Photo 1 : Un tétras mâle (communément appelé perdrix) ne sait pas encore que je l'observe.
Photo 2 : Il vient de s'en apercevoir, il se tourne pour me présenter son meilleur profil.
Photo 3 : Là, il pense de m'impressionner!
N'est pas dragon qui veut
Je ne regarde pas beaucoup la télé mais depuis quelques semaines, il y a une émission diffusée les lundis soir, à 20 heures, à Radio-Canada : Dans l'oeil des dragons, ou quelque chose du genre. Je n'arrive jamais à l'écouter au complet, je suis toujours dérangée pendant cette heure-là, on dirait que ça le fait exprès, et je m'en suis fait une idée sans toutefois pouvoir la défendre mais cette émission me fascine. Cinq dragons, quatre hommes et une femme, sont des gens d'affaires qui reçoivent, jaugent et jugent des propositions d'investissement présentées par de jeunes entrepreneurs qui cherchent à les convaincre d'embarquer avec eux dans leur entreprise, à différents pourcentages. Ils recherchent du financement, de nouveaux marchés, de la publicité, du mentorat de toute nature. Fascinant! Et formateur. À tout point de vue.
Les dragons ont la réputation d'être durs en affaires. L'émission est conçue et montée pour qu'on pense ça aussi. C'est assez réaliste. Ça se passerait pas mal comme ça dans la réalité, mais on ne verrait pas tout et ça nous prendrait plus de temps à comprendre quelles sont les motivations, les questionnements, les inquiétudes, les points favorables et défavorables qui font que certains se vendent mieux que d'autres et que le principal capital d'une entreprise, c'est d'abord et avant tout l'entrepreneur lui-même.
Autrement dit, les gagnants, dans cette émission comme dans la vie, sont ceux et celles qui savent se vendre. Mauvais exemple à suivre : mon tétras. À partir du moment où il était conscient d'être en représentation, il ne me montrait pas le meilleur côté de lui mais plutôt ce qu'il croyait comme étant le meilleur de lui. Erreur de bébé lala très courante. Nous autres aussi, les humains, on fait souvent cette erreur.
Anecdote : Ce matin, à 8 heures, le téléphone sonne chez nous. Au bout du fil, une voix féminine s'adresse à moi sans se nommer, elle m'appelle par le nom de mon entreprise et pas mon nom, elle me demande si je fais de la traduction. Elle a vu mon site internet, où il n'est question nulle part de traduction, et comme je le fais souvent quand je refuse un mandat, je lui donne des noms d'entreprises où elle pourrait trouver ce qu'elle cherche. C'est là qu'elle m'arrête et me dit qu'elle se cherche du travail pour l'été, qu'elle est en études anglaises. En voilà une autre qui ressemble à mon tétras...
Si j'avais été un dragon, je lui aurais donné ces quelques conseils :
- Quand tu te cherches un travail, même un travail d'été, tu n'appelles pas chez les gens à 8 heures du matin.
- Tu commences par t'identifier quand tu téléphones quelque part. Ensuite, tu poses tes questions.
- Quand tu veux un travail dans une entreprise, tu devrais au moins savoir dans quel domaine cette entreprise offre ses services.
Je ne crois pas que cette fille trouvera un travail d'été dans son domaine. Je lui ai quand même souhaité bonne chance, elle en aura bien besoin. Dans son attitude, juste au téléphone, je n'aurais pas eu envie de l'embaucher, même si j'avais eu un poste à combler, ce qui n'est pas mon cas, je suis travailleuse autonome. Mais j'aurais peut-être pu la référer ailleurs, ce que j'ai fait souvent quand je pouvais jumeler une chercheuse d'emploi avec une entreprise qui cherchait à combler un poste.
On dit souvent que le monde des affaires est impitoyable. Moi, je trouve pas. Pour avoir côtoyé cet univers, et en faire encore un petit peu partie, je peux témoigner qu'il s'y pose beaucoup de gestes gratuits, qu'on y trouve souvent de la passion, de l'entraide, des alliances, des collaborations et des échanges de bons procédés. Sauf que ces gens s'en tiennent aux faits établis, pas aux idées bien exprimées. Ils n'agissent pas dans le but de se faire aimer mais de faire de l'argent. Ce qui ne les empêche pas, dans leur vie personnelle, de vouloir se faire aimer comme tout le monde. C'est clair. Et même transparent. Honnête, je dirais. Moi, j'aime ça de même.
À mon premier emploi comme étudiante, c'était à ce temps-ci de l'année, j'avais presque 15 ans, disons un gros 14, et j'étais tellement fière qu'on me fasse confiance, si jeune, pour commencer à travailler derrière le comptoir chez Lou's Tobacco Shop. C'était comme de jouer au magasin, avec plein de choses à vendre, des clients faciles à satisfaire, une reconnaissance immédiate, une caisse enregistreuse qui faisait dring dring et merci beaucoup, à la prochaine! Je n'étais pas bilingue mais je me débrouillais en anglais et je voulais tellement apprendre, d'autant plus que le salaire minimum à 1,55 $ l'heure me semblait comme trop beau pour être vrai. Encouragée par mes petits succès, j'avais accepté aussi de travailler au Noranda Bakery et je continuais toujours d'aller garder chez le voisinage chaque fois qu'on me le demandait, j'adorais les enfants, les clients, le monde, et cette impression d'avoir de l'argent plein mes poches!
Aujourd'hui, j'ai un gros 54 ans. Ça fait 40 ans que je suis sur le marché du travail. C'est pour ça que des fois, je suis fatiguée, à bout de souffle et de motivation. Je n'ai plus l'impression d'avoir de l'argent plein mes poches, ça, c'est ce qui est parti en premier! Je commence à regarder en arrière et faire des bilans, c'est plus fort que moi. J'ai tellement appris tout au long de ces 40 ans qu'il me semble que j'en sais trop!
Si j'étais un dragon, je n'investirais pas 5 cennes dans une entreprise comme la mienne. Et j'aurais tellement de bons conseils à me donner!
Hier soir, je disais à Crocodile Dundee : « Qu'est-ce que ça m'a donné, à part de rendre service à tous les achalants du monde, de savoir rédiger et de voir les fautes dans le journal, les magazines et les bouquins que je lis? » ce à quoi il m'a répondu avec son aplomb habituel : « À gagner ta vie! ». N'empêche que je demeure convaincue que j'aurais pu la gagner beaucoup plus facilement et dans le plaisir surtout, derrière un comptoir où je serais devenue bilingue avec le temps, en ayant la satisfaction de rendre le monde plus heureux, en jouant au magasin avec une vraie caisse qui fait dring dring et des enfants qui hésitent en faisant des calculs savants derrière la vitrine des bonbons à la cenne. Avec de l'argent plein mes poches! En 40 ans sur le marché du travail, je pense que j'ai régressé. Je suis vraiment pas un dragon...
Hier soir, je disais à Crocodile Dundee : « Qu'est-ce que ça m'a donné, à part de rendre service à tous les achalants du monde, de savoir rédiger et de voir les fautes dans le journal, les magazines et les bouquins que je lis? » ce à quoi il m'a répondu avec son aplomb habituel : « À gagner ta vie! ». N'empêche que je demeure convaincue que j'aurais pu la gagner beaucoup plus facilement et dans le plaisir surtout, derrière un comptoir où je serais devenue bilingue avec le temps, en ayant la satisfaction de rendre le monde plus heureux, en jouant au magasin avec une vraie caisse qui fait dring dring et des enfants qui hésitent en faisant des calculs savants derrière la vitrine des bonbons à la cenne. Avec de l'argent plein mes poches! En 40 ans sur le marché du travail, je pense que j'ai régressé. Je suis vraiment pas un dragon...