jeudi 28 avril 2016

LA POULE

J'écris par défaut. J'ai toujours dit que si je savais peindre, je n'écrirais pas. En fait, ce que je voudrais vraiment, si j'en avais les moyens, ce serait de faire des films qui racontent, qui expliquent, qui sensibilisent, qui démontrent et qui rallient. Je crois aussi qu'en partant du très particulier, on rejoint souvent l'universel. Quand je raconte un souvenir ou une anecdote, j'ai le pouvoir de la revivre de manière peut-être un peu plus sensible parce que revisitée avec mes paramètres d'aujourd'hui et en présence de personnes qui me sont chères. C'est ce que vous représentez pour moi, ceux qui me lisent et qui interviennent, des personnes très chères. Je ne vous le dis pas assez souvent! 


C'est l'image que j'ai de moi quand je vous écris un billet qui me replonge dans un événement du passé. Sur ce voilier où nous avons navigué pendant 5 jours et 4 nuits dans la baie Georgienne, c'était ma place préférée, à la proue, en silence, avec mes jumelles, pour voir au loin. Mes compagnons d'équipage, Crocodile Dundee, sa soeur Claudette et notre beau-frère Georges, avaient pris cette photo puisqu'elle était très représentative de ce séjour inoubliable qui était aussi une sorte de voyage intérieur où l'on se fait bercer de douceur, de vent du large et d'infini. 


L'histoire que je m'apprête à vous raconter se passe à peu près à cette époque, quelques années auparavant, pour être plus précise. Vous me reconnaissez? À la droite de mon père, jamais loin de notre fille et de Crocodile Dundee! 

LA POULE 

En faisant mes courses hier, je tombe sur une fille que j'aime beaucoup et que je n'ai pas vue depuis longtemps. On s'échange les dernières nouvelles et elle me demande si j'ai écouté l'émission La Poule aux oeufs d'or alors qu'elle y était participante. Quand je lui réponds que non, elle s'empresse de m'apprendre qu'elle y a gagné 27 500 $, soit 7 500 $ à la première étape et 20 000 $ de plus dans la deuxième.

- Bravo Annette, je suis contente pour toi!

Et c'est ainsi qu'elle a réveillé un beau vieux souvenir qui me remplit de bonheur chaque fois que j'y repense... 

Décembre 1997. Papa a son congé de l'hôpital et revient chez lui le 1er, juste à temps pour qu'on célèbre son 70e anniversaire de naissance le 2 décembre. Le mois de novembre a été une véritable épreuve pour lui et pour nous, sa famille, mais on tourne cette page douloureuse avec soulagement et enthousiasme pour ce nouveau départ. C'est qu'on lui avait diagnostiqué un cancer colorectal à l'automne et il devait subir une opération début novembre, la colostomie. Avec une attitude toujours positive, Papa nous donnait une leçon de vie et de courage que nous n'oublierons jamais. Mais voilà que des complications post-opératoires surviennent, s'aggravent et qu'on passe proche de le perdre, lui si fort, si vivant, lui qui aime tant la vie. Tout le reste du mois de novembre y passe, on l'accompagne de notre présence et on sent qu'on a gagné le gros lot quand on retrouve notre Léo comme avant, « notre petit Léo de course » comme mon frère l'appelle, juste à temps pour fêter son anniversaire. 

Ses amis le fêtent aussi. Il n'y a rien de trop beau pour notre Léo! Dans une carte de fête remplie d'amitié et de bons voeux, un couple d'amis lui offre des billets de loterie. Il y avait 5 billets de La Poule aux oeufs d'or. Papa relit ses cartes plusieurs fois avec son grand sourire attendri et met les billets dans son portefeuille puisque le tirage aura lieu seulement le mercredi suivant. Et puis, il oublie ça, si peu habitué aux billets de loterie qu'il n'achète jamais. 

Le jeudi soir suivant, mes parents viennent veiller chez nous. Je demande à Papa s'il a écouté l'émission de la veille, s'il a gagné quelque chose au tirage. Tout à coup, il y pense et sort ses billets de son portefeuille. 

Petite parenthèse : Papa, quand il me présentait à quelqu'un, s'amusait à dire : « Je te présente Francine, c'est mon homme de confiance! ». Il savait que ça me faisait rire et qu'il y avait beaucoup de complicités en dessous de ça. 

Donc, ce soir-là, Papa me dit : « Tiens, mon homme de confiance, peux-tu me vérifier ça avant que je les jette? » Alors, je prends les billets et je téléphone à Michel, un ami, aussi propriétaire du dépanneur pas loin de chez nous où je suis cliente au quotidien. Michel est surpris de ma question, il sait que je n'achète jamais de billets de loterie, il a tellement essayé de m'en vendre. Comme c'est tranquille dans le dépanneur, je lui donne les numéros que j'ai sur les billets. Il y a un silence au bout de la ligne et soudain, il me lance : « Francine, tu gagnes 25 000 $ ». Je lui réponds que c'est pas moi, c'est mon père mais Michel est tellement énervé qu'il ne m'entend pas et des clients arrivent à sa caisse en même temps, j'en profite pour lui dire au revoir et merci, que je lui en reparlerai le lendemain. 

Mon père ne le croit pas et moi non plus. Je lui dis que Michel est du genre à me jouer un tour, juste parce que je n'achète jamais de billets de loterie. Alors, on décide d'aller ensemble au dépanneur de Madame Dubois, juste un peu plus loin. Cette dame connaît bien toute notre famille et elle n'est pas du genre à jouer des tours. 

Isabelle est en pyjama, prête à aller se coucher, il y de l'école le lendemain. On saute tous dans la vannette à Papa et on va au dépanneur de Madame Dubois. Papa conduit la voiture, il ne veut pas les billets, il me les laisse, on dirait qu'il ne veut pas toucher à ça du tout. Madame Dubois prend le billet en question, les 4 autres n'ont plus d'importance, elle le place dans la machine valideuse et on entend la petite musique qui signifie que ce billet est gagnant. Madame Dubois s'écrie : « Bon ben mon cher Léo, tu gagnes 25 000 $ ». Alors, c'était donc vrai! 

Party instantané dans le dépanneur, les rires fusent, les commentaires aussi, on parle tous en même temps. Là,. on est énervés pour vrai. On réalise que la petite est en pyjama avec ses grosses bottes, le manteau tout ouvert, pas de tuques, pas de mitaines, que nous étions aussi partis en catastrophe mais qu'on n'a pas le goût du tout de s'en retourner chez nous ni chez eux.  C'est là que Papa nous invite tous au St-Hubert pour aller fêter ça.

Le restaurant est très tranquille à cette heure-là, et même si l'on n'a pas faim, Papa insiste pour qu'on  commande tout ce qu'on veut. On finit par commander quelque chose à grignoter, des verres de vin et un jus pour la petite, qui est toujours en pyjama! On décompresse à mesure qu'on digère la belle nouvelle. Mes parents font le projet de partir le lendemain pour Montréal pour aller chercher leur prix. On discute des détails logistiques et mes parents font des projets de voyage et des rêves de toutes sortes.

Au moment de payer la facture pour quitter le restaurant et aller coucher la petite parce qu'il est déjà tard, Papa s'aperçoit que s'il se pensait riche quand il nous a invités, il n'avait pas assez d'argent sur lui et pas non plus sa carte de crédit. Pas grave, j'ai la mienne!  Et je suis habituée d'être son homme de confiance...

Mes parents sont partis effectivement le lendemain matin pour Montréal où ils ont été reçus comme il se doit par les gens de Loto-Québec. Ils sont revenus à la maison quelques jours plus tard après avoir encaissé le chèque et vu quelques amis montréalais en passant. Papa prenait du mieux et retrouvait ses forces chaque jour davantage.

Le mois de décembre a passé beaucoup plus vite que le mois précédent qu'on avait trouvé si difficile et interminable. Tout ce qu'on a vu, on était rendus à Noël. Sous le sapin, cette année-là, il y avait une boîte pour chacun des enfants chez nous et nous sommes trois. Les trois boîtes étaient du même format et pesaient le même poids. Mes parents tenaient à ce qu'on les développe tous en même temps.

Deuxième petite parenthèse : Ma mère a toujours dit qu'avec une grosse can de tomates, on ne manquerait jamais de rien puisque ça pourrait toujours nous servir pour faire plusieurs recettes. Ma mère met des tomates dans tout, avec le poisson, avec la viande, avec le fromage, même un petit reste de macaroni devient un repas à condition d'y ajouter des tomates. Ma mère n'a jamais manqué de tomates en boîte et je pense qu'elle nous a inculqué ça.

Dans nos cadeaux de Noël cette année-là, on avait chacun une grosse boîte de tomates entières... avec un chèque de 1 000 $. Mes parents ont échangé leur gros motorisé pour un plus compact et plus moderne avec lequel ils sont partis faire un grand voyage en Alaska pour redescendre ensuite toute la côte ouest du Canada et des États-Unis, bifurquant vers le Nouveau-Mexique et la Louisiane où ils avaient des amis (entre autres les parents de Zachary Richard) et ils ont fini l'hiver  en Floride! 


dimanche 10 avril 2016

Elle avait semé le doute

Ce matin, en prenant ma marche quotidienne, je laissais vagabonder mon esprit comme à mon habitude lorsque mes pas réguliers et bien rythmés m'ont ramenée à un souvenir d'enfance que j'avais enfoui très loin pour être certaine de l'oublier. Vous savez ce qu'on dit? « Ce qu'on fuit nous poursuit et ce qu'on efface nous pourchasse ». À mon retour à la maison, j'ai eu le goût d'aller fouiller dans les vieilles photos de mon enfance pour effacer ce doute à tout jamais. J'ai pour mon dire qu'à 58 ans, il est grand temps que je fasse le ménage là-dedans. 


J'avais 8 ans. On habitait au 4, rue Rupert, à Matagami, dans une roulotte de la mine. Papa travaillait à la Orchan Mines mais il avait aussi plusieurs autres occupations pour arrondir les fins de mois. Maman ne travaillait pas à l'extérieur dans ce temps-là, elle en avait plein les bras avec nous trois : mon petit frère Yves avait 3 ans et le petit dernier de la famille, Jocelyn, avait un an, on le voit lui aussi sur cette photo. 


Ici, j'avais 9 ans, Yves et Jocelyn respectivement 4 et 2 ans. On habitait toujours dans une roulotte de la mine... entourée par d'autres roulottes de mines. 


J'avais 10 ans, Yves 5, Jocelyn 3. On était en vacances au lac Nipissing, près de North Bay en Ontario. Ce furent les plus belles vacances de notre vie pour nous les enfants et probablement aussi pour nos parents. Pour Yves et Joce comme pour moi, cette photo déclenche des fous rires à chaque fois qu'on la voit, il y a tant d'histoires vécues qui sont rattachées à ces vacances! 

Elle avait semé le doute

J'ai beau regarder mes jambes sur chacune de ces photos, je n'y vois rien qui cloche. Et pourtant, en revenant de ma marche cet avant-midi, j'ai eu comme besoin de vérifier! Je vous raconte... 

Je l'ai déjà dit souvent, dans la petite ville minière de Matagami que j'ai vue naître et grandir, nous étions des pionniers. C'était dans le temps qu'on ouvrait des villages au lieu d'en fermer et cela a été très formateur pour les enfants que nous étions. Nous avons toujours cru que tout était possible au Nord, qu'il suffisait de se retrousser les manches et de travailler ensemble dans la même direction pour faire arriver les choses et ce, à tout point de vue. 

À Matagami, la ville était en pleine effervescence, les trois mines employaient tous nos pères, le parc de roulottes s'agrandissait à vue d'oeil, on ajoutait des rues à mesure, les maisons se construisaient autour de l'école, les commerces s'installaient à la Place du Commerce, les services se multipliaient, les institutions s'organisaient, l'économie roulait sur l'or et dans ce contexte, Papa n'avait pas de misère à se trouver de l'ouvrage et il était très vaillant. En plus de travailler à la mine, il vendait des voitures usagées et des habits sur mesure. 

Moi, j'avais 7-8-9 ans et plein d'amis qui venaient de partout. Personne n'était né à Matagami, la ville n'existait pas avant nous, on venait tous d'ailleurs. J'avais beaucoup de cousins et cousines aussi, on nous appelait les Madelinots, on était faciles à reconnaître avec notre accent et nos expressions colorées! J'ai eu une enfance extraordinaire à faire des campes dans le bois, s'inventer des jeux, aller à la pêche sur la rivière Bell et organiser nos loisirs. C'est ainsi que j'ai fait partie du corps de majorettes Les Rubis de Matagami!

La bonne femme Kramer était l'organisatrice et la responsable des Rubis de Matagami. Elle n'était pas commode, la bonne femme, on aurait dit qu'elle se prenait pour une générale d'armée, elle avait un ton autoritaire, presque militaire et elle criait fort pour tout et pour rien. Mes cousines et mes amies étaient dans les majorettes et je voulais moi aussi avoir comme les autres ma petite jupette blanche, mes bottes blanches avec le gros pompon rouge, le corsage rouge, le chapeau haut de forme blanc avec le pompon rouge et surtout, le bâton de majorettes que j'allais faire virevolter dans les airs lors des parades.  J'étais donc fière quand j'ai eu mon uniforme de majorettes!

J'allais à toutes les pratiques et toutes les parades, je n'en manquais pas une, j'aimais trop ça. J'étais rendue bonne pour faire toutes sortes de mouvements avec mon bâton argenté. J'aspirais un jour être promue pour jouer des cymbales, du tambour ou de la lyre, comme les grandes filles qui fermaient la parade. Moi, c'était la musique que j'aimais le plus mais j'étais trop petite encore alors je gardais mon rang, je suivais le rythme et je faisais partie fièrement de notre corps de majorettes. La bonne femme Kramer nous avait promis que si on continuait d'être bonnes de même, on irait peut-être au pageant à Rouyn (une grosse ville!...) l'été suivant. 

Papa avait vendu une auto usagée à la bonne femme Kramer au cours de l'hiver. Peu de temps après, elle a eu du trouble avec son auto et pourtant, Papa s'était assuré que la voiture était en excellente condition avant de la lui vendre. Même qu'il avait payé une partie de la facture lorsqu'elle l'avait fait réparer chez le mécanicien de son choix. C'est à partir de ce moment-là que la bonne femme s'est mise à crier de plus en plus souvent après moi. Elle me faisait peur avec sa voix de générale d'armée. J'aimais moins ça qu'avant aller à mes pratiques de majorettes. 

Un bon samedi matin, devant tout le corps de majorettes, elle m'appelle pour aller en avant et elle m'annonce que je ne pourrai plus faire partie des Rubis de Matagami parce que j'ai une jambe plus courte que l'autre... Elle m'indique le vestiaire où je dois aller tout de suite enlever mon costume et m'en retourner chez nous. 

J'ai tellement braillé quand je me suis retrouvée toute seule dans le vestiaire. Je n'avais jamais vu que j'avais une jambe plus courte que l'autre. Mes parents non plus. Mais peut-être que tous ceux qui m'aimaient ne voulaient pas me le dire pour ne pas me faire de peine? J'ai enlevé ma petite jupette, mes bottes blanches, j'ai marché d'un pas de majorettes dans le vestiaire, pieds nus, en bobettes, cherchant à savoir laquelle de mes deux jambes était plus courte que l'autre. Je ne voyais vraiment pas. Je ne comprenais pas. 

Une fois à la maison, j'ai annoncé ça à mes parents, qu'ils avaient une fille handicapée, avec une jambe plus courte que l'autre. La bonne femme Kramer m'avait jeté dehors des majorettes à cause de ça. J'avais de la peine de ne plus pouvoir être avec mes amies et mes cousines, on avait tant de plaisir ensemble. Je voyais s'envoler tous mes espoirs de jouer de la lyre un jour, d'aller au pageant à Rouyn avec tout le groupe... 

Les jours suivants, à chaque fois qu'il y avait du monde chez nous, Maman me faisait déambuler tout le long du salon et de la cuisine et du corridor (une roulotte, c'est fait en long!...) en leur demandant leur avis : « Trouvez-vous qu'elle a une jambe plus courte que l'autre, vous autres? », ce à quoi ils répondaient tous non. Et moi, à chaque fois, j'avais le goût de brailler. Une fois que Papa était là lorsqu'elle m'a fait déambuler dans la roulotte avec sa question qui tue, il a vu que j'avais peine à retenir mes larmes alors il a dit : « Elle n'a pas une jambe plus courte que l'autre, c'est la bonne femme Kramer qui est folle raide! » 

Je ne me souviens plus si les filles sont allées au pageant à Rouyn ou si mes cousines et mes amies sont restées bien longtemps dans les majorettes mais je me souviens que j'ai longtemps cru que j'avais une jambe plus courte que l'autre et que la bonne femme avait semé le doute dans mon esprit et celui de ma mère. Ce que je sais aujourd'hui, par exemple, c'est que quand t'es enfant et que t'es victime d'une injustice au point d'en être rejetée du groupe, ça sème le doute pour longtemps dans ton esprit.
 
Au fond, ce n'est pas grave et il n'y a pas de grand drame humain dans cette histoire et je n'en suis pas restée traumatisée tant que ça mais n'empêche, ce matin encore, 50 ans plus tard, en marchant au soleil d'un pas léger, dynamique, rythmé et entraînant, ce souvenir m'est revenu et j'ai eu besoin d'aller vérifier dans mes photos d'enfance si j'avais à cette époque comme aujourd'hui les deux jambes bien égales!