jeudi 24 mai 2007

La saison des cadeaux



J'ai pris ces photos l'été dernier à notre camp à Rapide Deux. Pour les tites fraises, ça devait être autour de la Fête Nationale mais pour les ti thé (chiogène hispide) je ne me souviens plus de la date où les fruits sont mûrs comme sur la photo. Ce ne sont que deux des cadeaux que la nature nous offre généreusement, il suffit de se pencher pour les ramasser...

Les plantes de la forêt boréale me fascinent tellement que je les prends en photos constamment comme si je voulais m'en faire une sorte d'herbier virtuel. Je pousse même l'exagération jusqu'à les admirer pendant l'hiver en attendant la saison prochaine. Il m'arrive de chercher pendant longtemps à identifier une plante, un arbuste, à savoir si un fruit est comestible ou utile à l'humain. Les champignons, j'aimerais vraiment les connaître mieux mais je ne me fie pas encore à moi. Un gars que je connais un peu vient de publier un ouvrage fascinant et très bien illustré que je me suis procuré et que je dévore ces temps-ci : « Les plantes de la forêt boréales » par Roger Larivière, publié aux éditions de l'Homme.

Mais là, je suis bien énervée parce que ma saison débute à peine. Ce que je goûte en premier, en mai, ce sont les fruits du thé des bois, je viens d'apprendre leur vrai nom : gaulthérie penchée. C'est grâce à Roger et à son livre que je sais ça mais il m'a fait découvrir en plus que les feuilles peuvent être mâchées ou infusées. Quand je pense à ce que j'ai gaspillé en ne mangeant que les fruits! Ce que je cueille ensuite, ce sont les jeunes pousses de sapin. Vous savez peut-être qu'elles sont d'un vert plus pâle, gorgées de sève et de vie. Ça sent tellement bon. Ça ne fait pas mal au sapin du tout, c'est comme nous, quand on se fait couper les cheveux. J'en cueille des pleins sacs. Qu'est-ce que j'en fais? Du sirop de sapin. Bien sûr, je m'organise pour pouvoir en faire toute l'année, alors, je congèle le plus gros de ma récolte. Un jour, je vous partagerai ma recette secrète. Je vous le dis, le sirop de sapin, ça peut réveiller un mort!

Après, vient le temps des tites fraises. Rien à voir avec des fraises cultivées, ces grosses fraises obèses de la Californie semblent inodores, incolores et sans saveur à côté de ça, je vous assure. Ça demande de la patience et un bon dos ou alors, il faut être passionnée très énormément beaucoup. Le phénomène étrange, c'est que quand on croit qu'on achève la cueillette parce que notre dos n'en peut plus, c'est toujours là qu'on tombe sur une talle qu'on ne peut pas laisser là.

Puis, la saison se poursuit à son rythme ensoleillé qui lui est propre et là, je deviens hyperactive. En juillet, il y a les framboises, les poires sauvages, les gadelles, les ti thé, les bleuets, ça dure jusqu'en août. Les ti thé, je ne les cueille pas en grande quantité d'habitude, je me contente de profiter de ce qui s'offre à moi quand je passe à côté mais comme il y en a tout le tour de notre camp, cette année, je me propose de congeler les petits fruits blancs et les feuilles. Ça goûte tellement bon, ce thé qu'on fait avec les petites feuilles, on dirait une boisson faite de peppermint roses. On dit que ça goûte la menthe mais je trouve que c'est mieux que ça. En prime, je viens d'apprendre que ça contient une substance proche de l'aspirine. Ça ne m'étonne pas du tout, je n'ai jamais mal nulle part quand j'en mange ou que j'en bois!

Les merises (fruits du cerisier de Pennsylvanie) en général, je les laisse aux oiseaux qui en raffolent plus que moi. J'ai entendu dire que ça les saoule. Je pense que le mâle tétras qui fait son macho en avant de notre camp est pas mal porté sur les excès de merise, il me semble qu'il agit parfois comme un gars en état d'ivresse qui cherche la bagarre!

Je sais qu'en septembre, je devrais cueillir les champignons qui sont variés et nombreux près du camp. Je connais bien les talles mais je n'en profite pas. Un jour, je vais suivre un cours de base, c'est certain, ça manque vraiment à mes connaissances. Et en octobre, là, c'est le summum, la cerise sur le sundae, les atocas ou ce qu'on appelle les canneberges sauvages. Un vrai délice. Des bonbons acidulés, je vous dis. En plus, au moment où elles sont mûres, il n'y a plus d'insectes qui nous dérangent et la température est vraiment idéale pour la cueillette. Les talles sont rares, on les trouve seulement dans une tourbière mais depuis quelques années, j'en ai découvert une au bout de notre territoire. Vous dire ce que ça m'a fait ce jour-là...

Ça faisait longtemps que « Ti-Cric » (Roger Larivière) travaillait à l'édition de son bouquin, ça faisait aussi très longtemps que nous étions nombreux à attendre avec impatience le fruit de son travail et de ses recherches. Professeur en biologie au Cégep de l'Abitibi-Témiscamingue, il a surtout enseigné aux étudiants en foresterie, dont mes deux frères, c'est comme ça que je l'ai connu. Pour moi qui ai toujours été passionnée par la faune et la flore boréale, son bouquin m'arrive comme un des nombreux cadeaux, un des grands bonheurs de cette saison.

mardi 22 mai 2007

Un 29e anniversaire de mariage pas très conventionnel

Cette photo a été prise le 20 mai 1978 au sortir de l'église où nous nous sommes mariés dans la plus stricte intimité, entourés de nos deux familles immédiates. J'avais 20 ans, lui, 21, et si cette photo est ma préférée, c'est qu'elle n'est pas conventionnelle et qu'au fond, je la trouve plûtôt représentative de nous, de notre vie.

Je l'ai connu en huitième année, ce qu'on appelle maintenant le secondaire I. J'avais 13 ans, lui, 14, et dans notre école en ruine qu'on appelait « le poulailler », les groupes étaient divisés par ordre alphabétique selon la première lettre du nom de famille. Nous nous sommes retrouvés dans la dernière classe, la 8-6, avec les autres R-S-T-V-W. Voisins de pupitre pendant toute l'année, du matin au soir, il n'y a pas de hasard, juste des rendez-vous! Les professeurs se succédaient en avant de la classe mais les élèves ne changeaient jamais de local, c'était comme ça cette année-là. Notre complicité a été instantanée, c'est comme si on s'était toujours connus, peut-être parce que nous venions d'ailleurs tous les deux. Sa famille arrivait à Rouyn-Noranda en provenance de Ville-Marie, au Témiscamingue et la mienne, de Matagami, région Nord-du-Québec.

Vous m'auriez dit à cette époque que j'épouserais un jour ce gars-là que je ne vous aurais pas cru. Ah, il était sympathique, drôle, gentil, charmant, sensible, généreux, intéressant, allumé, brillant, juste un peu délinquant et très attentionné mais il était dans une sorte de catégorie à part. Dans les travaux d'équipe, la question ne se posait même pas, on travaillait ensemble. Pourtant, on était si différent l'un de l'autre. Les meilleurs amis du monde. D'ailleurs, les profs nous appelaient en jumelant constamment nos noms de famille. Nous avons traversé nos années d'adolescence avec nos amis, nos cours, nos projets, nos sorties, nos amours, nos vies, sans jamais se douter qu'on allait vivre ensemble une histoire d'amour.

Des âmes soeurs qu'ils disent...

On aurait dû s'en douter par exemple parce que chaque fois qu'on était ensemble, il se passait toujours quelque chose d'heureux et d'indéfinissable. Combien de fois avons-nous fait semblant d'être ensemble et amoureux, comme si on avait répété cette pièce de théâtre, pour calmer les ardeurs d'un prétendant trop insistant à mon égard ou alors, toutes ces fins de soirée entre amis où l'on n'arrivait plus à se quitter et qu'on décidait de partager ensemble un riz frit au poulet au seul restaurant qui restait ouvert toute la nuit.

Pendant ce temps-là, j'ai eu des copains genre un peu amoureux et lui, quelques blondes, mais rien de tout cela n'était assez sérieux pour empêcher que lorsqu'on se rencontrait, on retrouvait notre bulle, on retombait dans notre univers à nous, on avait plein de choses à partager, à se raconter. Il lui arrivait parfois de me dire de me méfier de tel gars qui ne me méritait pas... Et moi, j'avais si peur de l'amour et de l'engagement, je tenais beaucoup à ma liberté.

Puis, à mes 18 ans, quand mes amis m'ont fait une grosse fête surprise, il n'est pas venu. Ça ne m'avait pas dérangée du tout, je croyais seulement qu'il devait être trop occupé ou qu'il avait mieux à faire. Pourtant, il avait dit à mes amies qu'il serait là. Quelques mois plus tard, il est parti travailler au loin, à la Terre de Baffin plus exactement, dans le Grand Nord, pour une période de trois mois. Je l'avais vu le dernier soir avant qu'il parte, on avait même dansé ensemble, ce qui n'était pas dans nos habitudes et je lui avais souhaité bon voyage et tout. On avait encore terminé la soirée en partageant un riz frit au poulet au Cordon Bleu jusque tard dans la nuit, évidemment que les autres étaient tous partis mais qu'on ne s'en était pas rendu compte.

L'absence qui laisse un vide

Pendant cet été-là, j'avais pris de la maturité avec mon emploi qui me passionnait, des responsabilités nouvelles, les sorties moins nombreuses et puis surtout, mon intérêt n'était plus le même pour le night life de Rouyn-Noranda. Mes amies m'appelaient, me proposaient plein de choses mais j'avais toujours trop à faire pour les accompagner. Bref, il me semblait que c'était plate en ville! Je rencontrais souvent sa soeur la plus jeune qui me disait que si je voulais lui écrire à la Terre de Baffin, les lettres d'amis étaient bienvenues puisqu'il s'ennuyait beaucoup là-bas. Elle insistait délicatement. Je croyais qu'il devait traverser les mêmes états d'âme que moi, alors, je ne lui avais pas écrit, jugeant qu'il allait recevoir sûrement de nos autres amis des lettres plus réjouissantes que les miennes.

J'avais su vaguement au cours du mois d'août qu'il était revenu en ville après son contrat dans le Grand Nord mais je ne l'avais pas revu. Mon cousin se mariait, j'avais hâte d'aller à ce mariage, revoir tant de monde de la famille, des amis. Aux noces, un gars un peu collant ne me lâchait pas d'une semelle mais je n'avais aucune raison de ne pas lui tenir compagnie. Je regardais souvent vers la porte d'entrée, je ne sais plus trop pourquoi, on aurait dit que j'attendais quelqu'un.

7 pieds et 4 et lumineux

Je n'avais même pas pensé qu'il aurait pu être à ces noces-là, malgré le fait qu'il était ami lui aussi avec mon cousin. Tout à coup, en regardant une millième fois vers la porte d'entrée, j'ai eu une apparition : C'était lui. Oh la la la que c'était tellement lui qui apparaissait dans la porte d'entrée. C'était comme s'il avait eu sur lui tous les projecteurs. Avait-il tellement changé pendant ces trois mois? Non, pas du tout, il était tout à fait le même. Mais il y a eu ce véritable électrochoc, ce soir-là, qui a tout changé. Nos amis l'attendaient à une grande table où ils lui avaient réservé une place mais il ne semblait pas les voir et il est venu vers moi avec son grand sourire...

Nous avons retrouvé avec bonheur notre complicité habituelle, notre petit subterfuge laissant croire que nous étions ensemble, de vrais amoureux, ce qui a fait déguerpir doucement le gars trop collant, sauf que là, c'était vrai pour le vrai, ce n'était pas un rôle qu'on jouait, on venait de le comprendre. Nous ne nous sommes plus jamais quittés depuis. C'était le 14 août 1976, on se mariait le 20 mai 1978, pour le meilleur et pour le pire. Jusqu'à maintenant, il y a eu pas mal plus de meilleur que de pire.

Comment réinventer les anniversaires? Laissez faire la vie!

Dimanche dernier, en principe, on aurait dû célébrer notre 29e anniversaire de mariage. Mille choses sont arrivées pour nous en empêcher, la vie a parfois de curieuses façons de nous amener ailleurs. On n'a jamais rien fait de conventionnel, on en convient et les tête-à-tête dans un restaurant chic, ça ne nous ressemble pas du tout.

Après trois jours chacun de notre côté à régler des problèmes qui ne concernaient pas du tout notre vie amoureuse, on s'est retrouvé dimanche soir à casser la croûte ensemble, très tard, complètement épuisés, en se disant que c'était dommage de ne pas avoir célébré cet anniversaire de mariage comme du monde. Alors, j'ignore comment ça s'est produit mais on s'est mis à se reparler de l'époque où l'on n'était que des amis, les meilleurs amis du monde. C'est curieux qu'on n'avait jamais pris la peine de se raconter nos perceptions de l'époque de notre amitié. On a appris une foule de choses dans la légèreté et dans l'humour, et c'était, je crois, une façon merveilleuse de célébrer cet anniversaire. Je regrette quasiment de ne pas nous avoir cuisiné un riz frit au poulet, ça aurait été, il me semble, assez de circonstance!

mercredi 16 mai 2007

Un sentier qui mène loin

Cette photo que j'ai prise la fin de semaine dernière montre le bras de rivière qui mène jusqu'à notre camp. Je vous ai souvent présenté la fin de ce bout de rivière, là où les orignaux nous visitent parfois. Ce qu'on voit ici, quand on regarde au bout de l'horizon, ce n'est que le rivage de la rivière des Outaouais, là où elle croise la rivière Darlens.

Cette rivière des Outaouais recèle pour moi tant de mystères et d'émerveillement. Elle est la plus longue rivière que nous avons au Québec, avec ses 1 270 km. Tout au long de son parcours, elle se calme ou s'agite, permettant ici ou là des centrales hydroélectriques, des usines de toutes sortes, spécialement celles en lien avec l'exploitation de la forêt et elle souffre de la pollution humaine et industrielle, particulièrement en coulant vers le sud, à mesure qu'elle s'approche de Gatineau et qu'elle poursuit sa course jusqu'au fleuve Saint-Laurent, étant son principal affluent.

Quand mon esprit se perd en rêverie, je mijote follement de partir en canot de notre camp pour me rendre jusqu'à vous tous. Bien sûr, je devrais faire beaucoup de portages mais c'est quand même le chemin qui mènerait de façon certaine jusqu'au fleuve et ensuite jusqu'à la mer.

Quand je me mets à voyager ainsi, sur les ailes de mon imaginaire, ça me plaît de penser qu'en ramant sans relâche, je pourrais visiter tout au long de ma route des amis, de la famille, dans la région des Hautes-Laurentides, de l'Outaouais, de Montréal, et qu'une fois rendue au fleuve, je poursuivrais ma route et j'arrêterais dans chacune des régions qui le bordent, jusqu'au Golfe Saint-Laurent, je retournerais enfin aux Iles de la Madeleine, pays de mes parents, grands-parents, arrière... où je séjournerais quelques temps. Après, j'attaquerais la grande bleue, j'irais de l'autre côté de l'Atlantique, je voudrais voir la France, l'Espagne, le Portugal, partout, partout, et je voudrais essayer de comprendre pourquoi j'aime tant l'Irlande sans l'avoir jamais visitée...

Mais je reviens sur terre. Ce n'est pas le chemin que je prendrai demain, ce serait plutôt la 117 sud, tout simplement, comme tout le monde. Je vais chercher ma belle-maman en vacances depuis une semaine à St-Jérôme chez sa fille, ma belle-soeur donc. Je la ramènerai chez elle, chez nous, à Rouyn-Noranda. Belle-Maman n'aime pas prendre l'autobus et moi, j'aime conduire ma petite voiture, j'ai donc offert de conduire ce trajet en guise de cadeau de la fête des mères.

Ça lui a plu. À 85 ans, bientôt 86 ans, ces voyages la fatiguent beaucoup et nous essayons de l'entourer du mieux qu'on le peut pour qu'elle puisse continuer de les faire. Je sais qu'elle aura profité de son petit voyage, des retrouvailles avec ses enfants, frères, soeurs, elle me le racontera en détails et je l'écouterai, ravie. Elle aura hâte aussi d'arriver à bon port, me parlera de son amoureux de 91 ans qui l'attend. À cet âge, l'amour est si tendre qu'il ne supporte pas la distance. Ça me rappelle un bout d'une chanson que j'avais écrite un jour :

Imagine... quand nous prendrons de l'âge
Quand nous aurons construit tous tes châteaux
Quand il y aura sur nos joues des sillages
Mais que nos âmes s'aimeront comme il faut

J'aurai gardé pour toi des projets et des rêves
Et je me souviendrai de tout ce que tu aimais
Et nous profiterons de ces heures trop brèves
Parce que nous saurons qu'elles ne reviennent jamais

Alors, je viens de me faire une promesse solennelle à moi-même : Si j'accepte si facilement de conduire pendant ces longues heures pour faire plaisir à une personne, je devrais aussi me traiter avec le même égard, moi qui aime tant voyager. Donc, cet été, je me promets de partir juste pour le plaisir de partir, au moins une semaine, toute seule, avec peu de bagages mais beaucoup de rêves, au gré du vent, au gré du temps. C'est comme ça que je choisis de célébrer mon 50e anniversaire, le 07/07/07. Ce sera l'occasion pour moi de faire le bilan de ce que j'ai vécu jusqu'à maintenant et surtout de ce que j'aimerais vivre pour me rendre jusqu'à mon 100e anniversaire de naissance...

lundi 14 mai 2007

L'espérance n'est pas un leurre, c'est le pouvoir de rêver grand...


Sur la photo 1 que j'ai prise samedi dernier, vous voyez une pie qui vient chercher des miettes de pain sur mes genoux. Elle venait aussi en chercher dans ma main mais ce n'était pas facile de prendre la photo sans bouger. Sa copine faisait la même chose et j'ai voulu qu'elles viennent les deux en même temps mais je n'ai pas réussi, chacune attendait que l'autre reparte pour venir à son tour, comme s'il s'agissait d'un ballet savamment orchestré...

La photo 2 prise aussi samedi vous montre mon poste d'observation, ce qu'on appelle ici une « watch » ou encore un mirador. C'est là que j'ai vu au fil des années plusieurs orignaux, castors, loutres, etc. Ma watch principale (j'en ai d'autres) est située tout près du camp. Crocodile Dundee y faisait du débroussaillage la fin de semaine d'avant lorsqu'il a vu Tite Caramelle marcher au bout de la rivière, dans le foin jaune, à l'orée du bois, juste avant qu'elle disparaisse dans la montagne.

La fin de semaine a été superbe, il faisait soleil et pas trop chaud pour travailler en forêt et explorer un peu. Tout en charroyant les branches coupées du débroussaillage pour les amener plus loin en forêt et dégager notre vision proche du camp, on en profitait pour aller faire le tour de toutes nos salines (les blocs de sel qu'on met pour attirer les orignaux) et les endroits qu'on visite peu souvent. On voulait savoir ce qui se tramait chez les orignaux. On n'a rien vu, absolument rien, comme si la vie s'était arrêtée pour eux... au moment même où la vie va naître.

Peu de pistes ou alors, des pistes qui dataient d'au moins une semaine. Rien de neuf à signaler. La femelle orignal quand elle est bien lourde et sur le point d'avoir son petit, limite ses efforts et ses transports. C'est probablement ce qui se produit en cette mi-mai. Nous n'avons pas voulu aller sur les îles ou les presqu'îles, il faut respecter ce besoin d'espace au moment où la vie va éclore.

Dès qu'il viendra au monde, le tout petit, après quelques heures seulement, saura se tenir debout et suivra sa mère dont le lait abonde ainsi que les instincts maternels. Elle l'amènera peut-être à la saline toute proche, ils auront besoin tous les deux de ces minéraux en attendant que les plantes aquatiques (si riches en sels minéraux) soient à leur portée, début juillet. Les nouvelles feuilles seront nourrissantes, délicieuses et quand les branches seront trop hautes, la Môman orignal les courbera avec sa gueule jusqu'à la hauteur du petit. J'ai déjà vu ça, c'est touchant à voir...

Mais pour le moment, c'est le calme plat dans la forêt. Je me suis consolée en jouant avec les pies, j'ai revu mes deux lièvres, je les appelle les deux petits frères, ils ont passé la fin de semaine aux alentours du camp, ils aiment bien la laitue mais les carottes, c'est vraiment pas leur truc, ça marche juste dans les dessins animés de Jeannot Lapin. Les crapauds se courtisaient, je ne les ai pas vus mais je les ai entendus comme s'ils avaient eu des hauts parleurs. Je pensais alors à la chanson de Félix Leclerc qui finit par « Et les crapauds chantent la liberté... »

Mon petit macho (tétras des savanes) est encore venu essayer de m'impressionner en déployant tout son arsenal de plumes, le torse bombé, marchant en faisant du bruit comme s'il mesurait 7 pieds et 4, grimpé sur son monticule en me tournant le dos. Je lui ai fait croire que ça marchait, je suis rentrée dans le camp, alors, il est reparti content vers le sous-bois où ses poulettes l'attendaient. Je pense que j'ai fait sa soirée, de temps en temps, je lui laisse sa chance comme ça, mais Crocodile Dundee, lui, n'arrive qu'à le provoquer en imitant le même son à la perfection. Je me demande lequel des deux tient le plus à sa virilité mais il y a juste Crocodile Dundee qui trouve ça drôle, le petit macho, lui, ça le met hors de lui. Leur testostérone s'affronte, probablement...

J'avais apporté du travail à faire, une pleine valise, je déteste toujours quand je dois faire ça, on dirait que ça m'empêche de décrocher complètement de ma vie qui va trop vite. Je me suis faite une promesse : plus jamais je n'amènerai la ville en forêt! Je fais ça souvent, moi, je me fixe des objectifs, je tends vers mieux, je vis d'espérance... Un jour, j'avais débuté ainsi un texte qui rendait hommage à nos pionniers : « L'espérance n'est pas un leurre, c'est le pouvoir de rêver grand. »

vendredi 11 mai 2007

Tite Caramelle est maintenant autonome







D'entrée de jeu, je vous le dis, j'ai pris les deux premières photos mais la dernière n'est pas de moi, elle fait partie de ma collection de photos d'orignaux. Ces animaux sauvages et majestueux me fascinent, je les observe avec une grande admiration, si vous me lisez parfois, vous le savez déjà. J'aimerais bien donner le crédit photo à son auteur(e) mais j'ignore qui a croqué cette image. Savez-vous pourquoi l'orignal semble se régaler de cette saleté sur ce camion? C'est que sur nos routes, l'hiver, on met du calcium, du sel, et les orignaux raffolent de ça. Mon frère et son fiston, sur le site des Merveilles de l'Abitibi-Témiscamingue. (premier lien en haut à droite de cette page) ont aussi exposé cette photo à laquelle ils ont donné un titre que je trouve assez mignon : « Après le lave-auto mousse, voici le lave-auto moose! »

Tout ce préambule, en fait, parce que je veux illustrer une grande chose qui s'est produite la fin de semaine dernière à notre camp de Rapide Deux. Je n'y étais pas moi-même, ayant d'autres obligations, mais Crocodile Dundee y était, a tout vu et me l'a raconté.

Vous savez peut-être que j'ai été privilégiée dès le printemps dernier de prendre plusieurs fois en photo cette Môman orignal et son tout petit, prématuré, que j'ai appelé Ti-Caramel. La Môman était très jeune, toute frêle et elle a fait preuve d'un instinct maternel hors du commun qui m'a charmée et émue. Elle a trouvé qu'il valait mieux, pour protéger son petit des nombreux prédateurs, de passer le plus de temps possible dans le petit bout de rivière sinueuse près de notre camp. Voir la deuxième photo. De nous, elle ne semblait pas avoir peur, on a même eu l'impression qu'elle était venue nous le présenter. C'est la première photo. J'ajoute que si vous voulez voir de plus près, vous pouvez cliquer sur les photos pour les agrandir.

On a suivi l'évolution du petit pendant une bonne partie de l'été. Ils étaient toujours collés l'un à l'autre. À l'automne et pendant l'hiver, leurs pistes nous disaient beaucoup sur leur comportement, leurs allées et venues, et c'est comme ça qu'on a su, dernièrement, que Ti-Caramel, était en fait, Tite-Caramelle, les pistes et les comportements nous le démontraient hors de tout doute.

Pendant la saison des amours, l'automne dernier, la Môman s'est faite très invitante (ça s'entendait dans la forêt des alentours) et d'ailleurs, un petit mâle bien à son goût n'a pas été sourd à cet appel. J'ai croisé l'amoureux un soir d'octobre, alors qu'il avait pris mes appels (mes câlls) pour ceux de sa belle. Il a décampé en vitesse et je suis restée étonnée plus que lui. Ils ont passé quelques jours ensemble, dans le plus fort de la saison des amours, donc, nous savions qu'elle avait conçu un autre petit et que ce printemps venu, elle pousserait Tite Caramelle à l'autonomie, à l'approche de la mise bas. La nature est ainsi faite.

Ce qui est étrange, c'est qu'elle ne change pas de territoire, la Môman, elle se considère chez elle chez nous, pour notre plus grand bonheur. C'est sûr que tout est parfait pour elle, il y a de la forêt, de la bouffe, des aires de protection de chaque côté de la rivière, des abris sous les grands pins, des sentiers naturels, etc. Il faut dire aussi qu'on lui place des blocs de sel à quelques endroits stratégiques, elle en raffole, comme on l'a vu plus haut. Dernièrement, on avait pu constater, avec inquiétude d'abord, que les pistes de la Môman et de Tite-Caramelle s'éloignaient parfois, tellement qu'on a eu peur que la petite n'ait pas passé l'hiver et puis, on a revu les pistes qui se suivaient, de plus en plus côte à côte.

Samedi dernier, pendant que Crocodile Dundee faisait du débroussaillage en face du camp, de l'autre côté de la rivière, Tite Caramelle, probablement curieuse de ce nouveau bruit-là qui s'entendait dans la forêt des environs, est venue voir. Méfiante quand même un peu mais pas trop, elle s'est éloignée dans la montagne d'en face en marchant lentement, se retournant parfois, l'air de dire : « Mais qu'est-ce que c'est que cette drôle de créature qui fait ce bruit? » Selon Crocodile Dundee, elle avait l'air d'errer comme une âme en peine un peu, ne sachant trop où aller, ni quelle direction prendre, signe que l'autonomie, au début, ce n'est jamais très évident.

Et Crocodile Dundee a eu la certitude que c'était Tite Caramelle, à cause de sa couleur un peu plus pâle que le brun foncé habituel. Elle a bien grandi, Tite Caramelle, l'hiver ne semble pas avoir été trop dur, à part le fait que son poil est... de mauvais poil. La petite était seule, pas de Môman aux alentours... Elle doit maintenant faire face à la nature de manière autonome et on pense qu'elle ne demeurera pas longtemps sur ce territoire. Par contre, la Môman orignal semble s'attacher à ce coin de forêt puisqu'elle y revient sans cesse. Peut-être à cause de nos blocs de sel...

Crocodile Dundee et moi, on y va demain matin à notre camp, on en reviendra juste pour le souper de la fête des mères. J'espère voir Tite Caramelle mais je crains qu'elle soit partie ailleurs, plus loin, vers son propre destin. Nous irons sur ses traces, je vous l'assure, et j'aurai mon appareil. La Môman orignal pourrait avoir son nouveau petit très bientôt. En principe, elle choisira une petite île ou une presqu'île de la rivière d'où elle peut voir venir les ours et les loups qui rôdent en cette saison et mieux s'en protéger. Je vous tiens au courant s'il y a des développements...

jeudi 3 mai 2007

LA FÊTE DES MÈRES


Évidemment, je n'ai pas pris cette photo moi-même puisque c'est moi la petite qui, à 5 mois et demi, avait l'air de se tenir debout... avec de l'aide. Cette photo en noir et blanc a été prise à la toute fin de l'année 57, ça vous dit mon âge, et elle me fait réaliser que c'est d'ailleurs le rôle d'une mère de susciter, d'encourager et de supporter les apprentissages, les découvertes, les défis, les espérances et les réalisations de son enfant...

J'ai beaucoup réfléchi au rôle de la mère. Sans doute parce que je viens d'une lignée de femmes qui avaient quelques points communs, comme le fait de ne jamais rien prendre pour acquis, de remettre en question des choix que d'autres croyaient qu'elles n'avaient pas... Peut-être aussi parce que j'ai voulu très fort, dès les premiers mois de mon mariage, avoir des enfants et que ce désir a pris 8 ans à se réaliser.

De mon arrière-grand-mère maternelle jusqu'à ma fille, 5 générations se succèdent avec plus ou moins 25 ans de distance. Chacune de nous n'a pas suivi nécessairement les mouvements de son époque, comme si c'était dans nos gênes d'être un peu marginales, un tantinet rebelles...

La première

Mon arrière-grand-mère, Luce Jomphe, est née, a vécu et est décédée à Havre-aux-Maisons aux Iles de la Madeleine. Aînée de sa famille, elle a fréquenté l'école assez longtemps pour être enseignante et donner naissance à une grande famille. Je l'ai connue un peu aux Iles, l'année de mes 15 ans, je suis tombée sous le charme de cette femme passionnée de la vie et nous avons continué à correspondre jusqu'à son centième anniversaire où son écriture laissait voir quelques signes de fatigue. Oh, elle n'en écrivait plus très long vers la fin mais juste assez pour entretenir ce lien qui nous unissait. Elle est décédée quand elle l'a décidé, après avoir fait ses adieux à ceux qui l'entouraient et dans la plus grande sérénité. Elle venait d'avoir 103 ans.

La deuxième

Sa fille, ma grand-mère, Eva Poirier, je l'ai trop aimée pour bien vous la décrire. Née elle aussi aux Iles de la Madeleine, elle décide un jour, enceinte de son 6e enfant, que pour assurer leur avenir à tous, il valait mieux quitter sa terre et la mer, avec mari et enfants, pour aller s'établir en pays neuf, l'Abitibi. Aînée de sa famille, on l'avait faite instruire assez pour qu'elle puisse transmettre à son tour son enseignement aux enfants, une vocation fort bienvenue dans ce pays neuf où tout était à faire, ce qui ne l'a pas empêchée d'avoir 9 enfants. Elle a habité avec nous au décès de Grand-Papa, j'ai partagé sa chambre, son lit pendant toute mon adolescence... Je m'endormais toujours avec le bruit de fond de ses Notre Père, Je vous salue Marie et Gloire soit au Père! Nous étions si proches l'une de l'autre qu'elle passait son temps à me placer « sous la protection de la Sainte Vierge »... C'était pour elle une preuve d'amour infini et je me sens protégée jusqu'au fond de l'âme juste parce qu'elle y croyait...

La troisième

Ma mère, Rita Poirier. Comment parler d'elle en peu de mots... Vous savez ce qu'est une mère? Née aux Iles elle aussi, elle était adolescente quand sa famille est venue s'établir en Abitibi. La mer lui a beaucoup manquée au début mais elle s'est enracinée ici de tout son être. Aînée de sa famille, c'est elle qu'on a envoyée s'instruire à Québec pour qu'elle puisse revenir à son tour faire bénéficier d'autres de sa formation d'enseignante. Une professeure dans l'âme, ma mère, jusqu'au bout des doigts. Elle a fait de nous, ses trois enfants, ce que nous sommes, elle nous a construits littéralement en nous laissant croire qu'on était capable de tout. À son époque, les mères ne travaillaient pas à l'extérieur. Elle, oui. J'étais la seule enfant aux alentours à aller dans une garderie. Maman ne se définirait pas comme une féministe mais si vous saviez jusqu'à quel point elle a fait avancer, sans le vouloir nécessairement, la cause des femmes!

La quatrième

Et moi... Je suis la première de notre lignée de femmes à être née en Abitibi, je n'ai pas seulement des racines ici mais aussi des algues qui s'étendent jusqu'à toucher l'autre rive, si fertile. Aînée de ma famille, si je n'ai pas oeuvré dans le monde de l'éducation, c'est une erreur de parcours que je comprends mieux et que j'assume aujourd'hui. Toutefois, comme celles qui m'ont précédée, la langue française m'a servi à garder vivants tous mes liens et à gagner ma vie. Je n'ai jamais imaginé que j'aurais pu ne pas avoir d'enfant. Mais j'avais le choix par exemple. Biologiquement ou par adoption, je me devais de redonner parce que j'avais tellement reçu!

La cinquième

Ma fille, Isabelle a 20 ans. Née aussi en Abitibi, elle est décidée d'y faire sa vie même si elle a déjà voyagé avec grand bonheur dans quelques parties du monde. Elle a adoré son séjour de 4 mois dans l'Ouest canadien mais elle en est revenue plus nationaliste que jamais. Elle aurait pu facilement vivre heureuse dans le sud de la France, dans le nord de l'Espagne, en République Dominicaine aussi mais chez elle, c'est ici. Elle sera enseignante en français, elle entre à l'université dans quelques mois parce qu'elle pense qu'il faut « mettre beaucoup de passion et de créativité dans notre manière d'enseigner le français. » Devenir mère pour elle, c'est un désir encore un peu flou mais je reconnais déjà dans sa personnalité ce petit je-ne-sais-quoi qui l'amènera doucement vers ce désir...

C'est à elles qu'on dit nos tout premiers mots

La fête des mères s'en vient à grands pas, ce deuxième dimanche du mois de mai. Ce jour-là, je le consacre à mes mères et j'oublie que j'en suis une mais Isa me le rappelle toujours avec des mots qui savent me toucher, comme si je les entendais pour la première fois, conjugués à sa manière à elle. En ce jour-là, pourtant, je me sens surtout... solidaire. Oui, solidaire de toutes celles qui m'ont précédée, inspirée, celles que j'ai tant aimées et à qui je dois tout, même la vie.