Photo : Rafraîchissante, n'est-ce pas, en ce temps de canicule? C'était le 31 décembre dernier, lors de notre partie de hockey du temps des Fêtes, sur le lac Dufault, pendant le « réchauffement », juste avant les grandes performances et entourloupettes sportives de la parenté et des amis. Comment pouvais-je illustrer autrement mon billet d'aujourd'hui?
Bonne Fête des Pères... à Guy Lafleur
Quand on pense à Guy Lafleur, on pense hockey, Canadiens de Montréal, et Thurso, son village natal en Outaouais. Nous viennent ensuite des images du démon blond, son talent, sa personnalité, ses frasques et son franc-parler, les causes humanitaires qu'il supporte et où il s'investit comme il le faisait dans le temps sur la patinoire, son après carrière, et plus récemment, parce que les médias s'en sont régalés comme les charognards qu'ils deviennent trop souvent, sa vie de famille et ses démêlés avec la justice.
C'est de cet aspect-là de sa vie que je voudrais vous parler...
Vous savez tous si vous étiez au Québec dans la dernière année que Guy Lafleur a été cité à comparaître dans le procès où son fils était accusé de crimes violents, dont un à caractère sexuel. Il a été dit à quelques reprises, mais personne n'a vraiment insisté là-dessus, que ce fils souffrait du syndrome de la Tourette.
Guy Lafleur, quand ce fut son tour à témoigner, a omis de dire quelque chose qui aurait pu nuire aux destinées de son fils, alors qu'il s'était pris en main et qu'il était en désintoxication. Il a voulu le protéger, à tout le moins, ne pas lui nuire trop, et c'est ce qu'auraient fait beaucoup de pères de famille. On a dit qu'il s'était parjuré à la Cour, on lui a fait un procès sur la place publique bien avant le vrai procès. Il avait menti... Ce n'est pas la première fois que ça arrive, vous me direz, les palais de justice sont les endroits où il se dit le plus de mensonges à la minute mais bon, il s'agissait de Guy Lafleur, le gars a du prestige, de l'argent, il a connu la gloire, il est le héros de beaucoup de monde... Et ça écoeure royalement ceux qui pensent petit, c'est probablement là son plus grand crime.
Tout au long des procédures entourant le procès du fils, on n'arrêtait pas de braquer des caméras et des projecteurs, de montrer des images du jeune Lafleur, de son père, Guy, et de sa mère, Lise. Les gérants d'estrade faisaient état des comportements déviants du jeune homme, sa dépendance aux drogues, à l'alcool, son passé, sa délinquance en général, ses difficultés et ses échecs. Et dans la population, lors des tribunes libres et des vox pop, j'entendais des jugements honteux, des règlements de comptes gratuits et des absurdités jalouses, dites par des gens qui ne comprenaient rien à tout ce cirque mais qui s'empressaient tout de même de juger cette famille aux prises avec tant de souffrance et d'incompréhension. Tout cela a continué en attente du procès de Guy Lafleur qui a pris fin cette semaine avec une condamnation très sévère au père de famille qu'il est et qui se ramasse maintenant avec un casier judiciaire. Comme si la vie elle-même ne l'avait pas déjà assez condamné à perpétuité à bien pire que ça depuis longtemps.
Dans un hebdo Québécor (pas le choix, ils sont les seuls qu'on a) de ma région, L'Écho Abitibien pour ne pas le nommer, je lisais tout à l'heure le commentaire d'un ancien juge à la Cour du Québec. Il le titrait ainsi : « Guy Lafleur : bon père de famille? » un torchon qu'on aurait pu trouver dans n'importe lequel de nos journaux jaunes, où il fustige Guy Lafleur, l'accusant d'avoir fait fi de l'ordonnance et d'avoir permis à son fils d'aller coucher à l'hôtel avec une jeune fille de 16 ans afin qu'il ait plus d'intimité. Il l'accuse aussi d'avoir trompé la cour en affirmant que son fils avait respecté son couvre-feu. Il le condame doublement et sans aucun ménagement. Il a l'air de penser que Guy Lafleur, en tant que père, avait le plein contrôle de la vie de son fils, devenu un homme, du moins au point de vue de l'âge légal et de la maturité physique. Non mais, a-t-il déjà eu des enfants qui grandissent, lui?
Ceux qui, comme cet ancien magistrat, le jugent si sévèrement, n'ont probablement jamais rencontré sur leur chemin un enfant, un adolescent ou un jeune adulte qui souffrait du syndrome de la Tourette. Pire encore, ils n'ont jamais passé une seule journée avec l'un de ces êtres-là qui agissent parfois à l'encontre de toutes les valeurs qui leur sont transmises quand ils sont en situation de crise, de détresse, d'anxiété ou dans un état « borderline » et qu'ils n'arrivent pas à s'auto-médiquer dans la rue. Leurs comportements sont instables, imprévisibles, parfois violents, difficiles à comprendre et encore plus à pardonner. Est-ce qu'un père arrête d'aimer son fils quand il est moins aimable?
Connaissez-vous quelqu'un qui souffre de ce syndrome? Moi oui. Je plains ce jeune homme proche de moi, je ne le condamne pas même si j'ai de la misère à le suivre par bouts. Il est, disons, un peu plus difficile à aimer qu'un autre. Mais je plains encore beaucoup plus son père qui vit l'insoutenable depuis des années, ce père qui expérimente la paternité extrême, le « tough love » à son paroxysme, les humiliations, les espoirs déçus, et même déchus, les illusions perdues à coup de coeur qui saigne, de jours d'inquiétude, de thérapies continuelles, d'appels incessants de détresse et de nuits sans sommeil à se piler sur le coeur. Ce père-là aurait probablement fait comme Guy Lafleur et je crois même qu'il l'a déjà fait.
Je ne veux pour aucune considération amoindrir la gravité des actes criminels commis par le fils Lafleur. D'ailleurs, il sera jugé pour ça. Je veux simplement dénoncer le fait qu'on a jugé Guy Lafleur sans savoir ce que lui et sa famille vivent de souffrance depuis des années à cause du syndrome dont leur fils est atteint. Et eux, en plus, ils doivent vivre ça au vu et au su des journalistes, en étant jugés par des gens qui n'ont aucune idée de ce dont ils parlent.
En cette journée très spéciale de la Fête des Pères, puisque le mien n'est plus là pour que je lui dise de vive voix jusqu'à quel point il a embelli ma vie, depuis la première seconde où il venait me voir dans le petit incubateur de l'Hôtel-Dieu d'Amos où j'ai ressenti avec force son amour de la vie, jusqu'à aujourd'hui où il est encore si présent par-delà les frontières du temps et de l'espace qui nous séparent et nous unissent à la fois, c'est à Guy Lafleur, le père, que je pense, et à tous ceux à qui on ne dira pas nécessairement aujourd'hui « Bonne Fête des Pères » mais qui le mériteraient infiniment.