L’événement ne dure qu’une journée et il permet aux gens du secteur et d’ailleurs de se rencontrer, d’échanger, de participer ou de regarder passer la parade de l’après-midi, de déguster tout le long des deux axes principaux du village des nouveautés, des recettes secrètes, des trouvailles, de festoyer sous le chapiteau, avec les musiciens de la place, de découvrir de nouvelles cultures biologiques, des produits de chez nous, nature ou à peine transformés, des créations originales d’artistes et d’artisans en tout genre et tout ce qui constitue le génie et la particularité de ces gens qui ne savent plus quoi inventer pour nous recevoir comme de la grande visite.
J’aime les villages. La vie dans les villages. Les gens des villages. J’idéalise peut-être un peu comment ça se passe quand on y vit en permanence, le sens de la communauté tissée serrée que j’observe dans leurs moindres petits gestes, leur esprit de solidarité qui semble y survivre mieux que dans les villes, petites, moyennes ou grandes.
Le village typique de l’Abitibi, comme je le perçois, a une histoire jeune, autour de 75 ans, c’est parce que l’Abitibi compte à peine 100 ans d’existence. Le village est né en même temps que son église, avec son clocher qui s’élance vers le ciel, sinon, comment on saurait que c’est un village? À La Motte, comme ailleurs, l’église s’est transformée en salle communautaire, avec l’atelier de tissage dans le jubé, la salle de spectacle en bas avec ses bancs et sa scène amovibles et on jase encore en masse sur le perron de l'église! À côté, on trouve le cimetière, des pierres tombales avec des dates dessus, parfois trop rapprochées, des fleurs en été, et ça raconte l’histoire du village, une histoire sans paroles, où l’on peut entendre le souffle des pionniers, ceux qui ont trimé dur pour nous inventer ici un pays, pour peu qu’on s’ouvre le cœur, les yeux et les zoreilles.
Ensuite, le village a sa petite école, qui aurait bien besoin de rénovations mais on s’en passe, on rafistole avec les moyens du bord, on est débrouillard, on ne se fie pas sur les gouvernements, puisqu’ils ne savent même pas qu’on existe, on se bat plutôt pour qu’elle ne ferme pas ses portes, on l’endure comme elle est, on la tient à bout de bras, à force d’implication et de levée de fonds, on fait des enfants aussi, on sème, on s’aime, on est habitués de semer (s’aimer) pour récolter, on ne l’a pas appris sur les bancs de l’école mais à la dure, on sait qu’il faut s’arranger tout seuls. Les gestionnaires des commissions scolaires carburent aux directives sur papier, aux statistiques et aux projections bien plus qu’aux besoins réels des enfants, on sait ça depuis toujours dans les villages.
En face de l’école, en général, il y a le magasin… général, où l’on vend de l’essence, des denrées non périssables, des journaux et magazines, de la « liqueur », du fumage méchant-méchant qu’on cache derrière des portes closes, comme les condoms d’ailleurs, de la bière qu’on expose allègrement, comme les billets de loterie, au grand jour, des raques de chips, des cartes de souhaits empoussiérées dans le fond, à côté des bottes de pimp et des articles de pêche, du fil à coudre numéro 10, des gallons de peinture, de la chaux, des pantoufles d’indiens, des raccords de plomberie, des rallonges électriques, des piles Duracell, etc. Et quand on pousse la porte, si on est chanceux, on entend le « pacling pacling » suspendu au-dessus de la porte comme l’horloge Pepsi…
Le village d’ici a sa Caisse Populaire. C’est le minimum de base. Elle n’est pas souvent ouverte, la Caisse, mais c’est comme pour l’école, on n’ose plus rien demander, on a peur de se la faire fermer. Alors, on se la ferme!
Et puis, dans chaque village, des noms de famille plus courants que d’autres, les petits-fils et petites-filles des pionniers de l’endroit, ces mêmes patronymes qu’on retrouve sur les pierres tombales du cimetière. Un cours d’eau qui traverse le village, c’est très courant aussi, un lac ou une rivière, un « creek », n’importe quoi, on n’est pas difficile là-dessus. Alors, il y a souvent un pont, et parfois, on le fleurit, on l’enjolive, parce qu’on en est fier. Il représente tellement de choses.
À partir du centre-ville, je devrais plutôt dire du centre-village, ça s’en va dans tous les sens, on sillonne les chemins du bord de l’eau, en se demandant si ce sont des chalets ou des résidences à l’année, on longe les rangs qui portent des numéros, les routes rurales, les terres plus ou moins fertiles, les vailloches de foin qui ont pris la forme de belles grosses guimauves, les granges à moitié effouairées, les calvettes qui agonisent et les croix de chemin. Et ce que j'aime, moi, c'est de lire les noms sur les « boîtes à malle »... Là se trouve une grande partie de notre Histoire, celle qu'on ne lit pas dans les livres, celle qu'on ne nous a pas appris à l'école, celle qu'on est en train d'écrire, justement. Ça me fait penser que j'aurais toujours voulu m'abonner à « La Terre de chez nous », je devrais m'offrir ça pour ma fête!
L’histoire de chaque village est semblable et différente à la fois. Chacune recèle ses fiertés et ses misères, ses pionniers, ses exploits, ses conteurs, ses héros, ses artistes, ses patenteux, ses légendes, ses noms de lieux évocateurs et pittoresques, ses petits secrets, ses rumeurs, son fou du village, ses vieux sans âge, au langage coloré, ses vieilles qui savent encore tisser, tricoter, jardiner, faire de tout avec rien, vous accueillir avec une tasse de thé dont elles ont le secret, qu’elles vous offrent avec un sucre à la crème sorti d’une boîte de fer blanc, décorée d’une scène d’autrefois qu’on peut encore deviner, qui nous ramène au temps où la vie était plus simple, beaucoup plus simple.
La période des vacances s’amène prochainement. En vous rendant à votre destination touristique préférée, si j’étais vous, je sortirais de l’autoroute le plus souvent possible pour prendre les routes secondaires, celles qui traversent tous les villages, je m’arrêterais au magasin général, juste pour prendre le pouls des gens qui y vivent. Prenez le temps de regarder ces maisons victoriennes, ces belles d’autrefois avec des galeries immenses où l’on peut parfois s’asseoir et commander un café. Juste pour le plaisir d’observer les boiseries, les dentelles de bois, les fleurs vivaces qu’on ne trouve plus ailleurs, la créativité de ces gens qui font le Québec d’aujourd’hui.
Quant à moi, je partirai en vacances du 22 au 29 juin prochain. Je survolerai l’immensité de mon cher Québec, de l’Abitibi-Témiscamingue aux Iles de la Madeleine, et quand l’avion s’approchera des Iles, que je pourrai apercevoir du hublot l’archipel en forme d’hameçon, que l’avion se posera à l’aéroport de Hâvre-aux-Maisons, village natal de mon père, ma mère, et tous mes grands-parents qui y ont vécu depuis 1789, en provenance des Iles Saint-Pierre et Miquelon, quand j’entendrai partout autour de moi cet accent madelinot qui me manque cruellement, je saurai que je suis revenue aux sources et j’aurai le cœur ému de mille choses, reconnaissante à la Vie.