vendredi 27 novembre 2009

N'ajustez pas votre appareil


Photo : Je voulais vous parler de la télé. Comment illustrer mon billet? J'ai fouillé dans mes vieilles photos et j'ai trouvé celle-ci, prise fin 1988, qui prouve une chose : la télé, chez nous, on ne la regarde pas beaucoup, on lui tourne le dos plutôt, mais elle devient interactive si l'on se fait nos propres émissions! Je me souviens que vers l'âge de 2 ans, Isa s'amusait beaucoup avec les personnages de Passe-Partout, elle leur parlait, leur racontait des histoires, leur montrait plein de choses. Bref, elle « échangeait » énormément avec eux!

N'ajustez pas votre appareil

Une anecdote survenue cette semaine et les déjeuners causeries que je partage avec Crocodile Dundee à 6 heures du matin m'amènent à penser que la télé, si on ne la regarde pas tellement, c'est peut-être parce qu'elle ne nous rejoint plus beaucoup. Il y a 5 ans, on avait résolu de laisser tomber notre abonnement à la cablodistribution et qu'avec trois postes, (Radio-Canada, Télé-Québec et TVA) on saurait peut-être survivre! On se disait que si ça nous manquait, on allait se faire rebrancher. Ça n'est pas encore arrivé que ça nous manque au point de passer à l'action, sauf peut-être que Crocodile Dundee regrette les parties de hockey qui ne sont plus diffusées que sur RDS, (Réseau des sports) une chaîne spécialisée.

Donc, mardi soir, Crocodile Dundee se fait inviter par Ti-Blanc, un voisin trop content de partager avec un autre mordu son enthousiasme pour les Canadiens de Montréal sur son nouveau système télé haute définition branché par un professionnel de l'électronique sur un paquet de gadgets avec plein de manettes pour optimiser le spectacle de la partie qu'ils espéraient enlevante. Crocodile Dundee, heureux d'accepter l'invitation spontanée, est parti de chez nous avec des p'tites frettes et deux cigares dans ses poches pour que la soirée soit agréable et le bonheur, total.

Revenu en fin de soirée, je l'attendais avant d'aller au dodo...

- Pis? C'était tu le fun, le hockey, avec la super télé?

- (sourire très très lointain) Ouais, les Canadiens ont gagné!

- Pourquoi tu souris de même?

- Moi? Je souris tu?

- Mets-en que tu souris...

- (rires étouffés) C'est parce qu'on l'a écoutée à la radio...

- Hein?

- Il était tout mêlé dans ses manettes, on manquait toute la game, les bonhommes étaient rendus larges de même, on perdait le son, Ti-Blanc était en train de virer fou avec son paquet de manettes pis là, il a dit : « Viens-tu fumer un cigare dans la cave? »

- Ouais, sa cave, c'est sa section fumeur!

- Ouais. Ça fait qu'on a écouté le reste de la game dans la cave, à la radio! C'était comme dans le temps de Maurice Richard, il manquait juste René Lecavalier! J'ai dit à Ti-Blanc que j'aimais mieux me faire les images dans ma tête que de les voir à tévé, sont rendus ben trop gros! On a ri comme des malades. C'était la meilleure game qu'on avait vue depuis longtemps. La prochaine fois, on va l'écouter dans mon garage, chu tout équipé, un vieux radio pitoute pitoute...

Voilà comment on va encore attendre avant de se rebrancher!

Une télé qui ne nous ressemble pas

De toute manière, Crocodile Dundee avait pété une coche le lendemain soir quand la télé, presque toujours à Radio-Canada chez nous, diffusait l'émission de Sophie Paquin, que j'écoute parfois d'une oreille distraite en faisant autre chose. Je sais pas pourquoi il prenait ça à coeur de même ce soir-là mais ça lui arrive de bougonner ses éditoriaux enflammés qui sont de vrais shows d'humour pour son public attentif qui ne demande pas mieux, c'est-à-dire moi.

« Non mais tu te reconnais tu là-dedans? Ça se passe même pas à Montréal, sont à New York. Ça parle anglais. Un téléroman québécois! Pis là, regarde, tout le monde couche avec tout le monde là-dedans? Les gars, les filles, n'importe quoi, comme ça adonne. Personne s'occupe des p'tits, personne va travailler, sont tout le temps énarvés, stressés, ils se parlent au cellulaire en pleine nuit, le monde peut ben capoter... »

Là-dessus, je trouvais qu'il avait un peu raison, je ne me reconnais pas moi non plus dans les téléromans diffusés au Québec depuis quelques années. Les émissions les plus rassembleuses dont je me souvienne, celles dont tout le monde parlait le lendemain matin au bureau, ce sont les premières séries de Lance et compte, Les filles de Caleb, Au nom du père et du fils, L'ombre de l'épervier, Chartrand et Simone, etc.

En conclusion : Simplicité volontaire!

Peut-être qu'on n'aura jamais besoin de se faire rebrancher finalement... Et puis, pour la haute définition, le cinéma maison, le son ambiant, l'écran plat relié au système de son, on va attendre aussi, pour le moment, on serait trop mêlé dans nos manettes, c'est notre genre... Mon dernier achat, celui qui me réjouit vraiment beaucoup, c'est une patente au boîtier antique que j'ai installée dans mon bureau : radio AM/FM, lecteur CD et...??? je vous le donne en mille...??? table tournante pour écouter nos vieux vinyles. Lui, il écoute ses vieilles tounes de Plume, et moi, j'ai retrouvé Georges Langford, Claude Gauthier, Gilles Vigneault, Jim & Bertrand, Georges Moustaki, Janis Joplin, Cat Stevens et les autres. Et si je veux me faire plaisir, je vais magasiner à La Ressourcerie, ils vendent les microsillons 1 $. Je pense que je vais y aller demain, tiens, je pourrais même dépenser un gros cinq six piasses si je me lâche lousse. Des fois, je suis déchaînée!

Non vraiment, on n'est pas sortables. On est simplicité volontaire malgré nous! Et là, on a contaminé la petite Félixe qu'on gardait hier soir. Après son bain, on l'a amenée danser en pyjama dans mon bureau, Papy avait mis ses vieilles tounes de Plume et ses vieux « récors » de Tex Lecor. En entendant « Depuis que les filles portent plus de brassiè-è-è-res, le paysage est ben plus l'fun qu'avant... » elle tapait des mains, bougeait ses fesses et souriait à pleines dents (de ses 6 dents). Papy était fier, il prend très à coeur son rôle de transmetteur d'une culture à laquelle la petite n'aurait pas eu accès autrement. Et il dit ça très sérieusement!

dimanche 22 novembre 2009

La fin de Joutel racontée par Pierre 19



Photo 1 : Puisque ce billet est intimement lié au précédent, voici le comparatif avec la photo aérienne illustrant celui de la semaine dernière. C'est ce qui reste de ce qu'a été Joutel, selon cette autre photo aérienne prise en août 2009, que j'ai chipée sur le site Facebook où d'anciens Joutellois ont senti le besoin de se raconter leur histoire en 450 photos, avec de nombreux souvenirs et de très touchants commentaires. Quand on dit que la ville a été rasée, ce n'est pas une figure de style.

Photos 2 et 3 : Encore une fois, pour permettre la comparaison avec les photos de mon billet précédent, voici ce qui reste de l'école Laurent-Bélanger. Photos prises à l'été 2006.

La fin de Joutel par Pierre 19

Loin de moi l'idée de faire pleurer le monde, ce qui s'est passé à Joutel est moins pire que tous les grands drames humains, guerres, famines, génocides, catastrophes et luttes mondiales où se perdent des vies quotidiennement. Mais je voudrais témoigner modestement d'une réalité qui existe dans des régions comme la nôtre où l'on assiste avec impuissance à la fermeture d'une ville où l'on a vécu son enfance, ses années d'école et ses plus beaux moments.

Je reprends les paroles du dernier couplet de la chanson de Michel Rivard, Shefferville, le dernier train :

C'est pas moi qui peut changer le cours de la vie/Si y a personne qui reste j'vais partir moi aussi/Mais c'est moi qui veut fermer les lumières de la ville/Lorsque le dernier train partira pour Sept-Iles/Lorsque le dernier train partira pour Sept-Iles

Rencontre inoubliable

J'en parlais souvent avec mes amis qui viennent aussi de petites villes minières, l'histoire de Joutel me rentrait dedans et je me demandais qui c'est qui avait bien pu fermer les lumières de la ville comme dans la chanson. L'histoire jamais racontée de Joutel, on aurait dit que j'avais besoin d'en connaître le dénouement, comment s'était passée la fin?

Je soupçonne mes amis Gilles et Martine d'avoir voulu réaliser mon rêve en me présentant Pierre 19 mais ils m'assurent que non, il ne s'agit que d'un magnifique hasard... Je ne sais plus combien de fois ils m'avaient dit : « Toi, faudrait absolument que tu connaisses notre chum Pierre T., t'en reviendrais pas! »

C'est arrivé lors d'une fin de semaine de pêche organisée avec eux, sur la rivière Pajegasque à Val-Paradis, fin août du début des années 2000. On s'amuse comme toujours lorsqu'on passe du temps ensemble, la nature et la température sont aussi belles que généreuses, on pêche du doré qu'on mange sur place, les enfants sont heureux et nous autres aussi. En prime, il paraît que dimanche, si on sort du camp de pêche pas trop tard, Pierre T. nous attend chez lui, à Val-Paradis, sur sa terre, avec sa femme Renée, et qu'ils ont très hâte de revoir leurs vieux chums et de nous rencontrer.

Pierre nous accueille en décrétant solennellement qu'après avoir fait le tour du monde, c'est ici, à Val-Paradis, sur sa terre, qu'il a choisi de revenir vivre, lui qui est le cadet d'une famille de 19 enfants qui a été pionnière de ce petit village au bout de la route, région Nord-du-Québec, au 49e parallèle. Et pour que vous saisissez bien l'originalité et la démesure du personnage, je vous précise qu'il m'offre une fleur de son jardin mais pas n'importe laquelle, un tournesol géant, au moins deux-trois pieds de plus grand que moi et il tient à ce que je le traîne tout au long de la visite, sinon, il pourrait être insulté!

Le tour du propriétaire

On passe à côté de la maison et de son atelier, on se garde ça pour la fin, qu'il dit. On commence par le jardin. Immense, le jardin. Il me parle des longues heures d'ensoleillement du nord et du micro climat, des grands espaces et de la liberté qui lui donnent le temps de penser quand il se promène sur son vieux tracteur. Il a des théories sur tout, je le suis comme une petite fille et je l'écoute, fascinée, émerveillée, pendant qu'il surveille ma grosse fleur que j'ai intérêt à ne pas poser nulle part, même quelques secondes. Des rangs bien droits, parfaitement symétriques, l'abondance de la récolte et puis, vers la fin, deux rangs en demi-lune pour les patates!

Croyant qu'il s'agit d'une autre de ses incroyables théories sur la nature et le monde, je lui demande pourquoi ces rangs de patates sont en demi-lune. Il me répond que c'est à cause de son tracteur. Parce que ça vient monotone de toujours se promener en ligne droite, rendu à la fin, il aime ça, virer le volant... Commencez-vous à piger qui est Pierre 19?

On traverse un petit pont en rond tout mignon qu'il a construit pour enjamber le ruisseau. Sa terre est immense et on voit bientôt une petite bâtisse toute blanche au milieu de rien mais il passe droit et nous amène à son autre atelier, une sorte de garage-maison, où ils vont souvent pour regarder les étoiles, qu'il dit. Renée acquiesce, elle aime cet endroit et les moments qu'ils y vivent.

Pierre 19, c'est un inventeur, un patenteux, un ingénieux. Il nous présente son B-52 sur lequel il travaille encore à améliorer des petits détails. Ça s'accroche en arrière d'une motoneige, c'est tout vitré en plexiglas, léger comme une plume, monté sur des skis en teflon de sa fabrication. Très aérodynamique. Son brevet est demandé mais en attente d'approbation. Il nous en fait la démonstration en entrant couché dedans, faisant des signes et ouvrant chaque compartiment pour nous en montrer l'utilité. Génial en effet mais il faut aimer le nord en pas pour rire pour avoir pensé à ça. Il nous entretient ensuite de ses autres inventions, certaines sont insolites mais pas du tout dénuées de sens pratique, de fantaisie, d'humour et de jarnigoine.

Au milieu de nulle part

On marche vers la petite cabane blanche pour s'en revenir. Trop content d'être heureux de nous ouvrir la porte, Pierre observe ma réaction... Ce que j'y vois me sidère totalement et il a l'air vraiment satisfait de l'effet qu'il escomptait. Il me dit : « C'est une salle de bain de style renaissance, j'en avais toujours voulu une ». Je le vois bien que c'est ça mais ce qui me questionne, c'est de savoir « Pourquoi là? Au milieu du champ? ». Il me raconte qu'il s'est dépêché de la faire pendant les préparatifs de sa grosse réunion de famille, l'été d'avant. Il avait loué un très grand chapiteau pour accueillir ses 18 frères et soeurs de partout, même de Vancouver, avec leurs enfants, et la salle de bain renaissance était au milieu du chapiteau parce que c'était plus pratique. Il dit que c'était l'endroit le plus stratégique parce que c'est à peu près tout le temps rendu à cet endroit qu'il a envie de pisser d'habitude, que ça lui évite de revenir à la maison et il ajoute : « Que j'en voie pas un pisser su'ma terre! ».

On marche maintenant en direction de la maison et de l'atelier qui sont tout près du stationnement de sa propriété où on a laissé nos camions. Le temps s'est un peu arrêté pour tout le monde et même que j'ai l'impression de vivre comme une sorte de rêve. Ma fleur commence à me peser lourd mais il me fait des gros yeux dès qu'il lit dans ma face le sentiment de lassitude que j'éprouve à l'endroit du gros tournesol qu'il m'avait offert si galamment. Une si belle fleur qu'il me dit, mon plus beau tournesol et juste pour toi, pour que tu m'oublies pas...

Révélation

On rentre dans l'atelier. C'est beau, éclairé, propre, comme partout ailleurs sur le véritable domaine appartenant à Pierre et Renée. Dans la première pièce qui ressemble à un hall d'entrée, je me souviens de vieux bidons de lait qui attendaient d'être peints et de gros bouquets de fleurs séchées, des antiquités de métal et de bois, en attente des attentions des propriétaires. Pierre me parle de sa photo qui a remporté un concours mondial de photographie : un blast de mine. Il a travaillé là-dessus pendant des années, alors qu'il « minait » sous terre, à Joutel...

Oui, Pierre 19 a travaillé longtemps à Joutel. Dans les mines. Évidemment. À la fin, quand les mines ont fermé une par une, il est resté comme agent de sécurité parce qu'il avait de l'ancienneté. Il a vu comment on a rasé Joutel. Il était là. Il a commencé à parler d'un ton plus grave quand il m'a dit que c'est lui qui avait fermé les lumières de la ville, une façon poétique de parler comme on dit ici.

Pierre m'a entraînée dans l'autre pièce juste à côté et mes zoreilles ne se souviennent que d'une seule phrase qu'il a prononcée à ce moment-là : « J'ai grimpé dans chaque poteau, j'avais le temps d'abord, j'ai dévissé les pancartes des noms de rues qui restaient encore, qui allaient être jetées dans l'oubli comme le reste de Joutel. »

Et à cet instant précis, sur les murs de l'atelier, s'étalaient sous mes yeux comme des trophées témoins d'un passé si présent qui n'avait plus d'avenir, accrochées comme des toiles, les pancartes

Rue Opale
Rue Zircon
Rue Topaze
Rue Quartz
Rue Émeraude

Mais pas Rue Rubis ni Boul. Joutel ni même celle de l'entrée de Joutel puisque ces trois pancartes ont été conservées par d'autres et je les ai revues seulement la semaine dernière sur le site des 450 photos des anciens Joutellois qui partagent les souvenirs de l'endroit où ils ont vécu leur enfance et appris la vie.

J'avais là une preuve irréfutable que c'est bel et bien Pierre 19, de Val-Paradis, qui a fermé les lumières de la ville de Joutel...

Prologue

Mon maudit grand tournesol, je l'ai traîné tout le long de la visite, Pierre n'a jamais voulu que je l'abandonne ou que je le dépose, ne serait-ce que quelques instants. Le mieux qu'il pouvait faire, selon lui, c'était de collaborer pour le mettre dans la boîte de notre camion pour le ramener chez nous. De biais un peu, on a réussi à l'installer couché de tout son long pour qu'il puisse supporter le voyage de retour jusqu'au lac Dufault. Me croirez-vous si je vous dis que je n'ai jamais pu le jeter même arrivée chez nous? Ma conscience m'en empêchait! Et si ma fleur géante offerte par Pierre 19 s'est flétrie en quelques jours, le souvenir de ce personnage plus grand que nature, certifié 100 % authentique, de celui qui a fermé les lumières de la ville de Joutel ne s'effacera jamais...

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À Richard, le Joutellois, à qui je dédie ce billet comme le précédent, si tu veux en savoir plus long sur les retrouvailles des gens de Joutel l'été dernier, ou revoir la pancarte de ta Rue Rubis, clique là-dessus :

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mardi 17 novembre 2009

L'histoire jamais racontée de Joutel




Photo 1 : Cette pancarte routière n'existe plus et j'ignore comment j'ai eu un jour l'intuition de la photographier tandis qu'elle existait encore. Probablement que Joutel était sur le point d'être rasée et oubliée par les compagnies minières qui lui avaient donné naissance, contrairement à ceux et celles qui y ont vécu aux belles années. Elle devait se situer pas très loin d'Amos, sur la route 109.

Photo 2 : Cette photo n'est pas de moi, elle provient d'un site Internet qui faisait référence à Joutel, ville minière « de compagnie » sise sur la rive gauche de la rivière Harricana, près des collines Cartright.

Photo 3 : J'ai trouvé cette photo de l'école Laurent-Bélanger de Joutel et je veux la partager avec Richard, le Joutellois, à qui je dédie ce billet.

L'histoire jamais racontée de Joutel

Je me promettais depuis longtemps de la raconter, cette histoire, mais je ne pouvais le faire sans vous parler du même coup de Pierre 19, un gars qui a travaillé longtemps à Joutel et qui habite maintenant à Val-Paradis. Je le surnommerai ici Pierre 19 parce qu'il est le cadet d'une famille de 19 enfants. Je tardais à m'y mettre parce qu'il y a des histoires si belles mais un peu cruelles qu'on ne peut résumer en quelques phrases... Alors, je vais différer dans le temps l'histoire de Joutel et dans mon prochain billet, je vous présenterai Pierre 19 qui m'en a raconté la fin. Vous verrez, vous ne perdez rien pour attendre!

J'en parle souvent, je suis née à l'hôpital d'Amos, juste en face de la rivière Harricana mais j'y ai vu le jour seulement et n'y ai séjourné que le temps de me sortir de l'incubateur parce que mes parents habitaient à La Sarre, en Abitibi-Ouest. Et chaque fois que j'y retourne, en Abitibi-Ouest, je revois avec délice les lieux qui ont bercé ma petite enfance, ma maison, celles de mes grands-parents, mon terrain de jeu pas loin, mon école Victor-Cormier, la rue Principale, la rivière La Sarre, le pont qui la surplombe légèrement à l'approche de l'église et du Centre Saint-André, etc.

Quand nous avons quitté La Sarre, j'avais sept ans. Nous déménagions à Matagami, là où nous étions parmi les familles pionnières qui allaient vivre des aventures extraordinaires à s'inventer une ville au nord du Nord, alors au bout de la route, aux confins de l'Abitibi de l'époque. Matagami est fondée en 1963, le gouvernement du Québec voit à l'aménagement de la ville et demeure le maître d'oeuvre de son développement urbain jusqu'au début des années 1970. La nouvelle zone minière Joutel-Matagami connaît alors une très forte poussée d'expansion. On y exploite les gisements de la Mattagami Lake Mines, la Orchan Mines (où mon père travaillait) et la New Hosko.

Joutel est née en 1965 dans les mêmes conditions, à cause d'abord des Mines Poirier, ensuite par Joutel Copper Mines et Agnico Eagle. Les nouvelles familles arrivées, en provenance surtout de l'Abitibi-Témiscamingue et du secteur d'Elliot Lake, en Ontario, viennent s'y installer pour se faire une nouvelle vie en pays neuf, les gisements sont si riches de promesses! Les infrastructures de Joutel sont mises en place par le Ministère des Richesses naturelles du Québec mais les maisons appartiennent aux compagnies minières, aucun résident n'est propriétaire, à l'exception des commerçants.

Très rapidement, et c'est le propre des villes minières qui poussent comme des champignons, la vie s'organise à Joutel. Le domaine résidentiel comprend alors 77 maisons individuelles, 20 maisons à deux logements, 8 immeubles à logement multiple (73 logements) et 42 emplacements pour roulottes. S'ajoutent aussi les résidences des Mines Poirier et d'Agnico Eagle qui accueillent les travailleurs célibataires ou ceux qui n'amènent pas leur famille sur le lieu de leur travail. Un centre d'achat regroupe la Banque Canadienne Impériale de Commerce, un marché d'alimentation IGA, un restaurant, le bureau de Poste, un magasin de vêtements pour enfants, un salon de coiffure pour dames, etc. On trouve aussi à Joutel un garage Esso, l'hôtel Joutel, l'école Laurent-Bélanger, l'église en forme de demi-lune comme un aréna, le club de curling qui abrite aussi des bureaux, un édifice de la compagnie Télébec et l'usine de filtration de l'eau. Parmi les principaux groupes sociaux, le Cercle des Fermières de Joutel, l'Association sportive de Joutel, le club de motoneige CanJou et quelques autres. Il y a une bibliothèque municipale d'environ 4000 volumes et un journal local, Pierre de Touche. (Réf. De l'Abbittibbi-Temiskaming 5, Collège du Nord-Ouest, 1979, Histoire de l'Abitibi-Témiscamingue, Normand Paquin, 1981 et L'Abitibi-Témiscamingue, Benoît-Beaudry Gourd, éditions de l'IQRC, 2007).

Contrairement aux villages qui ont plus d'histoire, les villes minières ne portaient pas le nom d'une sainteté comme on le voit si souvent au Québec. Même les noms des rues se distinguaient par leur toponymie moderne. À Joutel, pas de rue Frontenac, Montcalm, St-Jean ou Notre-Dame. On s'entoure plutôt de pierres précieuses et à l'exception du boulevard Joutel, les artères de la nouvelle petite ville portent les noms de rue Rubis, Opale, Zircon, Topaze, Quartz, Émeraude, etc. alors que les mines de l'endroit exploitent plutôt des gisements de cuivre, de zinc et d'or!

La vie à Joutel ressemblait en tout point à celle que nous vivions à Matagami. La vie sociale de nos parents était faite d'initiatives enthousiastes, d'activités de plein air et de solidarités quotidiennes dans cet univers protégé qu'on croyait être le paradis. Beaucoup d'enfants y sont nés, y ont fait leurs premiers pas, s'y sont fait des amis à jouer dehors, à faire des forts et des bonhommes de neige, jouer au hockey en pleine rue autant qu'à l'aréna, à se construire des cabanes dans la forêt autour, à pêcher sur la rivière Harricana, à fréquenter l'école maternelle, le primaire et le secondaire, à initier des équipes sportives et des clubs sociaux de toutes sortes. Joutel, c'était pour les enfants qui y vivaient une petite communauté tissée serré où tout le monde se connaît et s'invente à mesure une vie rêvée...

Puis, petit à petit, les gisements s'épuisant, les mines ont fermé une à une, les familles s'en allaient par blocs, on est si peu enraciné quand la maison appartient à la mine et qu'on n'y sera jamais que locataire, que le lieu de résidence n'est tributaire que du travail de mineur, que l'économie n'arrive jamais à se diversifier, qu'on est loin des grands centres, qu'on vient au monde dans ces petites villes minières, qu'on y grandit aussi mais qu'on ne s'y installe jamais définitivement parce qu'on n'y est que de passage et qu'on n'y prend jamais sa retraite.

Si en 1975, environ 1500 personnes habitent Joutel, la population décroît par la suite considérablement avec la fermeture de plusieurs mines de ce secteur. Le village est complètement démantelé au cours des années 1990. Et c'est là ce que je considère personnellement comme un petit drame pour ceux qui ont conservé de Joutel des souvenirs impérissables. Ils ont un sentiment d'appartenance si fort à leur petite ville qu'on a complètement détruite et rasée puisqu'elle ne leur appartenait pas autrement que dans les jours heureux qu'ils y avaient vécus. La rumeur veut que c'est parce que le pont de la rivière Harricana qui y mène aurait coûté trop cher à réparer et entretenir...

Ceux qui ont vécu les années formidables de l'enfance à Joutel ne peuvent pas, comme moi, retourner sur les lieux où ils ont appris la vie pour revoir leur maison, leur école, leurs amis, leur cabane dans les bois, leur aréna, leur restaurant, etc. J'ai connu Joutel à l'époque effervescente des beaux jours. On y allait parfois le dimanche parce que c'était, de Matagami, la ville la plus proche où l'on pouvait aller faire un tour en famille pour se faire croire qu'on faisait un petit voyage! Ma classe de 4e année était jumelée à la classe de 4e de Joutel, on correspondait régulièrement par écrit avec notre jumeau/jumelle qui menait une vie semblable à la nôtre avec un papa mineur et une maman qui avait autant d'amies qu'il y avait de maisons sur notre rue si vivante et si tant tellement formidablement habitée.

J'avais de la famille à Joutel. Des oncles, des tantes, des cousins et des cousines. Quand ils parlent de Joutel, ils sourient, s'emballent, se souviennent de tout et sont intarissables mais leurs yeux sont tristes. Ils parlent du « 72 », c'est tout ce qui leur reste comme lieu accessible, même la route 109 n'offre plus qu'une petite halte routière avec vue sur les collines Cartright là où il y avait avant un embranchement qui s'ouvrait sur les 8 milles de la route qui menait exclusivement à Joutel. Pause nostalgique qui appelle au silence absolu du paysage nordique infini avant de continuer à rouler vers Matagami.

Dans les rassemblements improvisés où d'anciens Joutellois se retrouvent comme des apatrides qui ont besoin de se souvenir ensemble qu'ils n'ont pas rêvé, une chanson monte à chaque fois du coeur de la gang qui se prennent par le cou, là où se trouvent les guitares réchauffées, en fin de soirée, quand on se dit les vraies affaires comme les émotions enfouies. Elle se chante à l'unisson et à tue-tête, on chante plus fort quand on peut pas brailler, dans la plus imparfaite harmonie mais intense et plus vraie que vraie, plus poignante qu'un hymne national d'un pays tant aimé, englouti par les sans-coeur qui mènent les mauvaises mines, une chanson qui raconte l'histoire de Joutel, de Gagnonville, de Murdochville, de Shefferville et de combien d'autres... De Michel Rivard. Shefferville.

Shefferville, le dernier train (Michel Rivard)

Il n'y a plus rien au Roxy depuis quelques mois/Y a de la neige dans la porte du vieux cinéma/Dans la rue un chien jappe et se prend pour un loup/La nuit tombe sur la ville qui m'a donné le jour

À la brasserie ça chante plus fort que d'habitude/Pour la fête à Johnny qui s'en retourne dans le sud/Mais le sud de Shefferville c'est pas la Jamaïque/C'est Québec ou Matane ou le Nouveau-Brunswick

En novembre passé ils ont fermé la mine/J'ai vu pleurer mon père sur la table de la cuisine/C'était pas tant de perdre une job assurée/Que de voir s'évanouir le rêve de trente années

Quand je suis venu au monde ils étaient jeunes mariés/Venus trouver l'amour et la prospérité/Dans une ville inventée par une grosse compagnie/En plein nord en plein froid et en plein paradis

Aujourd'hui ça m'fait mal de voir tout le monde partir/C'est icitte que j'suis né c'est là que j'veux mourir/Avec une caisse de douze une aurore boréale/Et la femme de ma vie couchés sous les étoiles

J'ai passé ma jeunesse à apprendre les bois/À la chasse à la pêche à boire avec les gars/Un ski doo entre les jambes et l'orgueil dans le coeur/Je suis devenu un homme et j'ai connu la peur

Sur les traces de mon père j'suis parti travailler/Et la mine de fer est devenue réalité/Comme l'amour de ma femme et la chaleur de mon foyer/Et la peur de m'faire prendre tout ce que j'ai gagné

Aujourd'hui ça m'fait mal de voir tout le monde partir/C'est icitte que j'suis né c'est là que j'veux mourir/Avec une caisse de douze une aurore boréale/Et la femme de ma vie couchés sous les étoiles couchés sous les étoiles

Et au bout de la ligne c'est l'histoire qui décide/Si le poids de nos rêves nous entraîne dans le vide/Je suis monté à pied sur la côte du radar/J'ai vu mourir ma ville sous le soleil du nord

C'est pas moi qui peut changer le cours de la vie/Si y a personne qui reste j'vais partir moi aussi/Mais c'est moi qui veut fermer les lumières de la ville/Lorsque le dernier train partira pour Sept-Îles/Lorsque le dernier train partira pour Sept-Îles

lundi 9 novembre 2009

Suite des deux précédents - Léo





Avertissement : Pour comprendre ce que je raconte, je vous suggère de lire mes deux billets précédents, La vie en cinémascope, du 2 novembre, et En vrac, en noir et blanc, du 8 novembre, avec sa mise à jour.

Photo 1 : En arrivant tout à l'heure à L'Épicerie Léo, j'ai cru utile de photographier l'enseigne parce qu'on y lit le nom du propriétaire ainsi que les heures d'ouverture. Quand on sait qu'il est seul, sans employé, sans femme ni enfant, on se demande comment il fait pour remplir ses promesses. Il me l'apprendra au cours de notre rencontre.

Photo 2 : À l'extérieur de son commerce, on peut voir qu'il a collé dans la vitrine l'affiche du film dont il est très fier.

Photo 3 : Il était content, Léo, de poser pour moi derrière son comptoir. Dans le film, une chose m'avait frappée qui donnait une bonne idée du personnage : Puisque le gouvernement oblige le commerçant à cacher les produits du tabac, Léo, en homme futé et débrouillard, s'est installé un bout de tissu coupé en petites bandes et enfilé sur une tringle à rideaux. Ça me fait tellement rire, ça!

Photo 4 : L'affiche du film signée par lui, le stylo de L'Épicerie Léo, deux cadeaux qu'il tenait à m'offrir et je me suis procuré chez lui une moppe et une lavette de sa fabrication. Il me les a signées également. Sacré Léo!

Suite des deux précédents - Léo

Comment vais-je arriver à vous partager ce que je viens de vivre en quelques mots... Hier soir, au téléphone, à sa demande, je lui avais promis que je passerais le saluer cette semaine, aussitôt que j'aurais une chance. Mais depuis ce matin, ça m'intriguait de savoir pourquoi il voulait tant me voir. Il m'avait dit que grâce à sa soeur qui le lui avait envoyé par fax, il avait lu « l'article » où je parlais de lui et du film de Carol Courchesne, dans lequel il est le personnage principal. Il m'avait dit qu'il était content, c'était déjà ça. Mais il tenait à me voir...

J'entre dans le magasin et je le trouve au téléphone pendant qu'il sert un client. Une autre cliente arrive puis un autre, Léo termine tranquillement sa conversation téléphonique, les clients semblent habitués à ça. Il connaît tout son monde, c'est évident, et moi, j'ai une enveloppe dans les mains et mon appareil photo, j'attends qu'il se libère. Il me dit : « C'est toi, Francine? » et moi, je lui réponds que je lui apporte le document au complet que j'ai imprimé en couleur pour lui donner. Il me dit : « Va t'en pas, là, faut que je te parle, pis j'ai quelque chose pour toi ».

Je lui dis de prendre tout le temps qu'il lui faut, que je vais regarder pour m'acheter une moppe et une lavette, faire le tour de son magasin en attendant. Il me dit : « C'est vite fait ici, le tour du magasin! » Je paralyse devant une grande photo au-dessus de la porte de sa manufacture de moppes, entourée de deux roses rouges en soie croisées au-dessus. Une vieille dame à laquelle il ressemble un peu. Il me lance, toujours derrière son comptoir à servir les clients, « C'est ma mère, elle est morte à 85 ans ». Le client s'en mêle, « Oui, mon Léo, pis elle est toujours avec toi, ta mère, ça, c'est sûr... » Léo me parle d'elle, qui habitait avec lui, comment il s'en occupait, comment elle est décédée, il n'omet aucun détail. À l'évidence, ils étaient très proches. Moi, j'écoute de toutes mes zoreilles.

Une fois seuls, il me sort de dessous son comptoir l'affiche du film. Il m'en fait cadeau. Il me la signe. Je lui dis : « Ah ouais? Signée à part ça? » il me répond du tac au tac, « Je suis rendu une vedette depuis une semaine, tu devrais voir toutes les moppes que j'ai signées la semaine passée, du monde de Montréal, de Granby, de partout, même un journaliste de la Belgique, c'est effrayant les moppes et les lavettes que j'ai vendues la semaine passée, ils voulaient les avoir signées. Je leur disais ça va être 5 piasses de plusssssse! » et mon Léo qui rit de bon coeur me fait remarquer que les affiches, par exemple, sont ben ben rares, que Carol lui en a fait laminer une et qu'il lui en reste juste 4, que ça lui fait plaisir de m'en donner une. Il en garde une pour sa nièce aussi...

À travers ses clients, on jase. En fait, il jase. Moi, j'écoute et je ris de le voir et de l'entendre, il a des réflexions tellement... uniques. Il me raconte que sur les 8 hold ups, il y a trois voleurs qui se sont fait tirer dessus. J'ai demandé : « Par vous? » et tout fier, il m'a dit : « Ben oui ». Il n'a pas l'air du tout traumatisé de ça, ajoutant que le dernier, le huitième, en a perdu ses culottes!!! Il se demande comment ça se fait que Carol a pas mis ça dans son film. Il dit qu'il avait filmé au moins 200 heures, Carol, qu'il aurait pu faire une grosse série! Moi, j'arrête pas de rire!

Il pense que je suis journaliste. Je le corrige. Nenon, pas journaliste du tout. Mais j'aime écrire. Il me dit que sa force, c'est les belles femmes fines. Que sa faiblesse, c'est aussi les belles femmes fines. « Comme toi! » qu'il me dit. « Tu me fais penser à ma belle-soeur préférée, belle pis fine » Je pensais que t'étais journaliste parce ton article, « c'est ben composé ». Mais faudrait que tu corriges des petites erreurs, va t'en pas, je vais te les dire. Pis je te donne quelque chose, regarde... Tout fier, il me sort un stylo de son entreprise. C'est pour moi? Oui, tu vas voir l'adresse dessus, c'est rue Pinder Ouest, pas Est. Pis ma manufacture, c'est Moppe Idéale enr. Faudrait que t'enlèves les s, à Moppes Idéales, c'est un nom d'entreprise, c'est comme L'Épicerie Léo ENREGISTRÉE, tout le monde oublie d'écrire enr. Les vrais journalistes, ils ont fait la même erreur que toi. Pis tu me vieillis, j'ai rien que 70 ans, pas 71.

Excusez-moi, Monsieur Léo, je vais corriger tout ça, je vous le promets. Moi, j'avais pris mes renseignements dans la programmation, les journaux. Léo m'a remis à l'ordre assez vite...
« Astheur que tu m'as dit que t'en étais pas une, crois-tu les journalistes, toi? » Oulala, Monsieur Léo, on pourrait s'en parler longtemps de ça!

Il m'a parlé longuement de sa famille, au proche comme au loin, de son horaire terrible qu'il aime, de son attachement à ses clients, de l'achat local et régional, bref, de tout et de rien, tout bonnement, entre les entrées et sorties de ses clients. J'ai dû passer presque deux heures là. Il ne voulait pas que je parte. Je lui ai dit que je reviendrais, que je lui apporterais la preuve que j'avais corrigé mes erreurs dans « l'article ». Je l'ai remercié beaucoup. Pour tout. Il m'a dit que je devrais m'acheter une moppe bleue pour mes planchers de bois franc. Il va m'organiser ça la prochaine fois.

J'ai eu l'impression de passer un super moment avec un vieil ami. Un phénomène tendre et drôle, Monsieur Léo. Je comprends qu'un jour Carol Courchesne ait voulu en faire un film. Il est si facile à aimer, Léo, tellement attachant, c'est un conteur né qui n'est pas conscient de son talent. Il aime le monde. Mine de rien, c'est un grand philosophe. Mon père s'appelait aussi Léo, et je vois entre ces deux hommes de grandes similitudes...

dimanche 8 novembre 2009

En vrac, en noir et blanc


Photo : Je l'ai prise cette semaine, un avant-midi, en direct de mon balcon, juste avant de courir rejoindre mes amis au Festival du cinéma. La lumière me semblait trop belle, aveuglante et douce à la fois, un peu étrange quand même dans ce ciel de grisaille du début novembre. En voyant ma photo sur mon ordinateur tout à l'heure, je me faisais la remarque qu'elle avait l'air d'être en noir et blanc mais non, je vous assure, il s'agit bel et bien d'une photo couleur que je n'ai pas retouchée!

En vrac, en noir et blanc

La semaine est passée si vite, encore plus que d'habitude, à cause du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, où j'ai passé tous mes après-midis. Je vous parlais la semaine dernière de La Donation, le dernier film de Bernard Émond, qui vient d'ajouter une autre reconnaissance à sa fiche déjà bien pourvue, en remportant le Prix Communications et société. Le grand prix du public est allé au long métrage Meisjes - The Over the hill band, du réalisateur Geoffrey Enthoven, une production de la Belgique. J'ai adoré ce film, j'étais donc parfaitement d'accord avec le choix du public. Le film sera présenté en salle au Québec au printemps 2010. Le Prix Télébec, pour les courts et moyens métrages, a été attribué à Léger problème, du Canada, une réalisation Hélène Florent. Je ne l'ai pas vu, celui-là, il était présenté en soirée.

Coup de coeur, 28e édition

Mon coup de coeur de cette année n'a pas reçu de prix mais j'aimerais vous en parler pour compenser un peu. Une production France/Belgique du réalisateur Stijn Coninx, Soeur Sourire. Ça se passe à Bruxelles, fin des années 1950. Jeannine Deckers rêve de devenir missionnaire en Afrique et elle entre chez les Dominicaines. Une religieuse rebelle, farouche, qui sera connue sous le nom de Soeur Sourire, à cause de son célèbre tube qui a fait le tour du monde, Dominique. Vous souvenez-vous de cette chanson? « Dominique nique nique s'en allait tout simplement... ». Saviez-vous qu'elle était venue chanter à Montréal, en 1967? Je l'ai appris dans le film. Et même si l'histoire se passe dans une communauté religieuse en grande partie, il y est très peu question de religion, sauf pour nous mettre dans le contexte. La réalisation se permet le flou un peu poétique et une certaine liberté seulement à la fin parce que pour le reste, le film demeure très fidèle à la réalité. Un destin fascinant.

Dans les coulisses

Je vous amène donc dans les coulisses du Festival pour ce film-là... Difficile pour moi de ne pas embarquer dès la première seconde où Soeur Sourire envahit le grand écran. Pourquoi? Parce que mon ami Jean, assis à ma droite comme toujours, passionné de cinéma, musicien de big band, avec sa voix unique et merveilleuse, qui connaît toutes les chansons de la terre, oublie si tant tellement totalement qu'il est dans une salle bondée de 750 places. Sur l'écran, on voit de dos une jeune fille assise sur son lit avec sa guitare et dès qu'il reconnaît les premiers accords, il entonne avec elle à tue-tête... « One night... with you... ». Et chaque fois qu'il y aura de la musique dans ce film, et il y en a beaucoup, Jean s'exclame avec enthousiasme au sujet des arrangements, des musiciens, il chante avec les choristes, avec Soeur Sourire, et moi, juste à être assise à ses côtés, c'était bien assez pour que j'aime le film!

L'après cinéma au bistrot

La fin du film nous a laissés avec plein de questions et d'hypothèses. Je ne vous en dis pas plus, le film sera projeté ailleurs au Québec très bientôt. Dans ce temps-là, on va prendre un verre de rouge ou une bière à l'Abstracto, notre bistrot préféré. Nenon nenon, ce n'est ni un caprice ni une fantaisie, il y a des films qui appellent ce genre de réunions informelles de toute urgence et Soeur Sourire en est un! On avait beau se questionner et en jaser pour démêler tout ça, Fernand et Suzanne avaient pourtant connu l'époque de Soeur Sourire, Diane, Nicole, Carmen, les jumelles S. et tout le hall d'entrée du Théâtre du Cuivre ainsi que le bistrot de la rue Perreault au grand complet, personne ne savait ce qu'avait été réellement le destin de Soeur Sourire après sa carrière dans la chanson. On l'a su juste le lendemain, au dîner, ma gang de festivaliers n'avait pu résister à faire la recherche. Il y a des fois, comme ça, qu'on règle l'affaire seulement le lendemain! Ah oui, j'oubliais de vous dire que... « Dominique nique nique s'en allait tout simplement... » on l'a eue dans la tête pendant le reste de la semaine. Bien sûr, mon ami Jean a préféré l'arrangement big band avec grand orchestre. Moi, je l'aimais mieux avec Soeur Sourire, sa guitare et les trois choristes!

Déception personnelle

Oui, je l'aime, MON Festival, n'en doutez jamais. Mais je vais me permettre une critique sur la programmation de cette année... Je n'ai jamais vu autant de films qui traitent de la mort, de la maladie, des soins palliatifs, du suicide, de l'infanticide, du sang qui pisse de partout, de la mort complètement toute mourue, dans son absurdité, beurk, je n'en pouvais plus. J'étais parfois déprimée en sortant de là... Jean était tout le temps d'accord avec moi là-dessus, ça lui permettait de me dire que c'était encore un autre cas d'urgence pour aller prendre une p'tite frette. Non mais, sérieusement, comment font-ils, ces réalisateurs, pour passer un an de leur vie et parfois plus, à travailler sur un film qui glorifie la mort de même? Heureusement, ce n'est pas toujours comme ça mais cette année, fallait être solide!

Chez vous sont bien?

À part ça, vous autres? Êtes-vous écoeurés d'entendre parler de la grippe A (H1N1) et de la vaccination? Je ne vous en parlerai pas, promis, juré. Sauf pour vous raconter qu'elle était même présente au Festival, la maudite! Oui, je vous le jure. Il n'y a aucun endroit dans le monde où l'on peut y échapper totalement. Qu'il y ait un kiosque à l'entrée du Théâtre du Cuivre pour le lavage des mains, passe encore, il en va du respect de la clientèle, d'une mesure de prévention toute simple qu'on devra inclure dans nos façons de faire à partir de tout de suite et pour l'avenir. Mais il y a eu une chronique culturelle consacrée entièrement à ça pendant le Festival et ça, c'était de trop, à mon avis. Mais le pire du pire, le boutte du boutte du comble de l'impact de cette psychose collective et généralisée, c'est que pendant les six jours de l'événement, plus personne n'osait se faire des accolades, des bisous sur les joues et des poignées de mains. Heille, MON Festival, reconnu partout pour être un événement chaleureux, à l'accueil légendaire, par des passionnés de la vie, des rencontres et du cinéma, vous le croirez pas, mais MON Festival est devenu cette année aseptisé et tiède, à cause de la menace de la maudite grippe du code postal.

Mes photos couleur peuvent bien avoir l'air d'être en noir et blanc...

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Mise à jour, dimanche soir...

Vous ne devinerez jamais qui c'est qui vient de me téléphoner et qui veut me voir? Léo. Oui, oui, c'est ça. Léo de L'Épicerie Léo. Celui qui fabrique des moppes dans son arrière boutique. Le Léo du moyen métrage de Carol Courchesne dont je vous parlais la semaine dernière. Sur mon afficheur, c'était écrit Épicerie Léo, ça fait comme drôle quand on vient de voir le film. Il a demandé à me parler, avec mon vrai nom et tout. À cause de ce que j'avais écrit ici. C'est sa soeur de Trois-Rivières qui lui a envoyé un fax de mon billet où je parlais de lui et du film, elle a trouvé mon nom et mes coordonnées grâce à mon frère Jocelyn qui habite maintenant à Lévis, en tout cas, Léo ne savait pas trop comment sa soeur y était arrivée mais bref, elle l'a conduit jusqu'à moi. Il voulait surtout me dire qu'il était content, Léo. Il voulait aussi que j'aille le voir. Il ne sort presque jamais de son magasin, ouvert 7 jours sur 7 et 365 jours par année. Je lui ai dit que je le connaissais, moi, parce que je suis déjà allée à L'Épicerie Léo. Alors, on a convenu que j'irais faire un tour cette semaine pour lui dire bonjour!

Pour mettre encore plus de couleur dans mon noir et blanc, il ne manquerait plus que je reçoive un appel téléphonique de Soeur Sourire!!!

lundi 2 novembre 2009

La vie en cinémascope


Voici l'affiche de cette 28e édition du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, dont la soirée d'ouverture coïncidait avec l'Halloween, le 31 octobre. Cette véritable fête du cinéma se poursuit jusqu'au 5 novembre. Ne me cherchez pas ailleurs qu'au FCIAT cette semaine, c'est ma brosse annuelle de cinéma avec mes amis(es) brosseux(ses) habituels(les) et fidèles.

La vie en cinémascope

Je rêve du jour où je pourrai me libérer pour « faire » le Festival au complet, c'est-à-dire les blocs d'après-midi et ceux du soir. Chaque année, pendant toute la durée de l'événement, je me lève aux aurores pour faire toute ma journée en avant-midi, je cours rejoindre les amis pour casser la croûte à 11 h 30 et de là, on part tous ensemble pour assister aux projections au Théâtre du Cuivre, à Rouyn-Noranda. Un bloc au Festival, c'est en général 2 ou 3 films d'animation, 2 ou 3 courts métrages, un moyen métrage, l'entracte, et la pièce de résistance, le long métrage.

Le Festival, c'est un tour du monde cinématographique en 6 jours. Cette année encore, la programmation présente 150 films provenant de 25 pays, 24 longs métrages, 118 courts et moyens métrages, dont 49 animations. Parmi ces films, 26 ont déjà été primés ailleurs dans le monde et nous sommes honorés de 31 grandes premières, 15 mondiales, 13 nord-américaines et 7 québécoises. Le Festival, c'est surtout une fête, une ambiance à nulle autre pareille, un public chaleureux et passionné, trois piliers visionnaires qui y ont cru depuis le début, Jacques Matte, Guy Parent et Louis Dallaire, une armée de bénévoles qui prennent des vacances pour l'occasion, une équipe solide, un comité d'accueil qui a fait école dans plusieurs autres événements culturels d'ici, une façon de faire à l'image des gens de l'Abitibi, une relève avide de tout voir, des ateliers cinématographiques, les classes des maîtres, le cinécole, le ciné-muffin, le volet jeunesse au grand complet, les sorties nocturnes, les expositions et la tournée régionale.

Je ne pourrais jamais en dire assez du FCIAT. Je l'aime. Je le connais bien. J'y ai vécu depuis toujours des moments exaltants, j'y ai été même contractuelle aux communications, trois mois de travail acharné, palpitant, passionnant, où j'ai été en lien avec 265 médias, responsable de la salle de presse et de l'organisation de la tournée des médias nationaux où Jacques allait à toutes les émissions culturelles et d'actualités où l'on nous faisait une place. Je ne suis pas gênée de le dire, comme je le racontais à Louis la semaine dernière, « après un mandat comme ça, t'as plus peur de rien et si ça a été l'expérience de travail la plus enrichissante de toute ma carrière, je ne la referais pas! ».

La Donation

Le troisième film de la trilogie de Bernard Émond était projeté en soirée d'ouverture, après avoir été primé aux festivals de Locarno, Toronto et Pusan, en Corée du Sud. Ce film très attendu ici, une première québécoise, sortira en salle le 6 novembre prochain. Bernard Émond, on l'aime, et c'est réciproque. À tel point que c'est lors d'une de ses présences au Festival, il y a quelques années, qu'on l'a amené faire un tour en Abitibi-Ouest. À Normétal, il a eu un coup de coeur saisissant, c'est là qu'il voulait situer l'histoire qu'il nous raconte dans La Donation.

Cette petite ville minière de l'Abitibi-Ouest incarnait pour lui le décor qu'il voulait pour illustrer des valeurs qui lui sont chères, un peu oubliées, la résistance des gens, une Abitibi non pas idyllique mais sauvage, belle, austère, nostalgique, fabuleuse et méconnue, avec ses splendeurs et ses misères, sa nature indomptable, sa mine fermée depuis 1975, ses personnages plus grands que nature, pas maquillés du tout, authentiques, humains...

L'histoire, je ne vous la raconterai pas mais l'Abitibi-Ouest y tient un grand rôle, au point de devenir le personnage central. Une réalisation sobre de Bernard Émond qui laisse toute la place au jeu tout en retenue des talentueux Jacques Godin, Elise Guilbault, Angèle Coutu, Éric Hoziel et plusieurs autres, dont quelques comédiens vivant ici et des figurants que Soisig saura reconnaître, puisque Norméal, c'est sa petite ville chérie où elle connaît tout le monde. Normétal... L'anagramme de Montréal, mais c'est tout ce que ces villes ont en commun, des lettres mélangées!

Si on aime l'univers de Bernard Émond et son propos, on aimera La Donation. Voici ce qu'il en dit lui-même : « Il est selon moi essentiel de transmettre un héritage, de reconnaître notre dette envers nos prédécesseurs et notre devoir face à ceux qui nous suivent ». J'avais entendu quelques commentaires mitigés avant de voir ce film, entre autre que ça ne mettait pas en valeur du tout Normétal, l'Abitibi-Ouest et notre région dans son ensemble. Certains en étaient choqués. Pas moi. Ce film, que voulez-vous, c'est vraiment l'idée que les Québécois se font de notre région, c'est loin loin loin, c'est un peu la misère...

Mais c'est probablement la réalité aussi. Bien sûr, la lumière y est sombre, c'était le choix du réalisateur pour bien camper l'histoire pourtant très belle qu'il nous raconte. Mais on y voit aussi ce ciel plus haut qu'ailleurs dont je vous parle souvent et qui m'émeut toujours, chaque fois que je vais en Abitibi-Ouest. J'ai reconnu nos forêts à perte de vue, ces paysages à vous couper le souffle, ces cours d'eau majestueux vus d'avion, ces petits camps sur le bord d'une rivière où l'on peut s'isoler, ces braves gens qui dégagent une force tranquille, Normétal sous tous ses angles, les couloirs et les chambres du CSSS des Aurores-Boréales à Macamic, le légendaire dépanneur de Val-Paradis et tellement d'autres lieux que je verrai maintenant autrement.

Est-ce que j'ai aimé? Oui mais je ne suis pas une référence, j'aime tout. Crocodile Dundee a aimé aussi mais avec une réserve, je le cite : « Ça meurt ben trop, là-dedans, c'est trop sombre, il y a trop de misère, ça ne va pas arranger les préjugés que les gens ont par rapport à notre région » ce à quoi on pourrait répondre que Bernard Émond ne s'était pas donné le mandat de faire une pub pour l'Association touristique régionale...

BLOC 3

Hier, bloc 3, j'ai vu des petits chefs-d'oeuvre. « Post-it love », du Royaume-Uni, 3 minutes, sans dialogue. Puis un autre que je n'aurais pas manqué pour tout l'or du monde, « Léo » de Carol Courchesne, une première mondiale, « Made in Icitte », comme on dit, tourné à Rouyn-Noranda. Ce documentaire, un moyen métrage, présente Léo Boulet, 70 ans, propriétaire de Moppe Idéale enr., une fabrique située derrière L'Épicerie Léo, rue Pinder Ouest. Absolument suave... Léo, tout seul, sans femme, sans enfant, sans employé, tient son commerce ouvert 7 jours sur 7, 365 jours par année, depuis 27 ans. Quel attachant bonhomme! On y rencontre Léo dans toute sa vérité, son humour bon enfant, sa franchise, son honnêteté, sa candeur. Il a été victime de 8 hold ups, il nous parle de son refus des subventions pour sa manufacture de moppes, les meilleures au monde et il nous explique pourquoi. Une perle de grand petit film. Je tenais aussi à voir ce film parce qu'il y a deux personnes que j'aime infiniment au générique, le directeur photo et la script assistante!!! À la fin, Carol Courchesne et Léo Boulet ont été applaudis à tout rompre, une ovation debout et bruyante des 750 personnes au Théâtre du Cuivre hier après-midi. Un moment de folie collective, de fierté émue et contagieuse.

Le long métrage « Mesjes » ou « The over the hill band », un film hollandais, sera distribué au Québec et en français en mars 2010. Ne manquez pas ce film touchant et drôle.

J'étais assise hier en agréable compagnie pour voir tous ces films du bloc 3. Comme de raison, on ne dit jamais un seul mot pendant les projections. C'était encore plus important hier. Guy, Diane, Carmen et moi, nous étions là comme cinéphiles mais Dominic, lui, devait faire son travail de « M'sieur le juge » pour la semaine, un rôle qu'il prend très au sérieux, avec son fameux oeil de cinéaste et réalisateur. C'est un honneur qui lui échoit ainsi, à 27 ans, ça signifie qu'il a la reconnaissance de ses pairs dans le milieu du cinéma, lui qui est né et qui a grandi dans les coulisses du Ciné-muffin, du cinécole et du volet jeunesse du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue. Je suis très fière de lui et pas seulement pour son talent dans son domaine, pour l'ensemble de ses réalisations personnelles également! Pour en savoir plus, il faut cliquer sur le site du FCIAT dont j'indique l'adresse ci-haut, dans la bande de gauche de la page d'accueil, cliquez sur « médias » et ensuite, sous 2009, allez à la ligne « Jury Télébec ». Vous verrez pourquoi Félixe est si jolie, enfin, je veux dire... euh... vous aurez la moitié de la réponse!

L'heure avance, il faut que j'aille rejoindre ma gang de fous pour casser la croûte, j'ai hâte de savoir ce qu'ils ont pensé de La Donation et des films d'hier! Le bloc 5 s'annonce pour être quelque chose. Je vais me saouler de cinéma encore aujourd'hui!!!