauver mon honneur!

Chaque fois que je sévis, dans ma folie, j'y vais à ma manière, « à' mitaine », à l'ancienne, avec le temps, la douceur, la patience. Jamais, au grand jamais, de décapants, d'outils électriques (on n'a pas l'essstristé là-bas) ou d'affaires qui vont vite. J'ai mon code d'éthique. Non, moi, je fais ça pour étirer le temps, j'utilise du papier sablé, des outils de métal et de bois... et de l'huile de bras. Cette chaise était quand même solide, j'ai vérifié avant de m'investir autant, il ne restait plus qu'à la déshabiller, lui enlever ses couches successives de maquillage rouge, jaune pâle et turquoise, pour y trouver sa vraie personnalité, ses noeuds, ses courants, le grain de son bois, ses imperfections aussi, donc, sa matière noble qui a su défier le temps...

Il n'y a rien que j'aime mieux l'hiver, en revenant au camp après avoir fait le tour des sentiers enneigés, que de remettre une bûche dans le poêle, me préparer un café dans la cafetière qui fait bloup-bloup, sentir l'arôme qui s'en dégage tranquillement pas vite, pendant que j'écoute la radio à la première chaîne de Radio-Canada et que je m'attaque à ma chaise avec mes vieux outils, comme pour suspendre le temps, voler un petit moment d'éternité. Tout dort et je veille. Si vous saviez comme j'y règle une foule de problèmes, petits et grands, parfois même universels. Et puis, je regarde dehors aussi, au cas où... Mes jumelles ne sont jamais loin.

Mais je prends des pauses, par exemple, faut quand même pas se rendre la vie trop misérable. D'abord, il faut remettre une bûche dans le poêle de temps en temps, puis me verser mon café et m'allumer une cigarette aussi, comme récompense, pas souvent, juste si j'ai bien travaillé, comme après avoir fini un des barreaux, par exemple. Et parfois, mon Crocodile Dundee vient voir ce que je fabrique, attiré lui aussi par l'arôme du café bloup-bloup qui se rend assez loin en forêt paraît-il, il me jette alors un regard attendri mais étrange, que je ne saurais qualifier plus précisément. Dehors, il y a les pies qui me réclament un bout de croûte de pain ou mes perdrix qui font voler la neige dans ma direction, espérant attirer mon attention mais en vain, je m'accroche désespérément à ma chaise et mon papier sablé... Allez donc savoir pourquoi.