C'était la gang à Crocodile Dundee en 1975. Je les connais tous et toutes. J'avais numérisé cette photo il y a quelques années pour la donner en cadeau à Denise. C'est celle que Crocodile Dundee tient par le cou. De gauche à droite, ceux qui sont debout : Claire, Denise, Crocodile Dundee, Roger, Anne, El Grand, Marleen, Ghislain. En avant, à genoux : Ti-Nioche, Line, Richard. Penché au-dessus d'eux : Coco.
Le 20 mai 1978. Un clin d'oeil à Lise et sa mémoire phénoménale!
Nous avons très peu de photos de nous deux, juste nous deux. En voici une prise par notre fille, Isabelle, le 20 mai 1992. C'était notre 14e anniversaire de mariage.
Le 1er juillet 2001 marquait le 50e anniversaire de mariage de mes parents.
À Grande-Entrée, aux Îles de la Madeleine, fin juin 2012. Crédit photo : Jocelyn Turbide.
De l'amitié à l'amour en 1976
Par où commencer? D'abord par la lecture du billet précédent, Grand Nord 1976, si ce n'est pas déjà fait! Dans les commentaires, plusieurs se demandaient comment nous étions passés de l'amitié à l'amour et si cette run à la Terre de Baffin pour Crocodile Dundee avait été le déclencheur... En quelque sorte, peut-être que oui mais ce serait sans doute arrivé quand même sans cette séparation de 3 mois et 10 jours, allez donc savoir...
Notre amitié avait été instantanée dès les premiers jours de septembre où, en commençant notre 8e année, (aujourd'hui on dit Secondaire 1) nous nous étions retrouvés dans la même classe, la 8-6 qu'on appelait, qui regroupait des jeunes dont les noms de famille commençaient par les lettres de la fin de l'alphabet, les R-S-T-V-W. Nous étions voisins de pupitres. Les amis de la classe semblaient bien se connaître, ils avaient fait leur primaire ensemble mais nous étions deux nouveaux : Ses parents avaient déménagé de Ville-Marie à Noranda et les miens, de Matagami à Noranda.
L'été précédent, j'avais eu le temps de connaître pas mal de monde dans mon nouveau quartier mais aucun n'était dans ma classe, sauf peut-être Royal et Vézina. J'avais connu aussi une fille très gentille avec laquelle j'avais des affinités naturelles et qui portait le même nom que Dundee, elle venait de déménager de Ville-Marie à Noranda. C'était sa petite soeur Céline!
Toute cette 8e année a été parsemée de bons souvenirs, d'apprentissages, d'anecdotes et de... billets de discipline! Dundee et moi, on était « the perfect match » : il était drôle et moi, j'étais ricanneuse. Dès qu'il y avait un travail d'équipe à faire, on se tournait l'un vers l'autre, c'était réglé, on se plaçait ensemble. Les profs étaient habitués de nous voir travailler et déconner en équipe. Quand on riait trop, il leur arrivait de lancer : « Turbide-Rivest : dehors! » et on s'en allait ensemble chez le directeur avec notre billet de discipline. Ça créait des liens! Tellement que lorsque notre fille est née, après hésitation, on a décidé qu'elle porterait seulement le nom de son père parce qu'en jumelant nos noms Turbide-Rivest, on avait l'impression d'entendre la suite : dehors!
Notre amitié soudée tout au long de cette année scolaire inoubliable, nous avons poursuivi notre secondaire en se croisant partout, à l'école et ailleurs, dans nos activités sportives et sociales, avec les mêmes amis, les mêmes partys, les mêmes folies. Je sortais avec des gars, jamais rien de sérieux, des amourettes d'adolescents, rien de plus et lui, de son côté, a eu quelques compagnes aussi mais moins que moi. Il aimait sa liberté et moi j'avais si peur de l'engagement qu'on se comprenait sans se parler et pourtant, on se parlait souvent... et longtemps. On se souvient de discussions qui s'étiraient pendant des heures sur des coins de rues et lors de nos rencontres improvisées dans les débuts de soirées dans les différents bars de la ville.
Notre complicité me rendait service. Quand il y avait un gars un peu achalant assis à côté de moi, Dundee le sentait tout de suite que je n'avais pas d'intérêt et il jouait le jeu du chum qui vient me rejoindre, ce qui faisait fuir le pot de colle comme par magie et je le remerciais d'avoir tout compris. On se promettait de se revoir plus tard au cours de la soirée!
Bien souvent, on finissait nos soirées ensemble sans l'avoir vraiment cherché (était-ce vraiment le hasard?...) Comme on veillait tard, on fermait les bars et au moment du last call, notre phrase magique était celle-ci : « Un chicken fried rice à deux, au Cordon Bleu? » et l'autre répondait invariablement : « T'es pas game! » alors on partait bras dessus bras dessous à 3 heures du matin au resto chinois ouvert 24 heures sur la rue Principale, à Rouyn.
Il n'y avait rien d'autre que de l'amitié entre nous. Enfin, c'est ce que je croyais. On partageait des confidences, des souvenirs, des rêves, des projets, des secrets, des complicités, une grande loyauté et beaucoup de respect, mais malgré tout, on ne parlait jamais de nos histoires d'amour, ni lui ni moi. On se gardait une petite gêne là-dessus. Pour moi, Crocodile Dundee n'était pas un gars, du genre qu'on trouve de son goût et qu'on voudrait sortir avec. Non, c'était autre chose... De plus précieux qu'un petit béguin passager.
Et puis un soir...
Une fin d'hiver un peu morose, un soir de mars 1976.... On se retrouve au Chat Noir, toute une gang en début de soirée. Un pot de colle assis à côté de moi, Dundee fait semblant d'être mon chum, fait fuir le pot de colle et me dit qu'ils s'en vont veiller à la Champlain. Je lui dis que moi, je vais rejoindre les filles au Piano Bar de l'hôtel Albert. Il me confie qu'il aimerait qu'on se voit plus tard peut-être, que c'est son dernier soir en ville, qu'il s'en va travailler à la Terre de Baffin pour 3 mois, il part demain matin. Autour de minuit, il arrive au Piano Bar avec Ti-Nioche, Coco et quelques autres de sa gang. Mes chums de filles et moi, on ne demande pas mieux, ces gars-là sont toujours sur le party et on a le goût de danser. À mesure que la soirée avance, on s'aperçoit que les autres sont sur la piste de danse et qu'il ne reste que Dundee et moi, seuls à cette table. On a tellement de choses à se raconter... Mais on est tristes un peu sans qu'on s'explique pourquoi.
Pour le dernier slow, Dundee me demande si je veux danser. Non, je veux pas. Mais je ne lui dis pas et j'y vais quand même, parce que c'est son dernier soir en ville et que je veux lui faire plaisir. Je me souviens encore de cette chanson... Interminable! Je suis dans ses bras. Pas trop collée mais dans ses bras quand même. Et je suis bien. Tellement trop bien. J'ai trop bu. Ah c'est sûr que j'ai trop bu, c'est rendu que je ressens des affaires comme d'être trop bien. C'est pas normal. Et je veux pas tout gâcher. C'est mon meilleur ami. J'ai pas le droit d'être bien de même... La musique s'arrête, les lumières s'allument et je voudrais être ailleurs.. Alors, je m'en sors avec : « Un chicken fried rice à deux, au Cordon Bleu? » et il me répond : « T'es pas game! » et c'est comme ça qu'on a passé encore le reste de la nuit à parler et à rire jusqu'à ce qu'il vienne me reconduire chez nous.
Je l'ai su plus tard mais quand il est rentré chez lui cette nuit-là, il a réveillé sa soeur Céline pour lui raconter qu'il avait dansé avec moi. Un slow! Et qu'on avait fini la soirée ensemble au Cordon Bleu.
À partir de là, tout était plate en ville. Je sortais souvent mais si je rencontrais tout le temps sa gang, lui n'était pas là et je ne comprenais pas encore que c'était la seule chose qui avait changé en ville : il n'était plus là. Donc, j'ai commencé à sortir moins.
Une fois, en sortant de mon travail, je rencontre sa soeur Céline et je lui demande si elle a des nouvelles de son frère à la Terre de Baffin. Elle me donne plein de ses nouvelles et me dit que je devrais lui écrire, que ça lui ferait tellement plaisir parce qu'il s'ennuie à mourir là-bas. Je lui dis que ce serait une bonne idée mais je ne passe pas à l'action. Qu'est-ce qu'il pourrait croire, lui, à l'autre bout du monde, si je me mets à lui écrire?
Le retour
En juillet 1976, je suis souvent les fins de semaine au chalet de mes parents, au lac Hébécourt. J'ai des amis et de la parenté là-bas, il y a un resto bar où l'on se retrouve tous ensemble, on fait de la musique, on veille tard, et j'oublie que c'est rendu plate en ville, je ne suis plus jamais là. J'apprends quand même à travers les branches que Crocodile Dundee est revenu à Rouyn-Noranda, qu'il a pris tout le mois de vacances pour profiter de son été, qu'il s'est acheté un camion et qu'il coule des jours heureux avec sa gang.
Le 14 août 1976, un samedi, on ne va pas au chalet du lac Hébécourt parce que mon cousin Jean-Guy se marie. On s'en va tous aux noces! En plus des oncles, tantes, cousins, cousines, je sais que je vais voir pas mal de monde, parce que les amis de mon cousin Jean-Guy et de sa femme, Michelle, sont aussi mes amis. Parmi eux, je vois Ti-Nioche, Coco, Ghislain, Pierre, en tout cas, une bonne gang tous assis à la même table.
Il y a un fatiguant de pot de colle qui n'arrête pas de me demander pour danser. Il me demande s'il peut s'asseoir à ma table. Je dis oui mais juste parce que ça me tente de danser, le gars m'intéresse pas du tout. À un moment donné, le gars s'en va se chercher une bière pour lui au bar, il me demande même pas si j'en veux une. En s'en revenant, il jase avec quelqu'un longuement et la place est libre à côté de moi. C'est là que je regarde vers l'entrée...
L'apparition
Je n'oublierai jamais cet instant où j'ai regardé vers l'entrée... On aurait dit qu'il y avait des projecteurs braqués sur le gars qui était là et qui me regardait en souriant. Un beau gars... Un sacré beau gars! Beau bonhomme, bien habillé, les cheveux bien coupés et quels yeux, quel sourire. Je ne l'avais presque pas reconnu, c'était Crocodile Dundee!
Le pot de colle arrivait pour se rasseoir à côté de moi mais Dundee est arrivé avant, m'a donné deux becs sur les joues, a fait semblant d'être mon chum et s'est assis à côté de moi. On avait tellement de choses à se raconter qu'on n'est même jamais allés danser ce soir-là. Pis on a veillé tard. Très très tard.
Deux semaines plus tard, c'était mon cousin Richard qui se mariait. Le 28 août 1976, un samedi, Crocodile Dundee est venu me chercher chez mes parents pour qu'on aille aux noces à Richard. Lui était invité comme ami, et moi, comme cousine, mais on y allait ensemble. Depuis ce jour-là, le 28 août 1976, on ne s'est plus jamais quittés.
Plusieurs conclusions
Ça m'a pris du temps à voir clair. Crocodile Dundee avait compris bien avant moi que nous étions amoureux l'un de l'autre.
J'ai toujours trouvé que l'amitié était une belle base pour l'amour.
Si nous étions sortis ensemble plus jeunes, peut-être qu'on aurait bousillé nos chances. Il est heureux que nous ayons eu tous les deux, chacun de notre côté, une vie de jeunesse et de liberté.
Vous auriez dû voir la tête de nos profs de la 8-6 quand on les rencontrait des années plus tard et qu'ils constataient qu'on était devenu... un couple! La prof de français et la prof de botanique nous ont avoué toutes les deux qu'elles n'étaient pas surprises... On a répondu à la prof de français qu'à force de nous dire : « Turbide-Rivest : dehors! », elle avait sûrement semé quelque chose!
Si j'avais si peur de l'engagement et que je ne m'investissais pas dans mes histoires d'amour, c'est que je savais instinctivement que le jour où je m'engagerais, ce ne serait pas à moitié.
Je ne connaissais qu'un seul gars qui aimait sa liberté autant que moi : c'était lui!
Trente-sept ans plus tard, je peux dire qu'avec ce gars-là, j'ai vécu des milliers de choses mais je ne me suis jamais ennuyée une seconde!
Encore maintenant, il nous arrive souvent (mais moins tard dans la nuit!...) d'avoir de passionnantes discussions sur tous les sujets possibles et imaginables. Si le Cordon Bleu était encore ouvert, je pense que je lui proposerais : « Un chicken fried rice à deux au Cordon Bleu? » et il me répondrait : « T'es pas game! »