J'ai pris cette photo hier après-midi, à Authier, alors que j'assistais avec ma voisine et sa tante à une pièce de théâtre dans une grange, en face de L'École du rang II d'Authier. Cette pièce était présentée pour l'avant-dernière fois et je voulais absolument la voir parce qu'elle raconte la vie, le quotidien des pionniers de l'Abitibi-Ouest dans les années 40, mes parents étant arrivés ici en 1941 dans le cas de mon père et en 1942 dans celui de ma mère. On voit sur ma photo les trois musiciens qui nous divertissaient avant le début de la pièce, parce que les portes de la grange ouvrent toujours une heure avant. Nous avions une heure de route à faire, à partir de Rouyn-Noranda, pour nous rendre sur les lieux du site historique « L'École du rang II d'Authier ». Et parce que nous connaissons François, le comédien qui campe avec brio le rôle principal de Joachim, on avait eu le conseil de se rendre assez d'avance pour trouver de bonnes places assises, surtout que des musiciens d'une même famille savaient mettre une belle ambiance en attendant le début du spectacle théâtral.
En complémentarité avec L'École du rang II, située juste en face, ce théâtre interactif relate avec humour, les mercredis et dimanches après-midi, le quotidien de ceux qui ont bâti notre région, encore si jeune. Le spectacle se déroule dans une grange où l'on a mis des bancs, des estrades de fortune, un décor tout simple, des costumes d'époque, il ne pouvait en être autrement... Pourtant, il se passe vraiment quelque chose là puisque, hier encore, par une chaleur torride de 34 degrés avec un taux d'humidité à faire fondre le Pôle Nord, la grange était pleine à craquer et je n'ai pas pensé une seule minute à m'en aller...
Déjà qu'en Abitibi-Ouest, chaque fois que j'y vais, je sens quelque chose de très familier. Je reviens sur les chemins de mon enfance en quelque sorte. Dans chaque visage, je crois reconnaître un ancien voisin, un cousin éloigné, une collègue de travail, une connaissance, quelqu'un qui était dans ma classe à la petite école et ce n'est pas mon imaginaire, on me salue et on me sourit souvent, familièrement, je m'y sens chez moi, comme l'enfant que j'étais, que je suis toujours en fin de compte.
Avec 30 minutes d'avance, on n'était pas trop tôt. On a eu du mal à trouver des places, tellement que j'ai laissé Danièle et sa tante s'asseoir ensemble et j'ai cherché une place ailleurs. Pas facile. Finalement, au bout d'un banc de métal, un monsieur qui ressemblait à mon grand-père maternel m'a accueillie d'un geste et d'un sourire, en se collant autant qu'il pouvait du côté de sa femme et j'ai pu m'appuyer une fesse plus que m'asseoir véritablement, mais avec un tel accueil, c'était quand même confortable!
J'ai été conquise par la musique à la minute où nous sommes sorties de la voiture. Ça m'attirait comme un aimant très puissant. Ils jouaient les mêmes chansons que j'ai entendues toute mon enfance, mes oncles, tantes, cousins, cousines se rassemblaient toujours autour de ces instruments de musique faciles à transporter. Ils communiquent toujours ainsi, ils s'aiment comme ça, à travers leurs chansons. Je reconnaissais les reels à mon oncle Jos, à Cyrice, à Lauréat, les vieilles chansons à ma tante Marie-Louise, ma tante Flavie, à Grand-Maman, les guitares à mon oncle Marcel, mon oncle Paul, ce que Papa jouait à l'harmonica, les rares fois où il en jouait, mais par-dessus tout, je voyais l'harmonie qu'il y avait entre eux quand ils jouaient ensemble, ces sourires, ces connivences, ces regards qui disent tout...
Moi qui ne pleure jamais, j'étais émue à en avoir les yeux pleins d'eau, j'étais mal à l'aise, pourtant, je n'aurais pas voulu être ailleurs. La dame à l'accordéon avait l'expression de ma tante Marie-Jeanne. Les deux messieurs qui jouaient de la guitare ont raconté que quand ils étaient petits, ils étaient pauvres et n'avaient qu'une seule guitare pour toute la famille, que leur mère leur avait « fait venir » du catalogue de Dupuis et Frères, à 2,95 $, alors, ils nous ont joué à quatre mains sur la même guitare un morceau de musique tellement beau... Ils étaient touchants, presqu'enlacés, ces deux costauds-là, tellement complices.
J'étais hypnotisée, subjuguée par ces deux frères, leur musique, et je me concentrais pour ne pas pleurer en dehors parce qu'en dedans, je pleurais doucement... de bonheur, d'une certaine nostalgie aussi, d'un passé qui m'a beaucoup marquée et qui me nourrit encore. Ils ont achevé cette musique en se serrant la main, en se souriant, gênés et émus par nos applaudissements, puis ils ont entamé la suivante : « J'avais 20 ans pour les yeux d'une femme, Un mot d'amour faisait battre mon coeur, Pour être aimé j'aurais vendu mon âme, Et de mon sang j'eus payé ce bonheur, Je vous voyais mesdames toutes belles, Je confondais l'automne et le printemps, Je vous croyais et vous étiez si belles, Comme je voudrais avoir encore 20 ans... »
Grand-Papa chantait ça... Je le revoyais encore, dans le petit salon de la maison du rang VII à La Sarre, sa maison toujours trop petite, ouverte à tous, qui débordait de monde et de musique, comme la grange d'Authier. Et comme pour ajouter à mon émotion, le monsieur à côté de moi qui ressemblait à Grand-Papa, chantait avec les musiciens, il connaissait bien les paroles de J'avais vingt ans, il avait une si jolie voix... Je sais qu'il a senti mon trouble, j'entends parfois ce que les gens ont dans le coeur, il se tassait sur sa femme et me laissait une plus grande place. J'ai presque failli le prendre dans mes bras!
J'avais beau être venue pour la pièce de théâtre, je ne voulais pas que les musiciens s'arrêtent. Pourtant, il a fallu, il était 14 heures, on s'apprêtait à nous raconter notre histoire. J'ai beaucoup ri pendant le show, à voir ces comédiens magnifiques, complètement dans la peau de leurs personnages, interagir avec le public qui participait avec intelligence et humour également. Le décor, tout simple, les comédiens, brillants, le texte, d'une simplicité et d'une authenticité rare, c'était chez nous, à nous, on se reconnaissait. Ma région, à l'image de cette pièce de théâtre dans une grange, je la trouve attachante, drôle, tendre et si facile à aimer qu'elle me bouleverse parfois...
Ah oui, j'oubliais... Toujours à l'image de la région, ça ne coûte rien pour entrer dans la grange, assister au spectacle. En plus, on nous donne un coupon à l'entrée, avec un numéro et à la fin, on fait le tirage de prix de présence. Hier, c'était des pains de ménage, la semaine dernière, du sucre à la crème, la semaine d'avant, des sublets, comme ceux que Papa me fabriquait quand j'étais petite. Les comédiens ont passé le chapeau à la sortie, je leur ai donné tout ce que je pouvais, j'ai vu de beaux billets dans les chapeaux. Ma région, elle est très généreuse aussi, elle donne sans compter, souvent beaucoup plus qu'elle ne reçoit, c'est ce qui fait qu'on l'aime, qu'on devrait aller la voir plus souvent.