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Photo 1 : Cette photo m'avais fascinée quand je l'avais vue dans un des bouquins que j'ai rapportés des Îles et dont je viens de terminer la lecture. « Les Îles de la Madeleine, Une histoire d'appartenance », par Caroline Roy, aux éditions GID. J'avais hâte montrer ça à ma mère parce que je trouvais que le vieux, assis, ressemblait drôlement à son pépère Emmanuel, mon grand-grand-père et que le grand monsieur qui tenait le petit frisé dans ses bras, si c'était pas mon Grand-Papa, ça devait être un de ses frères, certain. Surtout que sous la photo, il y avait la légende suivante : « Trois générations sous le même toit, à Hâvre-aux-Maisons, en 1942 » .
Photo 2 : Dans le même bouquin, une véritable trouvaille, cette photo émouvante pour nous tous, les Madelinots venus s'établir en Abitibi, en 1941 et 1942. Sur la goélette à Clophas, en 1942, 102 personnes quittaient Hâvre-aux-Maisons pour nous inventer ici un paradis à la mesure de leur rêve et ce n'était pas de gaité de coeur qu'ils quittaient leurs chères îles. Cette histoire, je la connais bien, Grand-Maman me l'a racontée en détails dans sa biographie que j'ai faite avec elle mais elle n'est racontée nulle part ailleurs. La seule mention qu'on trouve de cette odyssée, c'est cette photo avec l'inscription suivante : « Une goélette quitte les îles, à son bord, se trouvent quelques familles cherchant refuge en Abitibi, en 1942 ». Le bonheur est dans les bleuets
Maman me disait dernièrement qu'elle aurait tellement voulu aller voir Julienne à la résidence des personnes âgées où je vais souvent. Surtout que Julienne revenait à peine des Iles, qu'elle lui rapportait des nouvelles et surprises de taille, des photos anciennes où elle aurait pu se voir petite, avec ses parents et la goélette à Clophas avec plein de monde dessus, une photo du SS Lovatt, en tout cas, elles avaient hâte de se voir.
Hier, en faisant la vaisselle du souper, je regarde mes deux paniers de bleuets frais cueillis de la veille et je songe qu'il me faudrait bien les ensacher en paquets de deux tasses avant de les envoyer au congélo mais ça me coûte, c'est tellement meilleur frais. Ouais, c'est sûr, on en a mangé directement du panier, Crocodile Dundee les a accompagnés avec sa crème 35 % et du sucre blanc comme quand il était petit (je sais pas comment il fait). Isa et Dom sont venus faire une saucette dans le lac en fin d'après-midi, après la baignade, ils s'en sont donné à coeur joie à grandes poignées dans le panier, même que ça donnait le goût, à les voir, d'aller en cueillir d'autres!
Là, j'ai eu comme une idée, un courant fou qui m'a prise avec une telle force. Des fois, je me fais peur. J'ai préparé 4 gros pots Mason avec mes bleuets frais, j'ai décidé de mettre le couvercle à la dernière minute seulement pour le transport et j'ai appelé Maman!
- Es-tu toujours partante pour aller voir Julienne à la résidence?
- Non, j'y vais tout de suite. J'ai préparé 4 pots de bleuets frais, j'en amène à Belle-Maman, à Julienne, à Adéline, à ma tante Marie-Jeanne/mon oncle Dominic. Si t'es prête, je passe te chercher... En veux-tu, toi, M'man, des bleuets?
- Laisse faire les bleuets pour moi, j'en ai, mais je veux aller avec toi à la résidence, c'est sûr.
Si vous me lisez parfois, vous savez sûrement que j'aime les vieux. En fait, j'aime la nature humaine en général mais les vieux et les enfants, je sais pas, ils me réconcilient avec le genre humain quand le genre humain m'écoeure. Parce que la nature humaine, en tas, des fois, ça arrive qu'ils m'écoeurent royalement. Dans ce temps-là, je vais voir mes vieux! Eux, ne demandent pas mieux et moi, c'est pareil.
Autre parenthèse qui vous expliquera mon titre d'aujourd'hui, c'est que je raconte souvent ici des histoires de tous les jours, des petits riens jamais endimanchés qui pourraient vous faire penser que j'ai une vie rêvée. Pas du tout. Comme tout le monde, j'ai mes petites misères et mes drames personnels que j'essaie de comprendre et de régler dans la vie réelle. Mais dans tout ça, il y a ces tranches de vie que j'aime partager parce qu'elles m'apportent quelque chose comme des moments de bonheur et que le bonheur, comme les bleuets frais, c'est bien meilleur quand on partage...
On arrive à la résidence pas tard, la soirée est jeune en masse, on commence par le 3e étage. Belle-Maman (86 ans) n'est pas chez elle ni chez son amoureux (92 ans) non plus. Pas grave, je repasserai plus tard en soirée, ils ne doivent pas être allés bien loin, il a une marchette et elle se tient après les rampes du côté où elle ne tient pas sa main...
Il y a ma tante (88 ans) et mon oncle (86 ans) au même étage. Toc toc toc. Sont là. Youpi. Bisous, bisous, assoyez-vous qu'on jase, ils s'empressent de fermer la télé. Ma tante Marie-Jeanne... toujours belle... et si douce...
ah, je l'aime donc, elle, la grande soeur de Papa. Et mon oncle, un peu bourru mais le coeur grand comme le monde, j'ai toujours aimé son jugement, son intelligence sensible, son côté entier, son coeur vaillant. Lui, je te dis qu'on y en passe pas une tite vite!
Lui, je l'aime, lui, vous savez pas comment. Je sors un pot de bleuets. Ils sont contents comme si je leur apportais la lune. On échange des nouvelles de notre monde, la famille est grande... et dispersée. Ma tante est diabétique, c'est vrai, j'avais oublié et les bleuets frais, c'est une gâterie nature dont elle peut profiter pleinement, elle me l'apprend. Elle en goûte quelques-uns tout de suite. Juste de voir son expression sur son visage, ça valait le voyage!
À regret, on les quitte. On rencontre Adéline au 3e, un livre dans ses mains, elle revient de chez Marc, un ami à nous, qui lui a prêté ce gros bouquin. Bisous, bisous, venez-vous chez nous, je m'en retournais au 2e? Je laisse Maman avec Adéline, ces deux-là se ressemblent comme deux soeurs et elles ont toujours plein de choses à se raconter. J'irai les rejoindre plus tard. Je retourne cogner chez Belle-Maman. Pas là. Chez son amoureux. Pas là non plus. Ouais, les amoureux ont pris le large, on dirait...
Je rebondis chez Adéline. Elle et Maman sont en grande conversation. Ça parle des Iles, bien sûr. Elles sont nées là toutes les deux, connaissent le même monde, ont la même parenté et pas mal de passions communes. Adéline (85 ans), elle,
je l'aime et je l'admire pas à peu près. Elle a toujours fait partie de ma vie, Adéline. Avec Wilfrid, ils représentaient un phare. Maintenant veuve, elle reste un phare pour moi, cette femme forte et si tendre à la fois. Quand je vais être grande, je voudrais être comme elle. Une femme impliquée, au courant de tout, qui donne et qui donne sans compter, parce qu'elle est heureuse ainsi. Son appartement lui ressemble, c'est du vrai, du solide, du goût, du fonctionnel, avec des photos de son monde, ses livres, ses disques. Adéline, c'est la jeunesse, l'authenticité. Elle nous offre quelque chose à boire et des gâteries, c'est plus fort qu'elle, elle doit donner. Je lui sors son pot de bleuets, elle est ravie, je sais pas pourquoi, je sens chez elle de l'émotion quand elle ouvre le pot. Je la laisse continuer sa jase avec Maman quand elle me dit qu'elle pense avoir vu les amoureux au grand salon du 3e étage...
Retour au 3e. Sont pas au salon. Retourne chez Belle-Maman. Pas là. Chez l'amoureux. Ah là, oui, sont revenus. Bisous, bisous, t'as vu comme il fait beau? Ah t'es allée aux bleuets? C'est donc le fun, tu nous les donnes? Ça va être bon dans les céréales, ça. Et dans le yogourt aussi, demain matin... Belle-Maman,
elle, ça fait 32 ans que je l'aime. Depuis que je la connais. C'est la Maman de Crocodile Dundee, juste pour ça, elle serait déjà bien facile à aimer! Elle m'a accueillie dans sa famille dès le premier jour comme si j'avais été une de ses filles, ça, je ne l'oublierai jamais. Son amoureux,
lui aussi, je l'aime. Un beau grand monsieur, calme, bien droit, il a de la misère avec ses jambes mais pas avec sa jarnigoine en tout cas. Et il sourit bien tendrement, je trouve. Même à moi. Il me trouve tout le temps drôle, lui, j'ai même pas besoin de faire des farces. Il ne voudrait jamais que je m'en aille. Il devient très volubile quand j'ai la main sur la poignée de porte...
Retour au 2e étage. Adéline et Maman m'attendaient pour aller chez Julienne... La soirée passe vite, il est 21 heures, je veux voir tout mon monde et il me reste encore un pot de bleuets à donner... Adéline me chicane comme elle seule sait le faire : « Mais t'es pas du monde, toi, t'es tout le temps rien que sur une patte, tu vas pas encore faire le tour de tous les vieux ici? » ce à quoi je lui réponds toujours : « Adéline, y a juste toi qui peux me dire ça... » et c'est vrai pour vrai. Il y a quelque chose entre elle et moi, une affection inconditionnelle, je crois.
Elle, Julienne, (83 ans) je l'ai longtemps appelée ma tante. Une cousine à Papa et à Maman en même temps, comme ça arrive souvent dans nos familles des Îles. Elle nous accueille à bras ouverts dans son tout petit appartement du 2e, pas loin de chez Adéline. Une force de la nature, ma Julienne, une telle énergie positive... À chaque phrase, elle me donne des leçons de vie, elle ne fait pas exprès, elle dit des vérités tout le temps.
Je l'aime depuis que je suis née, elle a toujours fait partie de mon univers, elle a des souvenirs de la petite fille que j'ai été... et qu'avec elle, je serai toujours. On est là toutes les quatre. Elle nous offre à boire, elle a son mini frigo, c'était pareil quand on restait à Matagami, elle avait toujours des surprises dans sa glacière, Julienne! Elle me regarde avec son brillant dans l'oeil et me dit :
- Heille, sais-tu quoi, j'ai fait de la tire! J'ai été chez Laurette exprès pour ça!
- Pas vrai, Julienne! De la tire à m'lasse, comme tu faisais à Matagami?
- Toi, t'aimais ça, hein? Quand tu venais garder chez nous, je t'en laissais tout le temps, t'étais une vraie bébitte à sucre, aimes-tu encore ça?
- Si j'aime ça? Ça fait au moins 40 ans que j'y pas goûté...
Et là, je vous jure, c'était aussi bon qu'avant. Ça goûtait l'enfance.... Ah, je peux pas vous expliquer... J'en ai mangé trois morceaux, les yeux fermés... Julienne a conclu que j'étais encore pas mal bébitte à sucre! Je lui ai sorti mon dernier pot de bleuets. Elle était trop contente. Je lui ai dit que jamais mon pot de bleuets ne saurait rendre justice à sa tire à m'lasse.
Puis, elle nous a raconté son voyage aux Îles. J'aurais pu l'écouter pendant des heures. Elle a sorti ses photos. D'entendre Maman, Julienne et Adéline, avec leurs beaux accents madelinots, raconter leurs bouts d'histoires, s'échanger leurs recettes de poisson, de chaudrées, des nouvelles de l'un et et de l'autre là-bas comme ici, c'était du bonheur en concentré.
Boucler la boucle avec des photos C'est là que Julienne réservait sa surprise à Maman. Avec son oeil coquin, elle avait gardé pour la fin les deux photos agrandies en format 5 par 7 qu'elle offrait à Maman, les deux mêmes que vous voyez au début de ce billet. C'est moi qui ai eu la surprise, j'avais vu ces photos dans le bouquin... Julienne a dit qu'elle les avait reçues en cadeau aux Iles pendant son voyage, qu'on lui avait dit que ça venait d'un livre... Elle les donnait à Maman parce qu'elle s'en était fait faire des copies... Je savais tellement le cadeau que ça représentait!
On parlait toutes en même temps. Bien sûr, c'était mon grand-grand-père, Emmanuel qui était assis avec des petits autour de lui. Oui, c'était bien Grand-Papa qui avait le petit frisé dans les bras. Maman a confirmé que la dame que je n'avais pas reconnue du tout, c'était sa mère, MA Grand-Maman que j'ai tant aimée... Je ne l'avais même pas reconnue, elle était si jeune et si fatiguée dans ce temps-là. Mais la petite fille sur la photo, ce n'était pas Maman, mais ma tante Bernadette. Le petit frisé, c'est mon oncle Marcel qu'on pense. Le plus grand, mon oncle Raymond, peut-être, on ne saurait dire exactement, celui qui se tient collé sur son grand-père, mon oncle Hilaire? Maman n'était pas sur la photo finalement. Après l'avoir longuement observée, elle a pensé qu'elle, l'aînée, et son frère qui la suit, donc, les deux plus vieux de la famille, devaient être partis courir dans les buttes une dernière fois avant de quitter les îles... Maman (76 ans),
je l'aime tellement que je peux même pas trouver les mots pour vous parler d'elle... Elles se sont mises à raconter comment c'était sur la goélette à Clophas quand ils ont quitté les Îles. Ah c'était beau... Ça, c'est de l'histoire. Il y a tellement de boucles qui se sont bouclées dans ma tête et dans mon coeur.
Et comme un bonheur n'arrive jamais seul... On a veillé tard pas mal. Je n'osais même plus regarder ma montre. Elles ont tout leur temps, elles, à leur âge. Et chez Julienne, le temps est bon, l'heure ne compte plus. Comme j'étais loin de mes préoccupations de la journée... Elles m'ont encore réconciliée avec un tas de choses. Avec la vie surtout.
Mais il fallait bien partir. Elles ont dit : « Ah oui, c'est vrai, tu travailles demain, toi ». Julienne a rangé ses bleuets dans son mini frigo, elle avait hâte à demain, qu'elle disait. Elle m'a serrée fort, fait des gros becs, avec la promesse de se revoir bientôt. Maman a fait de même avec Julienne pendant que je me tournais vers Adéline, qui m'a serrée si fort, comme pour m'étouffer, elle a pris ma face dans ses mains, m'a regardée dans les yeux puis m'a dit : « Merci pour tes bleuets ».
Après avoir déposé Maman chez elle, j'étais seule dans ma voiture. En roulant vers chez moi, je savais qu'à cette heure tardive, Crocodile Dundee allait être endormi. J'avais l'impression de rouler sur un nuage. J'ai débarqué de la voiture comme une zombie, suis restée dehors un moment, la nuit était belle et je ressentais encore dans tout mon corps la grosse caresse d'Adéline, son merci, ses yeux embués, le bonheur de mes vieux, tous mes vieux, juste à cause de quelques bleuets frais, les rires de Maman, sa sensibilité et sa joie de petite fille.
Ces impressions et émotions d'hier soir sont encore très présentes aujourd'hui, tellement que j'ai de la misère à travailler. Voilà pourquoi je ne pouvais écrire sur autre chose. Mais je voulais vous expliquer un peu pourquoi j'aime tant les vieux. Avec eux, la vie n'est jamais compliquée ou malheureuse. Et pourtant, ils en vivent des deuils, des difficultés, des abandons, des peines et des drames. Mais ils ont tellement d'aptitude pour le bonheur...