Photo prise chez nous, du balcon, l'été dernier. Étrangement, j'aime ces ciels tourmentés, qu'on dirait presque menaçants, avec des couleurs étranges, qui viennent arrêter le temps qui fuit, semer un peu d'éternité, entre l'ombre et la lumière... Je me suis toujours un peu trouvée là, entre l'ombre et la lumière.
Quand j'étais écrivain public, on me demandait souvent comment je faisais pour me mettre à la place de quelqu'un d'autre au point de pouvoir m'exprimer à leur place, en leur nom. C'était facile, je n'avais qu'à écouter ce qu'ils ne disaient pas et qui parle beaucoup plus que ce qu'ils disent. Alors, on me demandait quelle était la difficulté, le défi que je rencontrais souvent dans mon travail...
C'est difficile d'abandonner la paternité d'un texte, celui qu'on vient juste de mettre au monde, parfois dans la douleur, mais toujours avec le bonheur d'avoir donné le meilleur de soi, d'avoir réalisé quelque chose qui nous semble pour un instant à fois plus grand et meilleur que ce qu'on est. Créer, inventer, que ce soit en musique, en peinture, en mots, en images, en théâtre, en danse, c'est se mettre au monde aussi, et pour quelques instants, on est un peu amoureux de ce qu'on a trouvé à l'intérieur de soi, quand on a réussi à fixer sous la plume les visions fulgurantes aperçues à l'heure fugitive de l'inspiration...
Ce que j'ai écrit de mieux dans ma vie n'a jamais porté ma signature. C'est vrai que je suis plus à l'aise dans l'ombre que dans la lumière. Les coulisses, c'est ma place. La lumière m'aveuglerait peut-être. Pourtant, il y a eu bien des fois où, sans vouloir être sous les projecteurs, j'avais de la peine qu'on s'approprie le fruit de mon travail, qu'on le livre sans aucune âme comme une marchandise ou qu'on en prenne du crédit. Je me souviens d'une soirée où l'on a rendu hommage à trois hommes que j'admirais beaucoup : un bâtisseur, un jeune homme de la relève et un exemple d'excellence.
On m'avait confié le mandat de leur écrire un hommage. Un à un, je les ai rencontrés, j'ai enregistré notre entretien de quelques heures, vécu quelque chose d'exceptionnel avec chacun des trois puis j'ai été inspirée de ces rencontres et j'ai écrit les hommages. Dans la salle, on applaudissait à tout rompre ceux et celles qui livraient ces textes, laissant croire qu'ils et elles en étaient les auteurs(es). J'avais réussi à transmettre quelque chose de fort, de vrai, certains essuyaient une petite larme. J'applaudissais aussi, touchée de ces mots qui étaient les miens mais surtout de la réaction de ces trois hommes et de leur entourage. J'étais l'auteure... dans l'ombre, d'autres avaient besoin d'être dans la lumière...
Ces temps-ci, j'écris beaucoup pour mon travail. En fait, je suis pas mal débordée d'ouvrage. Je ne suis plus écrivain public mais encore maintenant, ce que j'écris ne porte jamais ma signature. Ça ne me fait rien, bof... presque rien, j'y suis habituée, je me console en me disant que je suis l'une des rares au Québec à gagner ma vie avec ce que j'écris, que j'ai au moins une chose en commun avec Michel Tremblay!
Une fois, c'est arrivé où je suis peut-être passée de l'ombre à la lumière. Je vous raconte.
Au temps où la municipalité de Lac Dufault n'était pas encore fusionnée à Rouyn-Noranda, le petit journal du village était publié et distribué 6 fois l'an. Le maire me demandait chaque fois d'écrire quelque chose pour boucler la boucle, un texte rassembleur pour la couverture arrière de notre petit journal. Gratuitement, bien sûr, la municipalité n'était pas riche et il disait tout le temps comme Séraphin, « La corporâtion est pauvre ». Je disais oui, je n'ai jamais su dire non. À un moment donné, il ne me le demandait même plus, il se contentait de me dire quelle était la date où on allait en impression et j'apportais mon texte, sur une disquette, aux bureaux de la municipalité.
Une fois que j'apportais ma disquette, on avait reçu une lettre de la part des organisateurs du Festival de la poésie de Trois-Rivières. On demandait aux maires des villes et villages du Québec de proposer des candidatures de textes et de poètes de chez eux. On donnait les critères et les consignes pour y participer. On allait en choisir quelques-uns qu'on allait publier, textes et signatures gravés dans la pierre du monument au Poète inconnu, et qui serait dévoilé lors des cérémonies d'ouverture du Festival.
Mon maire, qui avait l'impression de m'en devoir une je suppose, m'a demandé s'il pouvait proposer ma candidature. J'ai accepté et lui ai donné les mots d'une chanson que j'avais écrite. J'étais attachée à ce texte-là parce qu'il m'avait permis de vivre quelque chose de merveilleux. Je l'avais écrit pour moi, en pensant à Crocodile Dundee, mais par un concours de circonstance imprévu, je l'avais offert à une famille qui célébrait les 50 ans de mariage des parents, Hervé et Solange. Comme écrivain public, on m'avait confié l'écriture de l'hommage (ce que les gens appellent l'adresse mais qui n'en est pas une du tout!...) les invitations et quelques bricoles autour mais quand on m'a parlé d'une chanson qui mettrait en valeur les talents de la petite-fille, très en voix, et des musiciens qui l'accompagneraient, j'ai proposé la mienne, déjà écrite, paroles et musique, et qui convenait parfaitement, surtout que Solange aimait tellement jouer de la guitare.
J'ai donc enregistré mon interprétation toute simple, guitare et voix, sur une cassette audio, et, timidement, je leur ai remis ma chanson pour qu'ils s'en servent à leur guise. J'étais honorée. Ils ont tenu à ce que j'aille à la fête. Pour le souper et les célébrations familiales en soirée, j'ai poliment refusé mais pour la partie « publique », dans l'église, j'ai accepté avec joie. J'étais donc assise dans le dernier banc de l'église du village d'Evain le jour du 50e anniversaire de mariage des parents. Quand je l'ai entendue, ma chanson, si bien chantée par leur petite-fille et enrobée de ma musique, devenue tellement plus belle parce que jouée par trois merveilleux musiciens, deux guitares et un violon... Je peux pas vous dire... Dans mon coeur, j'ai eu plein de sentiments mélangés...
Imagine quand nous ne serons plus jeunes
Quand nous courberons sous le poids des ans
Le coeur usé mais l'esprit devenu sage
L'amour vaincra le passage du temps
J'inventerai pour toi les plus belles histoires
Je te raconterai l'ivresse de nos trente ans
Et nous rirons ensemble de ce temps mémorable
Où l'on s'aimait quand même si l'on manquait de temps
Imagine quand nous prendrons de l'âge
Quand nous aurons construit tous tes châteaux
Quand il y aura sur nos joues des sillages
Mais que nos âmes s'aimeront comme il faut
J'aurai gardé pour toi des projets et des rêves
Et je me souviendrai de ce que tu aimais
Et nous profiterons de ces heures trop brèves
Parce que nous saurons qu'elles ne reviennent jamais
Imagine quand nous serons plus fragiles
Quand nous ferons le même petit jardin
Quand tous les mots seront bien inutiles
Et que ton regard cherchera le mien
J'aurai encore pour toi des accords de guitare
Et nous irons chantant le même doux refrain
À nos petits-enfants qui seront notre gloire
Et qui nous parleront de leurs nombreux demains
Et qui nous parlerons de leurs nombreux demains...
Croyez-le ou non, mon maire a reçu quelques semaines plus tard, une lettre officielle du Festival international de poésie de Trois-Rivières. J'avais été choisie, moi, une citoyenne de Lac Dufault, pour que ce texte et ma signature soient gravés dans la pierre du monument au Poète inconnu!
Il faudrait bien que j'aille voir, à Trois-Rivières, si c'est vrai qu'il y a un monument au Poète inconnu et que pour une fois, je serais passée de l'ombre à la lumière...