mardi 17 juin 2008

On attèle la jument pis on descend au village!


J’ai pris cette photo l’été dernier, lors de l’événement annuel se déroulant dans le beau village de La Motte, en Abitibi. L’événement n’est pas beaucoup publicisé mais il est quand même bien connu ici, il a ses fidèles, ses inconditionnels de « La Route du terroir » qu’ils viennent marcher d’un bout à l’autre du village situé sur les bords du lac La Motte. Pour l’occasion, le village se pomponne, se met sur son 36 et affiche ses plus belles couleurs.

L’événement ne dure qu’une journée et il permet aux gens du secteur et d’ailleurs de se rencontrer, d’échanger, de participer ou de regarder passer la parade de l’après-midi, de déguster tout le long des deux axes principaux du village des nouveautés, des recettes secrètes, des trouvailles, de festoyer sous le chapiteau, avec les musiciens de la place, de découvrir de nouvelles cultures biologiques, des produits de chez nous, nature ou à peine transformés, des créations originales d’artistes et d’artisans en tout genre et tout ce qui constitue le génie et la particularité de ces gens qui ne savent plus quoi inventer pour nous recevoir comme de la grande visite.

J’aime les villages. La vie dans les villages. Les gens des villages. J’idéalise peut-être un peu comment ça se passe quand on y vit en permanence, le sens de la communauté tissée serrée que j’observe dans leurs moindres petits gestes, leur esprit de solidarité qui semble y survivre mieux que dans les villes, petites, moyennes ou grandes.

Le village typique de l’Abitibi, comme je le perçois, a une histoire jeune, autour de 75 ans, c’est parce que l’Abitibi compte à peine 100 ans d’existence. Le village est né en même temps que son église, avec son clocher qui s’élance vers le ciel, sinon, comment on saurait que c’est un village? À La Motte, comme ailleurs, l’église s’est transformée en salle communautaire, avec l’atelier de tissage dans le jubé, la salle de spectacle en bas avec ses bancs et sa scène amovibles et on jase encore en masse sur le perron de l'église! À côté, on trouve le cimetière, des pierres tombales avec des dates dessus, parfois trop rapprochées, des fleurs en été, et ça raconte l’histoire du village, une histoire sans paroles, où l’on peut entendre le souffle des pionniers, ceux qui ont trimé dur pour nous inventer ici un pays, pour peu qu’on s’ouvre le cœur, les yeux et les zoreilles.

Ensuite, le village a sa petite école, qui aurait bien besoin de rénovations mais on s’en passe, on rafistole avec les moyens du bord, on est débrouillard, on ne se fie pas sur les gouvernements, puisqu’ils ne savent même pas qu’on existe, on se bat plutôt pour qu’elle ne ferme pas ses portes, on l’endure comme elle est, on la tient à bout de bras, à force d’implication et de levée de fonds, on fait des enfants aussi, on sème, on s’aime, on est habitués de semer (s’aimer) pour récolter, on ne l’a pas appris sur les bancs de l’école mais à la dure, on sait qu’il faut s’arranger tout seuls. Les gestionnaires des commissions scolaires carburent aux directives sur papier, aux statistiques et aux projections bien plus qu’aux besoins réels des enfants, on sait ça depuis toujours dans les villages.

En face de l’école, en général, il y a le magasin… général, où l’on vend de l’essence, des denrées non périssables, des journaux et magazines, de la « liqueur », du fumage méchant-méchant qu’on cache derrière des portes closes, comme les condoms d’ailleurs, de la bière qu’on expose allègrement, comme les billets de loterie, au grand jour, des raques de chips, des cartes de souhaits empoussiérées dans le fond, à côté des bottes de pimp et des articles de pêche, du fil à coudre numéro 10, des gallons de peinture, de la chaux, des pantoufles d’indiens, des raccords de plomberie, des rallonges électriques, des piles Duracell, etc. Et quand on pousse la porte, si on est chanceux, on entend le « pacling pacling » suspendu au-dessus de la porte comme l’horloge Pepsi

Le village d’ici a sa Caisse Populaire. C’est le minimum de base. Elle n’est pas souvent ouverte, la Caisse, mais c’est comme pour l’école, on n’ose plus rien demander, on a peur de se la faire fermer. Alors, on se la ferme!

Et puis, dans chaque village, des noms de famille plus courants que d’autres, les petits-fils et petites-filles des pionniers de l’endroit, ces mêmes patronymes qu’on retrouve sur les pierres tombales du cimetière. Un cours d’eau qui traverse le village, c’est très courant aussi, un lac ou une rivière, un « creek », n’importe quoi, on n’est pas difficile là-dessus. Alors, il y a souvent un pont, et parfois, on le fleurit, on l’enjolive, parce qu’on en est fier. Il représente tellement de choses.

À partir du centre-ville, je devrais plutôt dire du centre-village, ça s’en va dans tous les sens, on sillonne les chemins du bord de l’eau, en se demandant si ce sont des chalets ou des résidences à l’année, on longe les rangs qui portent des numéros, les routes rurales, les terres plus ou moins fertiles, les vailloches de foin qui ont pris la forme de belles grosses guimauves, les granges à moitié effouairées, les calvettes qui agonisent et les croix de chemin. Et ce que j'aime, moi, c'est de lire les noms sur les « boîtes à malle »... Là se trouve une grande partie de notre Histoire, celle qu'on ne lit pas dans les livres, celle qu'on ne nous a pas appris à l'école, celle qu'on est en train d'écrire, justement. Ça me fait penser que j'aurais toujours voulu m'abonner à « La Terre de chez nous », je devrais m'offrir ça pour ma fête!


L’histoire de chaque village est semblable et différente à la fois. Chacune recèle ses fiertés et ses misères, ses pionniers, ses exploits, ses conteurs, ses héros, ses artistes, ses patenteux, ses légendes, ses noms de lieux évocateurs et pittoresques, ses petits secrets, ses rumeurs, son fou du village, ses vieux sans âge, au langage coloré, ses vieilles qui savent encore tisser, tricoter, jardiner, faire de tout avec rien, vous accueillir avec une tasse de thé dont elles ont le secret, qu’elles vous offrent avec un sucre à la crème sorti d’une boîte de fer blanc, décorée d’une scène d’autrefois qu’on peut encore deviner, qui nous ramène au temps où la vie était plus simple, beaucoup plus simple.

La période des vacances s’amène prochainement. En vous rendant à votre destination touristique préférée, si j’étais vous, je sortirais de l’autoroute le plus souvent possible pour prendre les routes secondaires, celles qui traversent tous les villages, je m’arrêterais au magasin général, juste pour prendre le pouls des gens qui y vivent. Prenez le temps de regarder ces maisons victoriennes, ces belles d’autrefois avec des galeries immenses où l’on peut parfois s’asseoir et commander un café. Juste pour le plaisir d’observer les boiseries, les dentelles de bois, les fleurs vivaces qu’on ne trouve plus ailleurs, la créativité de ces gens qui font le Québec d’aujourd’hui.

Quant à moi, je partirai en vacances du 22 au 29 juin prochain. Je survolerai l’immensité de mon cher Québec, de l’Abitibi-Témiscamingue aux Iles de la Madeleine, et quand l’avion s’approchera des Iles, que je pourrai apercevoir du hublot l’archipel en forme d’hameçon, que l’avion se posera à l’aéroport de Hâvre-aux-Maisons, village natal de mon père, ma mère, et tous mes grands-parents qui y ont vécu depuis 1789, en provenance des Iles Saint-Pierre et Miquelon, quand j’entendrai partout autour de moi cet accent madelinot qui me manque cruellement, je saurai que je suis revenue aux sources et j’aurai le cœur ému de mille choses, reconnaissante à la Vie.

lundi 9 juin 2008

Jouer à l'ermite



La photo 1 vous montre comment nous arrivons 3 saisons sur 4 à avoir de l'eau de pluie pour la vaisselle, la douche, le lavage des mains, etc. La photo 2 vous présente notre système de douche en forêt. Il n'y a pas plus simple que ce truc qui ressemble à un gros soluté. Ça a dû être pensé par quelqu'un qui travaillait en milieu hospitalier! La photo 3, c'est l'intérieur de notre camp. Disons que j'ai pris la photo de manière à ce qu'il paraisse plus grand alors qu'au contraire, c'est tout petit tout petit, cet ermitage en forêt où je me sauve si souvent avec Crocodile Dundee!

En réalité, je vous raconte aujourd'hui deux ou trois trucs au sujet de notre camp à Rapide Deux où nous passons beaucoup de fins de semaine et ce, en toutes saisons. Je dis souvent aussi que je m'en vais jouer à l'ermite pour quelques jours, ce qui n'est pas si loin de la vérité. Vous pensiez peut-être qu'il s'agissait d'un chalet? Mais non, c'est plutôt ce qu'on appelle ici un « campe », c'est-à-dire que cet abri sommaire (c'est comme ça qu'on les appelle au ministère des Ressources naturelles du Québec) est soumis à des réglementations très strictes, comme par exemple, ils doivent être situés à au moins 100 mètres d'un cours d'eau, ne doivent pas dépasser 14 pieds par 16 pieds et on paie sur ces camps et sur chaque bail trois taxes : celles du MRNQ, les municipales et les scolaires.

Notre camp a été construit, je devrais plutôt dire reconstruit, en 2001. Mais d'abord, il faut que je vous parle du bail. Ce qu'on appelle un bail, c'est un espace de territoire loué aux « terres de la Couronne » et pour lequel on paie un droit d'occupation annuellement. Si le bail n'existe pas déjà, ce qui est très rare, il faut l'implanter, ce qui coûte autour de 500 $. Comprenons-nous bien, nous ne sommes pas propriétaires des lieux où est situé ce bail et nous ne le serons jamais, la forêt est supposément publique (sauf qu'elle appartiendra toujours aux grandes forestières dans les faits). Ici, les baux sont disponibles à chaque kilomètre carré. Partout, à la grandeur du territoire immense qu'est l'Abitibi-Témiscamingue, il n'existe à peu près plus de baux disponibles, la forêt est quadrillée dans tous les moindres recoins même les plus reculés. Et ça, je dois le dire aux gens de l'extérieur qui pensent encore que « la forêt, c'est à tout le monde ». Désolée de vous enlever vos illusions, la forêt, c'est à personne d'autre qu'aux forestières, même quand on paie les droits exigés au MRNQ pour en être locataires... Là-dessus, je pourrais vous raconter des histoires d'horreur auxquelles nous avons dû faire face depuis l'an 2000.

Donc, en l'an 2000, nous achetions un petit camp minuscule qui tombait en ruines mais qui comportait deux baux en bonne et due forme. Ce n'était pas suffisant pour avoir la paix, alors, nous en avons implanté 3 autres dans notre secteur, avant que d'autres le fassent, ce qui nous fait un total de 5 et je vous assure que c'est un minimum. Tout de suite après, le voisin sur notre bras de rivière (voisin situé à 1 km de nous) vendait son camp et à très fort prix. Nous avons fait l'effort financier de l'acheter afin de choisir plus tard notre voisin, parce que sinon, ceux qui menaçaient de l'acheter, c'était un groupe d'au moins 8 chasseurs, du genre que personne ne voudrait côtoyer parce qu'ils amènent la ville avec eux en forêt. Oui, vous avez raison, la paix, ça coûte un bras! L'année d'ensuite, on vendait ce deuxième camp à mon frère Yves qui y coule des jours heureux autant que nous depuis ce temps, nous ne pouvions rêver d'un meilleur voisin!

Puisque Crocodile Dundee est menuisier, il lui a été facile et pas coûteux du tout de reconstruire un camp qui avait un minimum de confort, à la même place où la ruine gisait encore. C'était le règlement du Ministère mais ça faisait notre affaire. Il a pu obtenir des matériaux de construction recyclés sur tous les chantiers où il travaillait, et ça s'arrangeait bien, tant pour nous que pour ses clients, de disposer de ça en obtenant des petits dollars en plus.

Notre camp est donc à aire ouverte (14 pieds par 16 pieds, ça se divise très mal) et j'ai pris la photo en étant debout sur le lit! Vous remarquez qu'il est plutôt éclairé, c'est que Crocodile Dundee avait eu cette année-là un contrat où il fallait changer toute la fenestration d'une maison assez cossue. Son client se débarassait de ses fenêtres en bois pour les remplacer par... du PVC. Ensuite, il a rénové une maison où l'on changeait toutes les armoires, alors, nous avons des armoires de bois puisque son client les remplaçait par... de la mélamine! La table et les chaises nous viennent d'un autre client qui voulait s'en défaire, enlever ça de son patio à tout prix et qui n'avait pas de camion, on l'a juste aidé. On a retapé tout ça avec beaucoup de bonheur!

Comment on fait pour l'eau? Les gouttières sont installées pour arriver au-dessus d'un baril dont on a percé un carré dans le haut. On y met de la moustiquaire pour filtrer les feuilles et autres débris, on ajoute un machin truc dans le bas (une chantepleure) et quand il pleut, on n'est jamais malheureux, on se dit que « en tout cas, on manquera pas d'eau pour la vaisselle et la douche! ». Cette eau de pluie est très propre mais on ne la boirait pas quand même. Alors, Crocodile Dundee et mon frère ont trouvé une vraie source naturelle, entre nos deux camps, ils ont travaillé très fort pour bien l'installer, l'isoler. À l'analyse, cette eau a révélé une pureté exceptionnelle et ça a été confirmé deux fois. Les gars sont bien fiers de leur source!

La douche, vous la voyez, on la remplit d'eau de pluie dans la journée. Elle chauffe au soleil et au moment voulu, elle est à la température idéale. Sinon, on y ajoute de l'eau bouillante. Crocodile Dundee aime la prendre dehors, accrochée à une branche de pin gris, je le menace toujours avec mon appareil photo mais ça ne le stresse pas le moins du monde. Il chante à tue-tête et fait toujours son annonce de Irish Spring, sauf qu'il ne met pas de savon, lui, à cause de l'environnement. Moi, je la prends en-dedans, nous avons une vraie douche très très petite, récupérée chez un client qui s'en faisait installer une très grande en céramique!

L'énergie? De grands panneaux solaires, installés sur la bécosse (toilette sèche). Ce mot, « bécosse » vient de l'anglais « back house » et ça vous situe bien où elle se trouve par rapport au camp. Mais si l'énergie solaire n'est pas suffisante, nous avons aussi une « batterie de char » qu'on peut recharger à l'infini. Pour le chauffage, un petit poêle à combustion lente, pour la cuisson, un poêle au propane, avec un four et quatre ronds, comme à la maison. Nous avons un mini frigo au propane mais on ne s'en sert pas souvent. Une fois ou deux au plus fort de l'été, pas plus, c'est parce qu'on l'a eu gratuitement qu'il est là. L'énergie, là-bas, on en a si peu besoin. Je sais pas trop pourquoi, on vit dehors beaucoup, je pense.

Vous devinez bien que l'électricité ne s'y rendra jamais même si Rapide Deux, officiellement, c'est un barrage hydroélectrique qui pourrait alimenter des villes complètes avec des industries. La centrale de Rapide Deux, exploitée par Hydro-Québec, c'est là où les voitures s'arrêtent, le chemin ne va pas plus loin. À partir de là, il faut prendre soit le bateau, soit la motoneige, pour se rendre jusque chez nous. Cette centrale est située sur la rivière Outaouais mais la rivière Darlens la croise pas très loin de chez nous.

Les communications? Le téléphone cellulaire? Jamais, jamais, jamais, il ne sera possible de l'entendre sonner ou vibrer. Et c'est là que ça devient un refuge sûr, un abri contre la bêtise humaine... pendant la fin de semaine! Quand on veut parler à mon frère, notre voisin, on se donne rendez-vous à une heure très précise avec les talkies-walkies mais on aime mieux se rencontrer en vrai, chez nous ou chez lui, partager une tasse de thé autour de son feu, sur son quai ou le nôtre. Nous, on n'oserait pas faire de feu chez nous, parce que la forêt, vous savez, si le vent se met de la partie, alors que chez mon frère, il y a eu un grand dégagement de fait entre son camp et le bord de l'eau, par les &#<>?!$$$$ forestières (Domtar et Norbord) qui n'ont pas respecté du tout la bande de protection minimale de 60 mètres du cours d'eau.

C'est à la base un camp de chasse. À l'orignal, bien sûr, ici, le chevreuil est encore très protégé. Crocodile Dundee chasse encore, à l'arc surtout et sa conception de la chasse a beaucoup changé. Moi, je le sais maintenant, je ne serais pas capable de décider de la vie ou de la mort d'un animal dont je suis follement amoureuse. (Il n'est le prédateur d'aucun autre animal). Je prends quand même mon permis de chasse tous les ans, je vais au champ de tir aussi, c'est obligatoire si je veux pouvoir me promener en forêt d'une façon sécuritaire (armée) à l'automne. Ce ne sont pas les animaux qui me font peur, ai-je besoin de vous le dire? Nous y allons à longueur d'année, à notre camp, et pas seulement dans la période de chasse. Le printemps, l'été, l'automne, en bateau, et l'hiver, en motoneige.

L'autre différence avec un chalet, à part le fait qu'il s'agisse d'un abri sommaire et que les voisins sont loin, c'est ce dépouillement, ce non confort qui devient... confortable finalement. Difficile à expliquer.

Mais ce qui me donne le goût de jouer à l'ermite, c'est que là-bas, c'est le seul endroit au monde où on laisse le temps au temps, où chaque petit geste simple de la vie quotidienne devient plus riche de sens, comme de préparer une bonne cafetière bloup bloup, une batch de thé, une douche, un repas, une confiture aux petits fruits qu'on vient de cueillir, de faire chauffer l'eau pour la vaisselle, de prévoir avant de s'endormir qu'il y ait deux ou trois petites bûches de bouleau avec des éclisses et des allumettes durant l'hiver, que les croutes qu'on n'a pas finies au déjeuner sont de vrais cadeaux inespérés pour les pies, que la salade restante, au lieu d'aller au compost, deviendra le régal des lièvres, surtout s'il y a de la vinaigrette italienne dedans, un lieu où l'on comprend jusqu'au fond de ses entrailles qu'il vaudrait toujours mieux descendre la rivière avec le courant, que si l'on n'avance pas, inévitablement, on recule, qu'il faut ramer avec son coeur autant que ses bras pour avancer, surtout dans le sens contraire du vent, que de penser aux autres, c'est survivre soi-même, que l'on n'arrivera jamais à être aussi généreux avec la nature qu'elle l'est avec nous, que le dernier biscuit, partagé en deux, avec un sourire et sans parole, c'est un mot d'amour...