vendredi 25 octobre 2019

UNE LANGUE INSULAIRE

D'aussi loin que je peux remonter dans l'arbre généalogique de mes familles paternelles et maternelles, notre histoire part du Poitou, en France, pour venir s'établir en Acadie dès 1604. Vivant de pêche et d'agriculture, mes ancêtres ont subi la Déportation des Acadiens en 1755 pour se réfugier quelques années plus tard aux Îles Saint-Pierre et Miquelon, petit coin de France en Amérique, d'où ils sont repartis en un gros contingent, en 1793, pour coloniser les Îles de la Madeleine. Ils y sont depuis, établis plus particulièrement dans le village de Havre-aux-Maisons.


La tradition orale faisant partie intégrante de notre culture de peuple insoumis depuis toujours, il devenait évident que notre langue allait en garder des accents de vieux français, d'expressions maritimes et de particularités empreintes de toutes nos insularités, influencées par la pêche et la construction navale.


Si vous voulez, je vous amène à la découverte ou au rappel de quelques mots ou expressions typiques des Îles de la Madeleine, une langue que j'ai entendue tout au long de ma vie et que j'entends encore partout dans mes familles, ici et aux Îles. Des mots qui chantent ou qui font sourire, qui expriment mieux que tout des réalités qui réfèrent à la mer, aux bateaux et au vent du large. 


UNE LANGUE INSULAIRE 

Piège à fesses : Celle-là, elle me fait rire! Un jour, aux Îles, j'ai vu ces mots « piège à fesses » peints sur un banc public juste à côté d'une boutique d'art sur La Grave, à Havre-Aubert. Pas besoin d'explication pour savoir ce que ça signifie, on y voyait bien une invitation à s'asseoir!


S'amariner : S'habituer à une situation. Exemple : « Elle s'est amarinée rapidement à son nouvel emploi ». 

Tchaude : On dit un tchaude, comme par exemple un tchaude aux clams, un tchaude à la morue, etc. De l'anglais chowder. On peut dire aussi chaudrée. 

Déblâme : Excuse, prétexte, faux fuyant. Exemple : « Il s'est trouvé une déblâme pour ne pas venir ». 

Bord : Le bord d'un vaisseau. Par extension, le grand bord (salle familiale) le petit bord (la dépense, le garde-manger) à bord (à l'intérieur de) à contre-bord (à l'envers) de l'autre bord (l'autre côté de la mer, la grand'terre) prendre le bord (s'en aller) virer de bord (changer de direction). 

Le large : Haute mer. Exemple : « Prendre le large, regarder au large ».


Ancre : Instrument de métal lourd qu'on laisse descendre au fond de l'eau pour immobiliser l'embarcation. Par extension, à l'ancre signifie immobile, il y a aussi jeter l'ancre, lever l'ancre, s'ancrer, etc. 

Larguer : Libérer, détacher, partir. 

Bisque-en-coin : En diagonale, de biais.

Marée : Unité de temps vague, imprécise ou encore grande quantité. Exemple : « Il y avait une marée de monde ». 

Sawesse : Chapeau de pêcheur à large bord, imperméable. De l'anglais south et west. Parce que lorsque le vent est du sud-ouest, généralement il pleut.  

Pirate : Enfant ou adulte taquin, turbulent, joueur de tour, mauvais garnement. Exemple : « Dans sa classe, il y avait bien des petits pirates ». 

Beausir : Embellir, devenir beau. Exemple : « Le temps est gris mais à mon avis, il va beausir ».


C'est d'ailleurs sur ce joli mot que je vous laisse jusqu'à… une prochaine marée! 

jeudi 10 octobre 2019

JACKY VA SE DÉGOLFER

Savez-vous ce que signifie l'expression « se dégolfer »? Les Îles de la Madeleine, c'est un archipel situé en plein golfe St-Laurent.  Se dégolfer, ça veut dire quitter les Îles, se sortir du golfe, s'arracher de gré ou de force de ce lieu mythique, cet archipel en forme d'hameçon, qu'on ne quitte qu'en bateau ou en avion, pour aller… ailleurs.



JACKY VA SE DÉGOLFER

Mais Jacky, lui, va se dégolfer tout à l'heure, à 14 heures précisément, heure des Îles, une heure plus tard dans les Maritimes donc, et il ne le fera ni en bateau ni en avion. Je vous fais un peu comme qui dirait la chronique d'une mort annoncée : Jacky a demandé et obtenu l'autorisation pour l'aide médicale à mourir. 

Nous avons des liens de parenté, Jacky et moi. Mais je l'ai connu surtout virtuellement parce qu'il avait inventé, alimenté et animé depuis de nombreuses années une plateforme citoyenne madelinienne qui s'appelle Info Madelinot. Aujourd'hui plus de 6000 membres fréquentent assidûment son site pour s'informer, discuter, échanger, prendre des actions, supporter, se concerter, se mobiliser et s'encourager. 

Jacky a toujours su toucher le cœur de sa communauté, des Îles et d'ailleurs, parce que c'était tout un rassembleur. Un pacifique. Un écolo. Un gars de party qui aime le monde, l'humour et la musique. 

Il y a 3 ans, on lui a diagnostiqué un cancer et depuis ce temps qu'il fait tout ce qu'il faut de traitements, de changements, de thérapies, et tout cela avec courage, sérénité et résilience. Sur son site, il répétait souvent que tout devait se faire dans l'ordre et le respect, il rappelait souvent à l'ordre des personnes qui savaient plus affirmer et condamner que discuter et chercher à comprendre ou faire avancer les choses. Tout le monde aimait et respectait Jacky. 

Depuis quelques jours, il est hospitalisé à Cap-aux-Meules et on sait qu'il n'en sortira plus de cette chambre-là. C'est là qu'il recevra l'injection à 14 heures cet après-midi, entouré de ses proches, familles et amis. C'est aussi là que les gens vont le visiter depuis une semaine. Hier soir encore, ils ont apporté les guitares et ils ont chanté ensemble jusqu'à 20 heures 45. Jacky a fait rire tout le monde en fin de semaine, on a dit qu'on n'avait jamais vu plus serein que Jacky devant la fin imminente qu'il avait si ardemment souhaitée. 

Il l'a fait un peu pour lui-même mais aussi pour sa femme, ses deux filles, sa parenté et ses amis. Il a voulu prêcher par l'exemple dans sa communauté pour dire au monde que c'était possible de partir ainsi. Dans la dignité. 

Une autre expression typiquement madelinienne que je trouve originale et tout à fait de circonstances, c'est lorsqu'on dit d'une personne qu'elle est « sur ses puyinques », lorsqu'il n'y a plus rien à faire, médicalement, et que cette personne a « puyinques » (plus rien que) quelques jours ou quelques heures à vivre. Jacky est sur ses puyinques parce qu'il a choisi qu'il en soit ainsi. Je le respecte et je l'admire de vivre cette étape avec tant de force, de calme, de sérénité, d'humour, d'amour, d'amitié, de musique et d'heureusité. 

Auprès de lui aux Îles, ça circule sans relâche depuis la fin de semaine. Je le sais, je suis en communication avec beaucoup d'entre eux qui me donnent des nouvelles. Sur le site Info Madelinot, c'est pareil, les témoignages, vidéos, photos, souvenirs, messages s'additionnent et se multiplient. Jacky a publié hier soir son dernier message, tout simple, très beau et touchant. Il a légué sa plateforme à quelques-uns de ses meilleurs amis qui continueront son œuvre, celle qui lui tient à cœur. 

Des quatre coins du Québec, des Maritimes et des Îles, on a ce lien unique qui nous rattache à l'archipel madelinot et à Jacky aujourd'hui malgré la distance. On a lancé l'appel à toute la communauté là-bas de se rendre, nombreux, habillés en vert, dans le stationnement de l'hôpital à 13 h 30 pour que Jacky puisse voir de la fenêtre de sa chambre cette grande vague d'amour et tout le respect qu'on lui voue en l'accompagnant jusqu'à la fin. Ensuite, il pourra s'étendre sur son lit, recevoir l'injection et partir en paix. 

Pour ma part, je suis déjà en communion de pensée avec eux depuis quelques jours et ce matin, en me réveillant, j'ai pensé que c'était la dernière fois que Jacky voyait le soleil se lever. Oui, mon cœur est aux Îles avec toute la cousinerie et en ce moment, j'allume une chandelle, j'ai le goût de fermer les yeux et de chanter tout bas « J'aime ce petit coin de terre/Perdu là-bas aux grandes eaux/Où j'ai vécu avec ma mère/Mes premiers jours tendres et beaux/Les souvenirs de l'enfance/Viennent charmer mon âge mûr/Comme la vapeur que le vent balance/Embellit parfois ce ciel d'azur... »