samedi 6 mars 2010

Mon coeur... Varadero... prise 3

Photo 1 : Une partie du lobby extérieur du Bella Costa où j'avais mes habitudes de vilaine fumeuse après les repas. C'est un peu là que j'allais faire mon « sôcial », seule ou avec d'autres de ma tribu, avant le dodo de Félixe, après la plage, en attendant le souper ou quelqu'un de libre à la réception de l'hôtel pour m'acheter des pesos avec de l'argent canadien. Là se trouvaient ceux qui partaient, ceux qui arrivaient, ceux qui flânaient, ceux qui prenaient l'autobus, le coco taxi, le taxi ordinaire, la calèche de chevaux, les scooters. Dehors mais protégé des intempéries, le lobby extérieur était très grand, toujours propre, fleuri et meublé de bois, comme j'aime.

Photo 2 : Cette fleur m'a été offerte par Melchor un matin de soleil. Il me l'a présentée en me la nommant par son nom. Hélas, j'ai oublié mais ça sonnait comme « plataniou ». Melchor était en quelque sorte le concierge et jardinier du lobby extérieur mais moi, je crois plutôt qu'il travaillait là pour veiller sur nous et semer du bonheur. Un être d'exception, comme on n'en rencontre pas souvent, une sorte de sage, un philosophe, un fleuron magnifique de son peuple, dans ce qu'il a de plus attachant.

Mon coeur... Varadero... prise 3

Je le voyais dans mon décor matinal de l'après-déjeuner depuis mon arrivée. Je l'observais vider les cendriers, replacer les chaises de bois, les tables, reformer les cercles, sourire aux gens, cueillir les tasses oubliées, les verres abandonnés, balayer un truc dans son porte-poussière sans se pencher, le jeter dans la poubelle de son chariot, enlevant une feuille morte ou une fleur fanée au passage... Et tout ça, en dansant plutôt qu'en marchant, en chantonnant en espagnol, plutôt qu'en s'adressant directement aux gens qui étaient là. D'une discrétion et d'une humilité qui le rendaient quasiment transparent.

Il émanait de lui quelque chose de pur et sans âge, à la fois comme un vieux qui sait tout de la vie et un petit enfant heureux qui s'amuse dans son monde imaginaire. Félixe l'avait bien repéré elle aussi, elle allait tout le temps lui faire des sourires et essayer de pousser son chariot. Il la trouvait drôle et c'était réciproque. Il lui tendait les bras mais elle préférait se cacher derrière son chariot pour lui faire des coucous. Elle aimait beaucoup jouer avec Melchor. Il chantait et elle dansait. On aurait dit deux enfants du même âge.

Je pense que Melchor, en âge terrestre, devait avoir autour de 50 ans, comme moi. Un matin, il m'a fait comprendre qu'il était grand-papa 4 fois déjà et un 5e s'annonçait pour bientôt. J'aurais tellement voulu parler espagnol encore cette fois-là...

Au fil de nos sourires, des danses de Félixe et des siennes, il s'établissait une communication tacite entre nous, faite de ses chansons dont je ne saisissais pas les mots mais dont la musique et les consonnances me disaient quelque chose de lui, de son amitié, de sa grandeur, son humanité.

Un matin que j'étais seule avec Félixe qui explorait comme à son habitude toutes les plantes et les chaises du lobby, Melchor est arrivé de nulle part, cette fleur à la main droite, qu'il m'a offerte en me faisant une révérence, la main gauche sur le coeur, en me chantant une chanson qui parlait d'amour et d'amitié, ça, je l'ai bien compris. Comment dire... Ailleurs et autrement, dans une circonstance semblable, si ça n'avait pas été Melchor, mon ami cubain dont je devinais l'âme, j'aurais pris ça pour du chantage de pomme et je n'en parlerais même pas mais là... Il y avait dans son geste généreux rien d'autre qu'une délicatesse attentionnée d'une personne à une autre, sans autre intention que de lui faire plaisir et décrocher un autre sourire complice et silencieux, attendri devant une fleur, la murmurance d'un mot d'amitié en langage universel.

Quand il est reparti vers les jardins, j'ai pris une photo de cette fleur pour ne jamais oublier ce moment et je l'ai amenée avec moi jusqu'à l'infirmerie où je l'ai laissée pour qu'il ne la trouve pas à ma place quand il reviendrait plus tard dans la journée. Je l'ai revu plusieurs fois après ça, avec Félixe, avec Crocodile Dundee, c'était toujours un plaisir de nous retrouver. Il prenait Crocodile Dundee par le cou et trouvait tellement qu'il avait un drôle de nom. Il le répétait plusieurs fois en exagérant les llll de la fin (Gilles) et ça le faisait rire à mort. Il disait qu'on devrait revenir l'an prochain et aller habiter chez lui, qu'il avait une grande famille, beaucoup d'amour et de musique, toujours toujours musique dans ses zoreilles, qu'il disait en espagnol. Crocodile Dundee et moi, on a pensé aux acouphènes mais Melchor était trop heureux, il ne devait pas vouloir dire ça?

Il n'était pas riche, comme beaucoup de Cubains. Pas pauvre mais pas riche non plus. Pas corrompu par l'argent. Dans son travail, il ne devait jamais recevoir de pourboire, lui. Tout Melchor respirait simplicité, joie, chansons d'amour, danse, bonheur d'être là et de faire plaisir au monde...

Le dernier matin, je l'ai encore vu dans le lobby extérieur, toujours fidèle à son poste et je lui ai dit qu'on partait bientôt. Il a fait mine de pleurer. On a souri. Félixe a voulu aller dans ses bras. Il a dansé avec elle en chantant. Elle lui a fait un gros bisou avec sa main. Très bruyant, son bisou. Il a redit qu'il nous attendait chez lui l'an prochain. On s'est quitté comme ça, en se serrant la main.

Au moment du départ, Crocodile Dundee cherchait à donner une bouteille de rhum à peine entamée qu'on ne voulait pas rapporter dans nos bagages. Il a pensé à Melchor puis je lui ai fait remarquer qu'il n'avait peut-être pas le droit d'en recevoir et que de toute manière, il n'avait besoin d'aucun alcool dans la vie pour se saouler de musique et de danse. On a donc laissé la bouteille de rhum avec les autres cadeaux du jour à Lisselle, notre femme de chambre. Alors, pour Melchor, on a pensé aux 6 pesos qui nous restaient dans les poches au moment de quitter le pays. Pour nous, c'était rien mais pour lui, dans sa vie, ça aurait pu faire une différence peut-être.

Je l'ai cherché partout pour lui donner nos pesos devenus inutiles avant de partir, c'était la première fois que Melchor restait introuvable aux alentours du lobby extérieur. J'ai pensé que c'était un coup du destin, que Melchor ne devait jamais recevoir de pesos des touristes pour qu'il reste toujours aussi pur et beau que nous l'avons connu... et aimé.

10 commentaires:

canneberge14 a dit…

Buenas noches Zoreilles!

Tu n'étais pas encore partie que j'avais déjà hâte de lire ce qu'allait t'inspirer ce voyage en terre cubaine avec tes êtres chers! Je soupçonnais tellement que ton coeur y resterait pour longtemps...

Je viens tout juste de rentrer.
J'ai lu et relu ces trois textes qui me font beaucoup vibrer...pour tout ce que tu as vécu avec ta petite famille, bien sûr, mais aussi parce que tu traduis avec tellement d'émotions et de poésie ce que je ressens chaque fois que je retourne sur cette île.

Très touchante cette rencontre avec Melchor...et que dire des petites attentions de Lucia...de toutes ces rencontres...de toutes ses sensations.
J'ai l'impression que j'aurais beaucoup à partager...petites perles, lectures, disques...

La vie des Cubains au quotidien n'est pas facile mais leur résilience est façonnée d'enfants, de liens qu'ils tissent entre eux, de fierté, de longues,longues discussions animées,de musique, de danse, de fiesta...

Tu ne seras pas surprise si je te dis que nous avons fait également un excellent voyage. Le Bella Costa est voisin du Mélia Las Americas. Nous étions au Mélia Las Antillas, plus à l'est. Je t'ai "saluée" le premier jour
lorsque nous étions en route vers notre hôtel.

Hasta luego!

Solange a dit…

C'est un billet très touchant, c'est vrai qu'ils sont comme ça les Cubains. Tellement attachants qu'ils nous communiquent leur joie et pourtant ils ne l'ont pas facile.

Solange a dit…

Hola Zoreilles !
Ici le Normand à Solange.

Je viens de lire tes trois «prises» sur votre voyage à Cuba. Tu m'as frappé là où ça fait mal, dans le mou... droit au coeur!

Sais-tu que je t'adore, toi? Tes récits coulent comme eau de source, limpides, clairs, joyeux (feliz) et tellement jouissifs.

Je suis allé à Cuba deux fois et j'y retournerais cent fois encore. Nous, c'était à Guardalavaca (Garde-la-vache) près d'Holguin.

Je m'ennuie, je m'ennuie, tu peux pas savoir, des Cubains et des Cubaines d'abord, et du soleil, de la mer, de toutes ces villes et tous ces villages que nous avons visités. Et de leur musique et de leur joie de vivre perpétuelle.

Depuis l'annonce de votre départ pour Cuba, j'attendais avec fébrilité ton compte rendu. Je n'ai rien perdu pour attendre. Encore, encore!

Votre petite «Feliz» me fait penser à notre petite Béatrice du même âge. Que c'est beau, que c'est beau!

Et j'espère que ton Crocodile Dundee est maintenant complètement remis. Et ton pied aussi...

Merci, chère Zorejas !

Normando
besitos, besitos millon de besitos
x-xxx-xxx

Zoreilles a dit…

@ Canneberge : J'en comprends que t'as fait bon voyage aussi. J'ai confondu les deux hôtels dont les noms se ressemblent et finalement, nous n'étions pas si voisines que je pensais mais par le coeur, oui, nous étions toutes proches l'une de l'autre... C'est beau ce que tu racontes, on pourrait s'en parler longtemps, on aurait bien des choses à partager, surtout que tu n'en étais pas à ton premier séjour. C'est donc que tu les connais bien, les Cubains. Bon atterrissage au Québec, c'est tu aussi difficile à chaque fois, pour toi? ;o)

@ Solange : Ils ne l'ont pas facile, comme tu dis, mais je me demande s'ils ne sont pas mieux armés que nous? Canneberge parle de leur résilience, moi, je parle de leur simplicité et de l'esprit d'entraide... En tout cas, ils m'ont donné de belles leçons de vie, les Cubains.

@ Normando : Hola! Chanceux, tu parles espagnol. T'es trop fin, un vrai Cubain! Vous étiez à Guardalavaca (quel joli nom) près d'Holguin, Solange et toi? C'est, je crois, la deuxième destination préférée des Québécois à Cuba, après Varadero. On m'en a dit beaucoup de bien. Et aussi, il y a les cayos, Cayo Largo, Cayo Coco me font rêver... Comme de raison, quand on sort du circuit touristique officiel et des resorts, on doit tellement apprécier mieux encore la vie à Cuba. Félixe et Béatrice sont du même âge, je me souviens que Solange et moi, on attendait la mamie cigogne au même moment à peu près mais si ma mémoire est fidèle, Béatrice est née avant? Félixe a eu un an le 14 janvier. On les aime donc, ces petites puces-là!

canneberge14 a dit…

Bonjour Zoreilles!

"C'est tu aussi difficile à chaque fois, pour toi?"

J'ai toujours le coeur rempli de nostalgie lorsque je quitte l'île. Je me dis à la prochaine... si possible.

Zoreilles a dit…

@ Canneberge : Pour moi, c'était pareil même si c'était la première fois que je quittais l'île. Dans l'avion, je m'occupais l'esprit en jouant avec Félixe ou en lisant mon bouquin sur Cuba, n'importe quoi. En approchant de Montréal et de l'aéroport Trudeau, en début de soirée, le ciel était clair, lumineux, avec les lumières de la ville, Montréal n'avait jamais été aussi belle que ce soir-là, vue des airs en tout cas. Et en s'envolant à nouveau en direction de ma région, sans aucune pollution lumineuse, le ciel plein d'étoiles, plein plein plein d'étoiles, j'ai eu de la misère à ne pas pleurer...

Varadero, c'était une bulle de bonheur intense, loin des contraintes de la vie et du quotidien, toutes mes amours réunies. Comment ne pas être nostalgique de cet endroit...

Mijo a dit…

Après Mama Lucia, un autre magnifique personnage, Melchior.

Zoreilles a dit…

@ Mijo : Oh que oui, tu l'aurais aimé toi aussi!

Éléonore a dit…

très beau ce lobby !

charmant cette rencontre ♥

Zoreilles a dit…

@ Éléonore : J'y ai passé beaucoup de beaux moments dans ce lobby extérieur, c'était joyeux, animé, effervescent, parfois tranquille aussi mais il flottait là en permanence un parfum de douces rencontres amicales et anonymes, sans frontières... Comme dans un aéroport, avec des gens qui arrivent, qui partent et la vie qui continue, le temps qui passe, immuable...