J'ai cherché dans toutes mes photos celle qui pourrait illustrer ce que j'avais à dire aujourd'hui et celle-là m'a fait un effet instantané. Pigée dans l'album de notre fille, cette photo avait une note à l'endos où je reconnais mon écriture : « Mon premier contact avec le Père Noël, décembre 1987, pharmacie Jean Coutu. Je ne l'ai pas aimé, il parlait fort, il riait fort et Maman a dû nous laisser ensemble pour que le photographe fasse son travail. Le Père Noël avait 10 secondes pour m'apprivoiser. Il a échoué! »
Noël, la saison des réjouissances
Quand j'étais petite, le temps des fêtes durait au moins deux semaines et j'en garde des souvenirs impérissables... Les familles étaient si nombreuses et mes deux familles très élargies nous rassemblaient toujours en Abitibi-Ouest, dans la grande maison du rang VII, sur la route de Dupuy, chez mes grands-parents maternels, ou alors dans l'autre, au Petit Village à La Sarre, chez mes grands-parents paternels.
Dans la grande maison du rang VII, c'était toujours le temps des réjouissances et particulièrement au temps des fêtes. On arrivait de partout, des pleins chars, et tout le monde était accueilli dans des effusions de joie, de rires et des petits bouts de refrains. Il me semble que je nous revois encore débarquer de l'auto, tout endimanchés et ceux qui étaient arrivés avant nous venaient nous ouvrir la porte en nous sautant quasiment dessus. On aurait dit qu'on éclairait la place quand on arrivait et que ça devenait de plus en plus lumineux quand les autres se pointaient à leur tour.
Les retrouvailles avec les cousins et cousines étaient bruyantes et animées, mais jamais autant que celles des grands. Dans la famille de Maman, tout le monde joue d'un instrument de musique, tout le monde chante. Moi, j'avais tout le temps hâte que la musique commence mais je savais que ça ne viendrait qu'après le souper, il fallait laisser les guitares s'acclimater et on avait un respect immense pour les instruments de musique, on les regardait seulement. L'arbre de Noël dans le salon était magnifiquement décoré par Grand-Maman Éva, avec un ange dans le haut, des boules de Noël très anciennes même parfois un peu dépeinturées mais toujours si brillantes, des cartes de Noël reçues des Iles, toutes écrites dans les moindres petits racoins, des glaçons, des cheveux d'ange, et au pied du sapin, beaucoup de petites maisons, une église et une grosse crèche où il ne manquait personne, personne, il y avait même tous les petits bergers avec des agneaux dans les bras et tout. On était catholique fervent dans la famille...
Dans ce tourbillon de cris, de chansons, de tapage de pieds, de jouage de tours, de p'tits boires et de rigolade, on ne pensait pas aux cadeaux, c'était bien secondaire, on en aurait un, c'est tout, c'était comme une loi non écrite parce que Noël, c'était tout sauf ça. J'ignore comment les grands faisaient mais dans le temps de le dire, la table était servie pour les grands et nous, les enfants, on avait chacun notre marche dans l'escalier qui donnait sur l'immense cuisine, bien entendu, on n'aurait pas voulu rien manquer du party. Dans l'escalier chez Grand-Papa, il y avait toujours une hiérarchie selon l'âge, donc, on avait quasiment notre prénom d'écrit sur notre marche, la mienne, c'était la deuxième, il y avait juste Michel de plus vieux que moi. Ensuite, il y avait la marche à Lise, Solange, Raymonde, Ti-Luc, Ti-Gilles, etc...
C'est après le souper qu'on avait des surprises parce que d'autres se joignaient à la famille, les cousins de nos parents. Eux autres, ils avaient des violons et des accordéons en plus de toutes les guitares. Ah là, c'était sûr qu'on allait veiller tard! Entre deux morceaux de vaisselle à laver, on recevait notre cadeau. Il ne passait jamais sous le sapin, il n'y avait pas de place pour ça de toute manière, avec les petites maisons et la grosse crèche... Je me rappelle avoir eu une année un Colorola. J'étais donc contente. Maman devait avoir commandé ça dans le catalogue : Un machin en plastique rouge avec dedans une feuille magique qu'on pouvait colorier avec des crayons de cire et quand on tournait la manivelle, il apparaissait un autre dessin à colorier. Quand on avait fait le tour et qu'on revenait au dessin de départ, il était tout effacé et redevenu vierge. Je croyais que j'allais m'amuser très longtemps avec mon super magique Colorola!
Mais mon oncle Claude, qui commençait à être un peu pompette, dans un éclat de rire, s'est assis sur mon Colorola. Ça a fait un gros « crack » et il a tellement trouvé ça drôle, les autres aussi d'ailleurs. Il y avait juste moi qui ne riais pas tellement. Il a dit : « C'est à qui la bébelle, ben, le restant de bébelle? » ce qui a fait rire encore plus les grands alentour. J'ai dit : « C'est à moi! » et il a répondu : « Ah, c'est pas grave, mon oncle Claude va t'en acheter un autre! » et il avait ajouté, « C'est Nouel! » en se servant un autre verre. Ma tante Yvonne y avait vu le signal pour entonner sa chanson de circonstance qui me rend toujours joyeuse et nostalgique « C'est Nouel dans notre beau petit village, c'est Noël ici comme ailleurs, à l'église de notre beau petit village... ».
Pour chanter, il y en a qui « se faisaient prier » mais ils finissaient par se laisser convaincre, comme Maman qui chantait « Elle avait des bagues à chaque doigt, un tas de bracelets autour des poignets et puis elle chantait de sa belle voix qui sitôt m'enjôla, elle avait des yeux, des yeux d'opale qui me fascinaient qui me fascinaient, y avait l'ovale de son visage pâle, une femme fatale qui me fut fatale... » ou bien « Enfant du voyage, ton lit, c'est la mer, ton toit, les nuages, été comme hiver, ta maison, c'est l'océan, tes amis sont les étoiles, une fille aux cheveux d'or, perdue dans le vent du Nord...». Grand-Papa, lui, quand il se levait debout, qu'il nous faisait un clin d'oeil et qu'il se dépliait du haut de sa grandeur, on savait qu'il était le plus heureux des hommes d'avoir toute sa famille autour de lui et qu'il nous dirait sa petite phrase, « êtes-vous heureux, là? Bon ben, si vous êtes tous heureux, moi aussi! » et qu'il nous chanterait la sienne « On arrêtera le télégramme, la langue des femmes, jamais! » dont je voudrais bien retrouver les paroles...
Toutes les chansons des Iles de la Madeleine y passaient, ainsi que les classiques de la famille « Les Immortelles », « Partons la mer est belle » chantés en harmonie à plusieurs voix, plusieurs guitares, mon oncle Marcel, ma tante Denise, mon oncle Paul, ma tante Gertrude, toujours un moment presque solennel. Mon oncle Hilaire tapait du pied à s'en user les talons avec « Le p'tit bal chez Jos Brûlé », la maison en tremblait, si on était chanceux, mon oncle Ti-Charles, allait nous faire avec un tas de grimaces et de sous-entendus, « Oh, Belle vous y avez une belle tite couisse, oh belle, vous y avez » mon oncle Raymond, mon oncle Edwin, ma tante Bernadette, ma tante Pauline et toutes les chansons de mer, de bateaux, de capitaines et de matelots, notre histoire et notre folklore madelinot, avec ses complaintes et ses harmonies, cette mer qui berce et qui nourrit, on ne pouvait jamais se résoudre à aller se coucher. Des fois, trop rarement, Papa nous jouait un petit reel d'harmonica que mes oncles accompagnaient au vol et enrobaient si richement, comme s'ils avaient pratiqué ensemble.
Noël, c'était ça, un temps de réjouissances, de retrouvailles familiales, de musique, de rires, de chansons, d'histoires, de moments passés ensemble à s'aimer sans se le dire. Mais on communiquait dans notre musique. On n'aurait jamais manqué la messe de minuit, sinon, Noël n'aurait pas eu de sens mais la fête reprenait de plus belle après et je ne me souviens plus quand est-ce qu'on allait se coucher mais je me rappelle que les cousines, on dormait toutes ensemble dans la petite chambre de la machine à coudre, en haut, dans le même lit toutes les quatre et qu'on riait jusqu'à ce qu'on tombe endormies et épuisées, bercées par la musique qui se continuait en bas parce que les grands, ils se couchaient pas, je pense...
Finalement, je voulais vous parler d'autre chose complètement et je me suis égarée en chemin, trop plongée dans mes souvenirs de ces Noël qui n'existent plus. Mais je me reprendrai lors d'un prochain billet, je crois, où je vous raconterai un peu comment je fais pour garder aujourd'hui le meilleur de cette « saison des réjouissances » et toujours mon âme d'enfant. Et pour conclure l'histoire de mon défunt Colorola, ben... mon oncle Claude n'avait pas tenu sa promesse mais j'avais espéré longtemps, très longtemps. Ça m'avait appris quelque chose d'important : quand on fait une promesse à un enfant, il faut toujours la tenir, sinon, on peut lui briser le coeur...