Je vous le dis d'entrée de jeu, c'est le dernier billet de cette « trilogie » sur les Iles de la Madeleine même si je ne sais pas encore au moment de vous écrire de quoi exactement je vais vous entretenir. Non pas que je n'ai plus rien à dire sur le sujet ni que je n'ai plus de photos à partager, bien au contraire, il me faut faire des choix déchirants dans ces moments que j'y ai vécus, dans mes enthousiasmes débordants, des rencontres exceptionnelles, mes coups de coeur émus, ces paysages... Un jour, il faut bien revenir chez soi, dans sa réalité, même si grâce à ce voyage au pays de tous les miens, ma vie s'est enrichie à tout jamais de quelque chose de précieux comme un trésor qui m'attendait là...
Photo 1 : La brise du soir se fait douce et caressante à la butte chez Mounette, avec vue sur la lagune de Hâvre-aux-Maisons, que Papa appelait la « Baie d'en d'dans ».
Photo 2 : À partir du sommet du cap qui a donné son nom à Cap-aux-Meules où il y a maintenant un grand escalier, je suis montée le coeur battant comme quand j'avais 15 ans, pour apercevoir dans la splendeur ensoleillée les diamants de la Baie de Plaisance et la merveilleuse, la mystérieuse Île d'Entrée que je n'ai pas encore pu découvrir de plus près, ce qui me place dans la situation suivante, comme disait mon frère : « T'as pas le choix, faudra que tu y retournes aux Iles! »
Photo 3 : En m'en allant ce jour-là à la plage de Gros-Cap, j'avais la tête ailleurs, comme recueillie, je pensais très fort à mon père. J'ai arrêté la voiture pour faire une marche sur la plage et qui c'est qui m'attendait là? Ce petit renardeau qui n'a pas eu peur de moi, que j'ai pu prendre en photo à deux reprises. Je ne savais même pas qu'il pouvait y avoir des renards aux Iles. Comment sont-ils arrivés là?
Photo 4 : Sur le bateau des Croisières de la Lagune, propriété de trois de mes cousins/cousines, on nous explique des choses fascinantes sur la faune, la flore, les fonds marins et l'environnement des Iles. Alain, celui de droite, est un grand communicateur, il partage ses connaissances et son expérience d'ancien pêcheur avec une telle passion... avant de remettre à la mer, chaque fois, le contenu de la cage.
Le homard des Iles est reconnu comme étant le meilleur, en tout cas, sa réputation n'est plus à faire de par le monde! C'est Fred à mon oncle Will, mon grand ami et presque frère, pêcheur lui-même, qui m'expliquait que cette vocation économique très importante là-bas est soumise à une réglementation très stricte de Pêches et Océans Canada. C'est au hâvre de pêche de Grande-Entrée que sont ancrés chaque soir la moitié des homardiers de l'ensemble de l'archipel, c'est là aussi que se capturent à l'aube de chaque jour la moitié des homards des Iles, pendant la courte saison, dans des cages très lourdes qu'on remonte des fonds rocheux pour récolter leur précieux contenu et qu'on retourne au fond de l'eau, après avoir remis de l'appât bien sûr, jusqu'au lendemain. Cette pêche s'étend sur neuf semaines, cette année du 5 mai au 3 juillet. Les homards de taille inférieure à celle réglementaire et les femelles oeuvées doivent être remis à la mer. Les prises totales atteignent annuellement environ 2,25 millions de kilogrammes.
Aux Iles, 325 permis sont autorisés depuis de nombreuses années. Pas un de plus, pas un de moins. Assez souvent, un homardier possède son propre bateau, qui vient avec son grément, son permis et tout ce qu'il faut pour faire rouler son entreprise. Très sensibles à la préservation de la ressource, tous s'entendent pour baisser chaque année le nombre des cages qu'ils mettent à l'eau, pour ne pas qu'il y ait de transition trop brutale entre les revenus générés d'une année à l'autre. Cette année, ils avaient droit à 290 cages chacun, l'an prochain, ce sera 287. On prévoit poursuivre à ce rythme jusqu'à atteindre 270 cages par homardier. J'ai eu l'occasion d'en rencontrer quelques-uns, des amis de Fred, qui discutaient au retour d'une grosse journée, ils ont leurs préoccupations, leur langage d'initiés, leurs courages, leurs difficultés, leur esprit d'équipe, d'entraide, et une science absolument précise et étonnante de la mer, des vents, des courants, des brumes, des vagues, des fonds marins, un respect sans limite pour la mer nourricière et parfois meurtrière, cette mer qui les berce mais qui peut aussi leur ravir leur santé et leur vie.
Par ordre d'importance, les pêches commerciales aux Iles sont le homard, le pétoncle, le crabe des neiges, les poissons (morue, plie, maquereau, hareng, sébaste, requin, éperlan) les coquillages (moules, coques, palourdes), c'est ce qu'on m'a donné comme informations.
Le tourisme représente aux Iles de la Madeleine la deuxième vocation économique en importance. L'archipel est situé au coeur du golfe Saint-Laurent, au Québec, plus exactement à 215 km de la péninsule gaspésienne, à 105 km de l'Île du Prince Edouard et à 95 km de l'île du Cap Breton, Nouvelle-Écosse. Certains sont étonnés mais contents de faire partie du Québec et les Iles, comme beaucoup de régions, sont en majorité peuplées d'indépendantistes farouches! L'ensemble forme un croissant allongé (en forme d'hameçon) sur une distance de 65 km orienté sud-ouest/nord-est. On y vit à l'heure de l'Atlantique (comme dans l'expression une heure plus tard dans les Maritimes) soit une heure de décalage avec le Québec continental. L'archipel des Iles de la Madeleine comprend une douzaine d'îles, dont six sont reliées entre elles par d'étroites dunes de sable. Plus de 300 km de plages...
La population des Iles se situe autour de 13 000 habitants. Durant l'été, haute saison touristique, ce nombre quadruple... Vous imaginez la pression qui est induite sur les infrastructures telles que l'eau potable, l'environnement, la gestion des déchets, etc. Les Madelinots nous donnent tout ce qu'ils ont, ils nous accueillent avec ce qu'ils ont de meilleur et de plus beau à nous offrir. Ils possèdent ces dons incroyables, l'accueil et la chaleur légendaires qui savent nous faire sentir chez nous chez eux. N'abusons pas de leur hospitalité.
J'ai vu l'hiver dernier un film de l'ONF intitulé « Le temps des Madelinots » qui décrit leur réalité à eux, ces insulaires qu'on envahit durant les mois d'été sans se soucier de ce qu'on peut leur imposer si on ne fait pas attention. Par exemple, prendre une douche de 15 minutes aux Iles, gaspiller l'eau, c'est priver quelqu'un d'autre d'eau potable pour une partie de la journée. Je conseille à tout le monde de voir ce film avant d'aller séjourner aux Iles pour être ensuite des visiteurs attentifs à nos hôtes, respectueux de leur réalité, ce serait la moindre des générosités qu'on pourrait avoir à leur égard. Ils sont tellement conscients de l'environnement qu'ils m'ont réconciliée avec le reste de notre société : eux, ça fait longtemps qu'ils recyclent et qu'ils compostent, c'est une question d'environnement et de survie très immédiate!
Message à Brigitte Bardot, Paul Watson, Paul McCartney et son ex Les valeurs qui m'ont été inculquées par mes parents, ma famille, je les ai retrouvées intactes et toujours bien vivantes aux Iles, au pays de tous les miens. Par exemple, ma grand-mère a habité avec nous autres lorsqu'elle a cassé maison au décès de mon grand-père. Dans le quartier, nous étions les seuls à vivre ainsi. Notre Grand-Maman a été une vraie bénédiction dans nos vies, à mes frères et à moi, et nous avons développé avec elle des liens si forts qu'ils ont survécu même à sa mort. Aux Iles, on s'occupe de nos vieux, on les chouchoute, on les chérit, on fait tout pour leur agrémenter la vie et on les entoure de tendresse. C'est une manière d'être et d'aimer que je ne retrouve plus ailleurs. J'ai vu comment on traitait là-bas ma tante Irma, Adèle et tous les autres vieux qu'on ne se gêne pas d'appeler des vieux, parce qu'il s'agit d'un titre de noblesse bien mérité qui signifie amour et attachement, qui donne droit à tous les égards. Les enfants, c'est pareil, on les amène partout, on les considère, on met à leur disposition tout ce qu'il y a de plus merveilleux et de plus constructif, ça se voit dans des milliers de petits gestes quotidiens. Et ça m'émeut que ça existe encore.
D'un autre côté, j'ignore pourquoi, les extrémistes de Green Peace et toutes les Brigitte Bardot de ce monde se sont acharnés et ont propagé la rumeur à la grandeur de la planète que les chasseurs de loups marins madelinots étaient des êtres sanguinaires au coeur durci qui tiraient des avantages onéreux à tuer des pauvres petits bébés phoques aux yeux larmoyants, avec des images spectaculaires montrant du sang rouge vif sur la banquise immaculée. Foutaise, c'est de la grande mise en scène, comme savent en faire les gens du show business.
On ne tue jamais un bébé phoque. Par contre, les phoques (loups marins) se ramassent par centaines de milliers dans cette partie du golfe à la fonte des glaces. Chacun d'eux consomme au moins 12 livres de poisson par jour (principalement de la morue). Pour les chasseurs de loups marins (dont les membres de l'équipage de l'Acadien II qui a sombré ce printemps) cette activité pratiquée dans les règles de l'art est une tradition de longue date, nécessaire, strictement réglementée, qui peut amener quelques petits dollars mais surtout qui aide à protéger la ressource principale, le poisson de fonds. Comme beaucoup d'autres, je suis outrée des mensonges éhontés qu'on colporte à grands renforts de documentaires biaisés et « stagés » d'un bout à l'autre, des nouvelles sensationnalistes qu'on diffuse partout où l'on veut voir vieillir en direct la Bardot, quitte pour cela à se taper ses élucubrations hystériques, qui s'ajoutent à des pages complètes qu'on achète dans les grands magazines américains sans rien comprendre du point de vue des scientifiques, des biologistes et des Madelinots.
Alors, quand les Brigitte Bardot, Paul Watson, Paul McCartney et son ex auront démontré qu'ils ont un minimum de respect pour les humains, les vieux, les enfants et les destinées de la race humaine, là et seulement là, ils pourront se payer des gros hélicoptères, des bateaux, des caméramen et des équipes de tournage pour venir faire la leçon aux Madelinots et les faire passer pour des êtres sans scrupules. Point.
L'histoire des Iles, celle des Acadiens Parce que j'aime l'histoire et qu'au fil des années, j'ai fouillé les généalogies de mes parents, de mes quatre grands-parents, tous originaires de Hâvre-aux-Maisons, j'ai trouvé des histoires incroyables, invraisemblables, qui sont arrivées à mes ancêtres qui se sont toujours suivis, depuis 1604, partis du Poitou en France pour aller en Acadie, à Beaubassin et à Louisbourg, avant même que Champlain fonde Québec. Les histoires de l'Acadie, comme celles de la Nouvelle-France ont eu des développements différents mais parallèles.
Ils étaient pêcheurs bien avant de s'établir de ce côté-ci de l'Atlantique. Ils venaient tendre leurs filets au large des côtes de la Nouvelle-Écosse, de Terre-Neuve et des Iles de la Madeleine. Ils cultivaient la terre aussi, les aboîteaux étant les symboles de leur esprit inventif et de leurs connaissances en agriculture. Les autochtones Micmacs étaient leurs alliés, leurs amis, chacun faisant profiter l'autre de ce qu'il savait de la Terre et de la Mer, de la Vie tout simplement.
Puis les Anglais sont arrivés. Le drame s'est joué à l'église de Grand Pré, entre autres. Ces Acadiens étaient d'une nation fière et pacifique. Ils n'ont pas voulu prêter serment d'allégeance à l'Angleterre, le roi de France les a abandonnés aussi, ils n'étaient que des Acadiens. En 1755, on les a déportés, déchirant les couples, séparant les familles, tuant et violant les insoumis, hommes, femmes et enfants, s'appropriant et brûlant leurs biens, les maisons, le bétail, les embarcations. L'histoire du Canada en a traité un peu mais pas assez à mon goût. Aujourd'hui, la diaspora acadienne est partout présente dans le monde et parmi tous les descendants, certains se cherchent encore, leur destin reste marqué par ce drame de la Déportation, ce que ma grand-mère appelait Le Grand Dérangement. Quand je vois l'extraordinaire émotion qu'on a toujours à se retrouver, dans nos ressemblances, nos parentés, nos accents et nos musiques, je ne peux m'empêcher de penser que ça doit venir de ce qu'on a vécu comme peuple, de ce qu'on transporte d'eau salée dans nos veines à se chercher de la famille depuis Le Grand Dérangement.
Mes ancêtres ont donc été déportés. En Angleterre, en Louisianne, en France, alors que quelques-uns se sont enfuis avec l'aide des Micmacs pour gagner le Québec. Je les retrouve, mes quatre familles, aux îles Saint-Pierre et Miquelon en 1790, alors que mon ancêtre Turbide épouse la veuve d'un de mes trois ancêtres Poirier, cette femme s'appelle Anne Boudreau, dame veuve Jean Poirier, et elle figure dans deux de mes quatre arbres généalogiques, j'ai le certificat de mariage du Ministère d'état aux affaires culturelles, direction des archives de France, section outre-mer, des îles Saint-Pierre et Miquelon, pour le prouver.
Peu après, en 1793, suite à la Révolution française, des familles acadiennes de Saint-Pierre et Miquelon, sous la gouverne de l'abbé Jean-Baptiste Alain, viennent s'établir aux Iles de la Madeleine. C'est avec eux que commence la véritable colonisation des Iles. Tous mes ancêtres étaient du nombre de ce contingent des pionniers des Iles, arrivés avec l'abbé Alain. Ils se sont établis depuis ce temps toujours à Hâvre-aux-Maisons, avec quelques exceptions à Hâvre Aubert.
Au fil du temps, la vie difficile des insulaires a amené plusieurs contingents à quitter leurs chères îles pour aller s'établir ailleurs, trouver du travail et assurer leur subsistance. Ils vont ainsi fonder plusieurs villages sur la Côte Nord dont Blanc-Sablon (1854) Hâvre-Saint-Pierre, Natashquan (1855) et Sept-Iles (1872). Un autre contingent partira plus tard pour fonder Lac-au-Saumon en Gaspésie, mon père a de la famille dans ce groupe-là. Vers 1930, on partira encore un gros contingent pour aller s'établir dans la région de Jonquière, au Saguenay Lac St-Jean et la dernière grande mouvance, le dernier contingent, celui qui n'est pas documenté, celui dont l'histoire reste encore à écrire, comprenait de nombreuses familles de Hâvre-aux-Maisons, dont mes quatre grands-parents venus s'établir en Abitibi, en 1941 à l'Ile Nepawa pour mon père, en 1942, à Roquemaure, pour ma mère. Ça vous explique l'inscription qui figure depuis toujours dans le haut de mon blogue...
Un hameçon ancré au large de mon coeur Vous voyez bien que je ne sais plus comment terminer ce billet, cet adieu à mes îles, celles que m'ont légué mes chers disparus qui m'ont accompagnée dans ces paysages jusqu'à me faire pleurer de joie à certains moments. J'ai la certitude et la conviction que je devrai y retourner encore, des gens que j'aime et qui m'aiment m'y attendent avec leurs charmes, leurs histoires, qui sont les miennes, leur parlure et leur musique, et je n'ai pas encore tout vu, tout vécu de ce que j'avais à y vivre.
Alors, pour revenir sur terre en douceur, je laisserai la parole à Sylvain Rivière, un Madelinot d'adoption, écrivain de talent que j'ai rencontré en 2002 mais dont je viens de découvrir les derniers ouvrages :
C'est un paradis échoué
Entre Bretagne et Acadie
Un archipel dégolfé
Au beau mitan du jour d'ici
C'est un hameçon sur la carte
Ancré au large de mon coeur
Un tout petit point sur la mappe
Qui m'attend à demain d'ailleurs
Elles sont marquises et souveraines
Ces îles d'or de ma chanson
Ces îles-de-la-Madeleine
Filles de buttes et de sillons
C'est un chapelet d'îlots frileux
Qui fait la vie dure aux agrès
Quand l'été se fait généreux
Que l'aube cale ses filets
C'est un pays où la parlure
Sait tenir le langage qu'il faut
Quand la nuit parle d'aventures
Dedans les yeux des matelots
Elles sont marquises et souveraines
Ces îles d'or de ma chanson
Ces Îles-de-la-Madeleine
Filles de buttes et de sillons
C'est familles, arrivées, partances
C'est lui que je porte en ma voix
C'est corps et âmes autant qu'errances
Vaillance, jargon et patois
C'est un frisson qui me nourrit
De sa rime parfois faraude
C'est mon pays, c'est ma chanson
Que je vous chante en moi qui rôde