L'été dernier, du petit aéroport de Havre-aux-Maisons aux Îles de la Madeleine jusqu'à celui de Gaspé, au pays de Barbe blanche, ce petit saut de puce qui signifiait la fin du voyage, où j'embrassais du regard une partie intime et maritime de mon pays, créait en moi, dans mes veines, comme une grande marée de l'eau salée qui y circule encore, faite de sentiments très forts de joie profonde, de paix, d'attachement et de nostalgie.
Plus on s'approchait des rivages de la Gaspésie et plus la vague d'émotions me ramenait loin en arrière, du temps de mon adolescence, à mon premier voyage aux Îles. Dans mon coeur, il y avait une musique, celle de Georges Moustaki, « La mer m'a donné sa carte de visite/Pour me dire je t'invite à voyager... » et « Ma liberté, longtemps je t'ai cherchée... »
Je ne compte plus les moments de ma vie où j'ai été accompagnée par les chansons de Georges. Il est décédé à l'âge de 79 ans à Nice et je l'ai appris ce matin à mon réveil. J'ai l'impression d'avoir perdu un ami et je veux me souvenir de lui avec tendresse et reconnaissance.
Il chantait la liberté
Devant moi, en ce moment, j'ai son visage barbu qui illumine de ses yeux de braise deux de ses microsillons usés que j'écoute encore parfois : Georges Moustaki Bobino 70 et l'autre, le plus connu sans doute, Le Métèque.
Il y a quelques années, j'avais entendu dire que Georges Moustaki viendrait faire une série de spectacles au Québec et qu'il allait prolonger sa tournée jusqu'en Abitibi-Témiscamingue, à Val-d'Or et à Rouyn-Noranda. J'aurais tout fait pour avoir un billet comme tous ceux qui faisaient la file en même temps que moi. Il y a seulement 750 places au Théâtre du Cuivre, ça allait être à guichet fermé en quelques minutes, je m'en doutais. Je comptais les jours qui me séparaient de cette « rencontre » avec l'artiste.
Par un beau soir ensoleillé de printemps, il nous est apparu, tout vêtu de blanc, sur la scène du Théâtre du Cuivre à Rouyn-Noranda. À l'heure. On lui aurait pardonné n'importe quel retard mais il est arrivé à l'heure. Presque sur la pointe des pieds. Discret. Calme. Souriant. Lui-même, tellement lui-même comme on l'avait rêvé. Et la magie a commencé à opérer dans cette salle si tant tellement subjuguée par sa voix, sa guitare, ses mots, ses chansons, sa présence.
Comme dans un rêve. Il était là à nous chanter ses plus belles, ses plus tendres. On les connaissait toutes. On les chantait avec lui. J'ai chanté avec Georges Moustaki, moi. Ah oui, j'ai tant chanté ce soir-là, toute seule avec lui. Nous étions tous en tête à tête avec Georges.
« Nous prendrons le temps de vivre/D'être libre, mon amour... »
« Votre fille a vingt ans/Que le temps passe vite... »
« Pour avoir si souvent dormi avec ma solitude/Je m'en suis fait presqu'une amie, une douce habitude... »
« La mer m'a donné sa carte de visite/Pour me dire je t'invite... »
« Pendant que je dormais/Pendant que je rêvais/Les aiguilles ont tourné/Il est trop tard... Pour l'enfant que j'étais/Pour l'enfant que j'ai fait/Passe passe le temps/Il n'y en a plus pour très longtemps... »
Bien sûr, il a chanté Le Métèque, Gaspard, Voyage, Le facteur, La carte du tendre, Joseph et lorsqu'il a entonné
« Ma liberté, longtemps je t'ai cherchée... »
C'était comme une prière que je récitais avec lui.
C'était comme une prière que je récitais avec lui.
Il nous a tant donné et la soirée a passé trop vite. Encore une fois, je le redis, comme dans un rêve. Un rêve magnifique, tendre et doux, du genre qu'on veut refaire chaque fois qu'on s'endort.
Nous l'avons applaudi chaleureusement, debout, longtemps. Des moments d'éternité. Nous avions besoin de lui manifester notre affection et notre reconnaissance pour cette soirée et pour l'ensemble de son oeuvre. On entendait des « je t'aime Georges » qui fusaient d'un peu partout, tant du parterre que du balcon.
À regrets, nous sommes sortis du Théâtre du Cuivre, lentement, comme sur la pointe des pieds nous autres aussi, toujours dans l'ambiance de sa musique et de ses mots.
C'est là que j'ai revu tous ceux qui avaient reçu le même cadeau que moi, du monde de mon âge, avec lesquels j'avais étudié, au primaire, au secondaire, à l'université, des gens avec lesquels j'avais toujours eu des affinités et je comprenais pourquoi, on aimait tous Georges Moustaki, il nous avait bercés pendant les plus beaux moments de notre vie qu'on revivait ce soir-là.
Les gens regagnaient leur voiture, mais une cinquantaine de nous sont restés agglutinés à la porte d'entrée à vivre ces retrouvailles magiques. Et puis, quelqu'un s'est mis à rechanter ses chansons. On a tous suivi. Que c'était beau. On chantait tous en harmonie. On prolongeait ce moment. On se disait qu'il nous entendrait peut-être... de sa loge! Que ça le ferait sourire...
Pour tout ça et plus encore, merci Georges Moustaki.
« L'art aide à vivre ».