Photo : Elle n'est pas de moi, je l'aurais publiée avant aujourd'hui. Elle m'a été envoyée il y a deux ans par un biologiste de mes amis lors des événements dont j'ai déjà parlé ici. J'avais pris une photo d'un nounours grimpé dans les bouleaux près du garage et c'est celle-là qui avait illustré le billet où je racontais l'invasion de nounours qu'il y avait dans les villes de Rouyn-Noranda et de La Sarre, de même que dans les villages environnants, à cause de la pénurie de petits fruits de cette fin d'été. Résultat, la chicane a pogné dans mon blogue à cause d'un « épeuré » qui semblait souffrir d'insécurité profonde. Ça fait que... je vous serais reconnaissante de ne pas glisser sur ce terrain-là. La peur vient souvent de l'ignorance et notre vie n'est pas en danger. Une chance, parce que...
Si le ridicule tuait, je serais morte!
Et je serais morte ce matin, autour de 9 heures à peu près. Depuis lundi matin, je garde Félixe. Ses parents sont en voyage d'amoureux. Comme ils l'auraient fait eux-mêmes, je l'amène tous les matins à la garderie, sauf que moi, je prends mon temps, j'y vais vers 9 heures. Je vais aussi la chercher le soir, j'arrive vers 16 heures, après son dodo d'après-midi. Je vis donc de grands bonheurs depuis trois jours mais je fais un peu la vie d'une monoparentale au travail, Crocodile Dundee étant absent ces jours-ci, ce qui ne fait que renforcer toute l'admiration que j'ai pour ces femmes-là.
6 h 15 : Je l'entends qui gazouille dans sa couchette, dans l'ancienne chambre de sa maman. Déjà que je me dis? Je pourrais roupiller encore un peu mais j'ai trop hâte de la voir. Les couettes dans les airs, en pyjama de vieille fille, j'arrive jusqu'à elle : « Coucou, c'est moi! ». Elle m'accueille avec un cri de joie et une petite danse.
6 h 30 : Quelle énergie elle a, elle veut toujours jouer, marcher et danser. Je change sa couche, elle veut prendre tout ce qu'il y a autour. D'accord, tiens, ma chouette, on va te changer les idées. Même si j'avais tout sorti hier soir, ça me prendrait deux bras de plus. « Tape, tape, tape, pique, pique, pique, roule, roule, roule, chatouille, chatouille!!! », je réussis à compléter la manoeuvre de changement de couche sans qu'elle se sauve!
7 heures : Biberon. Installée dans sa chaise haute, elle est capable de le prendre toute seule. Mais je supervise quand même. C'est dans ce temps-là que je déjeune d'habitude mais pas ce matin, j'ai rendez-vous pour des prises de sang à 9 h 20. Mes vêtements préparés hier soir, je m'habille et me maquille dans la cuisine. Ce sera fait pour tantôt.
7 h 10 : Biberon terminé. Félixe s'applaudit. Pas longtemps. Elle se tortille, veut sortir de sa prison de chaise haute. Oh elle est comme mamie, sa liberté, elle y tient... Alors, je finirai plus tard de me dessiner une face, là, c'est le temps de jouer. La guitare? OK, mamie va t'en jouer. Après mes plus grands succès et quelques ovations debout, c'est le temps de préparer les céréales et les fruits pour ma danseuse infatigable qui se bouge tout le temps les fesses et son petit corps tout en rythme comme sa tête qu'on dirait sur un ressort.
8 heures : Re-chaise haute. Re-prison sécuritaire pour Félixe. Elle n'a pas vraiment faim, c'est ce qu'elle m'exprime par ses mimiques, en éloignant la cuillère de sa bouche d'une petite main ferme et décidée avec son plus beau sourire garni de ses 6 dents bien en évidence. Les danseuses, ça mange légèrement. Mais moi, j'en mangerais bien de ses céréales et fruits ce matin si je pouvais... C'est ce que je lui dis. Mais je n'ai aucune influence sur elle. Je négocie avec tout mon charme de mamie et notre chanson fétiche super rythmée. « Ah ah ah que je t'aime/Viens ici ma chère Félixe à ma porte/J'ai un secret à te dire dans l'oreille/Que je t'aimerai toute la vie/Ah oui, chérie, Youpi. Bravooooooo! » Applaudissements nourris de la petite foule en délire mais pas moyen de lui faire avaler une cueillèrée de plus, elle fait signe que non. Je fais l'avion qui atterrit, c'est clair que j'insiste trop à son avis, elle me « trtrtr » tout ça sur mon chandail avec une précision qui ne tient pas du hasard, je pense. Elle n'en veut plus. Mamie vient de comprendre le message!
8 heures 15 : Je libère Félixe qui veut jouer avec ses petits bonhommes, ses livres, sa poupée molle, le petit piano, tout lui semble palpitant ce matin. Mais il faut se préparer à partir. Pas le temps de changer de chandail, mamie ira en ville avec son chandail nettoyé à la débarbouillette. Préparation du sac à dos, du sac à couches. Re-changement de couche. Pas besoin, tout est impeccable. J'enlève son pyjama, ses petits vêtements sont prêts, faut l'habiller avant qu'elle se sauve. Bisous, chansons, contines, on y arrive non sans une participation énergique de ma part.
8 h 45 : Nous sommes prêtes. Félixe est habillée, elle a hâte d'aller dehors. Elle me dit « ga ga ga » avec son petit index pointé sur la porte. Oui, mon ti minou, on y va là... Bottes, imperméable, ma sacoche... Où est ma sacoche? Ça me la prend pour les paperasses de l'hôpital. OK, je l'ai. La petite s'impatiente. Oui, mon ti minou, attends, ce sera pas long... « Attends, attends » qu'elle me répète, ce mot-là, elle sait le prononcer depuis quelques mois déjà. On recommence. Ma sacoche, son sac à dos pour la garderie, le sac à couches, la petite dans les bras, on sort. Je n'ai plus de main pour verrouiller la porte. Tant pis, y a pas de voleur au chemin des Castors, c'est un cul-de-sac qui tombe dans le lac. Je prends une chance. Chargée comme un mulet, je monte les marches jusqu'à ma voiture. D'abord, je dépose les sacs sur le siège avant et la petite dans son autre prison, le siège d'auto réglementaire et sécuritaire. Elle déteste le siège d'auto, c'est une attaque à son grand besoin de liberté. C'est le temps de sortir de mes poches les petits bonhommes de couleur et la musique à bouche. C'est donc bien compliqué ces maudites sangles de siège d'auto pour enfant... Mamie, elle a tellement chaud là!
8 h 55 : On roule vers le boulevard Saguenay, mamie chante, Félixe danse dans son siège d'auto. Ça va, elle oublie sa prison. C'est donc bien loin, sa garderie, je trouve. Tous les autobus nous forcent à arrêter aux deux minutes sur le boulevard à quatre voies. Mademoiselle la danseuse s'impatiente, je le vois dans mon rétroviseur. Ah non, pas encore une lumière rouge. Je sors ma musique à bouche et j'improvise un reel endiablé. Ah là, mamie, tu me fais plaisir, c'est en plein mon genre. Le party est pogné dans le char, moi, je me désâme à jouer de l'harmonica pendant que Félixe tape des mains en arrière et bouge tout ce qu'elle a...
9 heures : Comme la lumière allait tourner au vert, sans m'arrêter de jouer, j'ai jeté un oeil dans la voie de droite... C'est là que... Un monsieur tout seul dans sa voiture est crampé de rire, il a assisté à mon show devant un public conquis que je croyais limité. C'était un show intime, vous savez, je n'avais pas conscience que... Et je lui fais signe en haussant les épaules, en montrant la petite qui tape des mains... Il rit encore plus... La lumière passe au vert pendant que ma face passe au rouge et il roule parrallèlement à moi jusqu'en ville, faisant bien attention de ne pas me dépasser, toujours en riant.
C'est donc loin, la garderie à Félixe!
Et le ridicule ne tue pas, même qu'il amuse parfois. Après avoir déposé ti minou à la garderie, je suis allée à mes prises de sang. Contrairement à mon habitude, je n'ai même pas perdu connaissance. Non seulement je suis pas morte mais je suis plus forte qu'avant!