mardi 21 septembre 2010

Vacances d'automne




Photo 1 : Vue arrière de notre camp numéro deux... à Rapide Deux. Celui-ci est au coeur de la forêt boréale, à 2 kilomètres de marche du premier qui n'est accessible que par voie d'eau. Il n'y aura pas de colporteurs qui viendront cogner à la porte pendant nos vacances!

Photo 2 : Tout près de là, à 20 minutes de marche environ, il y a une tourbière où j'ai déjà cueilli des atocas, aussi connues sous le nom de canneberges sauvages ou pommes de pré. Disons que je m'en promets, elles sont mûres juste à point en ce moment, j'avais pris cette photo en 2007 ou 2008.

Photo 3 : Clin d'oeil à Fitzsou, voici les plantes carnivores dont je parlais dernièrement, celles qui me font penser à une famille de requins la gueule ouverte! Je les avais vues aussi dans la tourbière, près des atocas, mais il serait plus juste de les appeler des plantes insectivores et leur nom scientifique est « Sarracenia purpurea ».

Vacances d'automne

Je serai en vacances pour une grosse semaine à compter de vendredi prochain, dès midi. Je serai de retour le jeudi soir suivant, à la toute fin de septembre. Oui, même une travailleuse autonome peut prendre congé, à condition de s'organiser longtemps d'avance!

Je vous avoue que je ne suis pas habituée à décrocher de tout pendant une aussi longue période. Sept jours... Loin de la vie trépidante et des responsabilités, en forêt, sans aucun moyen de communication, c'est quelque chose que j'ai la chance de vivre souvent mais à plus petites doses. Pour la logistique, on s'organise depuis un bon moment, le sentier pour s'y rendre est bien dégagé, le camp est confortable, on y a déjà apporté notre matériel depuis la fin de semaine de la Fête du travail, j'ai cuisiné en fin de semaine des repas que j'ai mis en conserve dans des pots Mason, d'autres sont congelés pour les premiers jours, nous avons des vêtements pour toutes les variations de température, de la lecture en masse dans nos petits baluchons, même un tricot (!) et on ne devrait manquer de rien. En fait, à ce sujet, je dois citer Crocodile Dundee et sa philosophie légendaire : « À force de manquer de toutttt, on manque de rien! »

Ces vacances se sont organisées autour de la période de la chasse à l'arc. À l'orignal. Nous sommes quatre : deux chasseurs, deux bons archers, Crocodile Dundee et Robert, et deux qui ne chassent rien d'autres que les photos et les atocas, Gisèle et moi. Lors de la chasse à l'arc, et je dis ça surtout pour ceux qui sont étrangers à cette façon de « vivre la forêt », les chasseurs reviennent presque toujours bredouille mais avec plein d'histoires fabuleuses à raconter. L'animal a toutes les chances de s'en tirer indemne parce qu'un bon chasseur ne décochera sa flèche que s'il est absolument certain d'atteindre mortellement son gibier, à quelques pas de lui. Sinon, il s'abstient, c'est cette deuxième option qu'il choisit le plus souvent. Mais il assiste à des scènes extraordinaires qui lui apporteront un surplus d'adrénaline dans une proximité avec cette nature sauvage qui le feront rêver pendant toute l'année.

Gisèle et Robert sont d'agréable compagnie et nous nous entendons à merveille avec eux. Ces vacances seront aussi des retrouvailles puisqu'ils habitent à Ste-Anne des Lacs, dans la région des Laurentides. Elle est la grande soeur de Crocodile Dundee, elle le connaît depuis plus longtemps que moi et ça me fait rire quand elle me raconte des anecdotes de son enfance à lui, il était déjà tellement en puissance l'homme qu'il est devenu aujourd'hui!

Le soir, autour de la table, on a le compte-rendu de la journée de chacun et chacune, de ce qu'on a vu et entendu, et là s'ajoutent parfois ces petites surprises qui font chaud au coeur, qu'on sort de notre baluchon avec un oeil coquin au moment jugé opportun, qui prennent encore plus de valeur parce qu'on est loin du monde, (un bon cigare, une ponce de scotch, un nouveau fromage, des bonbons de l'ancien temps, etc.)

Quand on remet une bûche dans le poêle alors qu'il faudrait plutôt aller dormir pour se lever le lendemain à l'aurore, on prend plaisir à voler du temps, à « délinquer ». On sait alors qu'on va poursuivre encore un peu nos discussions animées, enjouées, chaleureuses, parfois profondes, parfois plus légères, même que des fois on chante, (Robert a une culture musicale très étendue de scout, de son enfance dans Hochelaga-Maisonneuve, et il fait partie d'une chorale!...) parce qu'on est là pour le plaisir d'être ensemble et tout ça est enrobé de nature, de simplicité, d'amour et d'amitié. L'essentiel. Juste ça. Revenir aux sources.

jeudi 16 septembre 2010

Pétages de coche



Photos 1 et 2 : C'est le mouvement de colère d'un huard que j'avais approché de trop près cet été, il n'aimait pas ça du tout et il me l'a fait savoir.

PÉTAGES DE COCHE

Maintenant, j'ai le goût de jouer au huard, c'est à mon tour de péter ma coche. Ah, des petites coches de rien du tout, des insignifiances du quotidien absolument pas graves mais ça va faire des merveilles sur ma tension artérielle.

J'étais tout à l'heure au centre de prélèvement de l'hôpital pour des prises de sang. Pour la plupart du monde, il s'agit d'une petite formalité bien banale mais pas pour moi parce que... à cause que... bon, c'est trop compliqué et inintéressant, disons seulement que déjà d'être là, ça me rend irritable et angoissée mais je prends sur moi.

Un show à guichet fermé

Dans la salle d'attente où nous sommes très nombreux, une jeune mère et son petit bonhomme bien agité attendent leur tour pour l'imagerie médicale. Là, pris en otage comme nous l'étions, obligés d'incarner ce public à l'écoute qui assistait à un vrai show de la jeune mère qui parlait fort et sans arrêt, on savait bien qu'elle s'adressait à son petit garçon pour la forme seulement, qu'elle en profitait pour faire supposément « de l'élevage » mais qu'elle cherchait surtout à se mettre en valeur devant ce public éberlué qu'elle croyait conquis. Elle soliloquait avec enthousiasme et nous tapait sur les nerfs avec tout son coeur, disons.

Plus les minutes passaient, plus elle avait toute l'attention de la salle d'attente dont le silence devenait assourdissant de soumission, d'étonnement et/ou de protestation tacite, plus elle parlait fort et plus elle disait des sornettes qui résonnaient en écho à la grandeur de la salle, il me semblait. Il m'était impossible de me concentrer sur ma lecture et pourtant j'avais apporté un sacré bon bouquin dans mon sac à main. Je n'entendais plus qu'elle, on aurait dit qu'elle avait un haut parleur, j'étais en train d'en faire une obsession. C'est alors que j'ai rangé mon livre et me suis retournée dans sa direction. Elle m'a souri, elle était contente, ça paraissait!

Me croyant moi aussi suspendue à ses lèvres, elle s'est mise à expliquer à son petit garçon que « les meussieux pis les madames qui ont des cannes pis des béquilles, c'est pas drôle, ils sont pas capables de marcher et bla bla bla bla bla... ». J'étais en train de fantasmer d'emprunter la canne de la madame d'à côté de moi pour aller frapper des petits coups répétitifs sur les tibias de cette « one woman show » en lui susurrant à l'oreille un très sincère : « Ta yeule » sans ameuter le petit qui, lui, n'y est pour rien du tout dans les élucubrations de sa mère exhibitionniste. C'est là qu'on a crié mon nom pour que je rentre dans la salle des tortures!

Quand je suis sortie de là, blême mais toujours debout sur mes pieds, vous savez quoi? Elle s'époumonait encore, la bête de scène! Faut être un sacré nombril et joliment centrée sur sa petite personne, dépourvue de la moindre capacité d'écoute et de respect des autres pour ne pas se rendre compte à ce point-là de l'effet qu'on a sur l'entourage.

La commission Bastarache

Je ne veux pas en faire un débat politique. Veuillez garder cet endroit propre! Mais je ressens très fort l'élan de vous dire que je suis 100 % d'accord au moins sur un point avec Me Marc Bellemare qui déclare que c'est un cirque épouvantable auquel on est forcé d'assister, payé à même nos impôts, une manoeuvre inutile de relations publiques qui échoue jour après jour et qui à la fin écrasera sans vergogne le peu de confiance et de crédibilité qui subsistaient encore dans le domaine de la justice et de la politique.

Une publicité verte et opaque

La plupart du temps, je les trouve amusantes, ces publicités télévisées qui ont pour but de nous vendre des tas de trucs dont on n'a pas besoin. Mais il y en a une ces temps-ci que je ne suis plus capable d'endurer et elle passe tout le temps pendant les actualités régionales télévisées que je suis forcée d'écouter tous les soirs, à l'heure du souper, du lundi au vendredi.

Always Fresh que ça s'appelle, le truc qu'on annonce, qu'on commande par téléphone avec son numéro de carte de crédit sous la main. Je pense qu'il doit y avoir au moins 75 pièces, contenants et couvercles, de couleur vert, tout tout tout vert pétant, on voit pas à travers, ça va au lave-vaisselle, au frigo (vous me dites pas?...) il faut que tu te construises une rallonge dans ta cuisine par exemple parce qu'ils ne sont pas empilables, les Always Fresh, mais la madame a l'air tellement heureuse d'avoir ses Always Fresh bien à elle, toute excitée de les sortir du lave-vaisselle, de les étaler sur son comptoir, de les admirer avec un sourire épanoui, de mettre du beau manger dedans, de les ranger au frigo et dans l'armoire, ah, c'est pas mêlant, elle a le bonheur étampé dans la face, le sourire rayonnant, Always Fresh a redonné un sens à sa vie.

Moi, c'est pas mêlant, quand je vois cette pub, j'ai l'impression d'être passée à côté du bonheur, de bousiller ma vie!

samedi 11 septembre 2010

Vivre sans la télé?



Photo 1 : Comme tous les petits enfants d'aujourd'hui, Félixe n'est pas étrangère aux technologies et à la multitude des réseaux de communication qui font partie de notre quotidien.

Photo 2 : Pour elle comme pour ceux de son âge, un ordinateur, un clavier, une souris, un téléphone cellulaire, une télécommande, ce sera quelque chose qu'elle maîtrisera sans effort et très rapidement.

Vivre sans la télé?

Je ne pouvais tout de même pas illustrer ce billet avec des photos de huards ou des couchers de soleil sur un lac calme, n'est-ce pas? Et puis, autant l'avouer, je me fais plaisir en partageant ces photos de la charmante Félixou, puisque ça ne dérange pas le moins du monde la reine des p'tits minous qui aura bientôt 20 mois!

Depuis qu'elle est au monde, j'ai souvent la manie de réfléchir à la façon dont notre société évolue, en partant de moi qui ai 53 ans, de ma fille qui en a 24 et de Félixe, mon nouveau repère, qui du haut de son année et demi, me demande « Mamie... les huards » quand elle passe devant mon ordinateur, parce qu'elle sait très bien que s'y trouvent les photos que je prends et qui s'y accumulent.

Est-il bien nécessaire de vous le rappeler, quand j'avais son âge, ma mère a pris quelques rares photos de moi... en noir et blanc!

À mon époque, la télé était aussi en noir et blanc mais on avait de la chance, on avait au moins une télé. J'ai beaucoup aimé Bobino et la Boîte à surprise, animée par Pierre Thériault, je me souviens particulièrement des séries qui ont marqué mon enfance, Sol et Bim, Sol et Bouton, Sol et Biscuit, Sol et Gobelet (je me fichais du partenaire, c'est Sol que j'aimais!...) Le pirate Maboule, Picolo, Fanfreluche, Marie Quatre-Poches, La Ribouldingue et bien d'autres. Je n'aurais pas manqué non plus Les enquêtes Jobidon, CFRCK, Les cadets de la forêt et vous pourrez compléter ma liste si vous voulez, je vous y invite à bras ouverts...

Même adulte, plusieurs téléromans et téléséries m'ont captivée : Rue des Pignons, Terre Humaine, Le temps d'une paix, Les filles de Caleb, Omerta, Au nom du Père et du fils, Scoop, les premières années de Lance et compte, des séries « historiques » telles que Duplessis, René Lévesque, Chartrand et Simonne, et j'en passe et des meilleures.

Je réalise que je n'ai plus et ce, depuis plusieurs années, ces rendez-vous hebdomadaires avec une émission qui me captive et que j'aime suivre. J'ai même fait débrancher le câble depuis au moins 5 ou 6 ans, c'était du gaspillage dans notre cas. Qu'est-ce qui a tant changé?

La télé est beaucoup moins rassembleuse qu'elle l'a déjà été. Au lendemain d'une série populaire avec une grosse cote d'écoute, on discutait au travail de l'épisode de la veille, on pouvait même remarquer certains soirs une baisse de l'achalandage dans les magasins lorsqu'étaient diffusées des séries suivies par la plupart des gens, retenus captifs devant leur petit écran. Et puis, il y a eu multiplication des chaînes spécialisées, des émissions, des productions venues d'ailleurs et souvent mal traduites, mises en marché avec un marketing digne des multinationales et notre télé s'est mise à moins nous ressembler. En tout cas, pour ma part, je ne me reconnais plus dans aucun téléroman, même québécois, où les personnages ne vivent pas dans des environnements qui me sont familiers, ni des situations qui pourraient se rapprocher un tout petit peu de ce qui m'atteint, même de loin.

Au chapitre de l'information, c'est pareil. Les réseaux d'information continue fourmillent, ils se disputent la même nouvelle sensationnelle insignifiante, ne prennent pas le temps de fouiller ou d'analyser les faits, les causes, les conséquences, les enjeux, ils nous présentent ça en boucle, inlassablement, pré-digéré, pré-formaté, et ce qu'on nous livre en pâture 24 heures sur 24, c'est ce que j'appelle de la désinformation institutionnalisée. Ça ne me manque pas du tout de ne plus y avoir accès, j'en ai pour ma faim avec le téléjournal de 22 heures, c'est déjà en masse pour rester branchée sur le monde sans devenir trop cynique, même que des fois... c'est encore trop pour ma petite nature!

Revenons à la comparaison dont je parlais plus haut avec les générations qui suivent. Chez Isabelle et Dominic, il y a une télé mais elle sert bien souvent de moniteur pour regarder des films, des tonnes de films, dont ils sont très friands. Ils s'informent beaucoup tous les deux mais c'est par la radio ou par l'écrit qu'ils le font, la plupart du temps sur le web, ils sont bien de leur temps, avec chacun leur cellulaire. Parfois mais très rarement, Félixe leur tend la télécommande quand elle tombe dessus, en chantant la chanson de Diego, c'est son personnage favori dans l'émission de Dora l'exploratrice qu'elle doit trouver trop pédagogique, je suppose...

Que fait la petite quand il lui prend l'envie de danser sur La Bamba? Elle s'en va devant le portable de sa mère, se remue le popotin en chantant « Bala bala bala Bamba » et sa mère clique sur le bon fichier dans ses favoris, Ritchie Valens s'époumone au rythme de la guitare électrique et tout le monde danse devant le portable. Même son autre papi, Guy, a programmé La Bamba sur son Iphone pour être toujours prêt. Disons qu'elle n'est pas à la veille de connaître ça avec son papi Dundee! Bientôt, je le sens, Félixe va pouvoir tout faire sans aide parce que déjà, quand je reste trop longtemps sur la même photo de huard, elle tapote avec son index la souris de mon ordinateur et me dit : « Mamie... un autre »!

Elle me trouve sûrement trop comtemplative. C'est que je ne suis pas née à l'époque de Musique Plus, avec quatre images à la seconde, moi. Les mamies d'aujourd'hui n'ont plus de chignon ni de cheveux gris ni un tablier greffé à leur robe, elles ne tricotent pas et ne savent plus faire du sucre à la crème mais elles peuvent regarder très longtemps la même image, elles ont grandi dans le temps de Sol et Gobelet en noir et blanc, avec pour seul décor un lit, une grande armoire vide et une fenêtre qui ne donnait même pas dehors!

Chez nous en tout cas, plus ça va, moins on regarde cette boîte-là, j'ai l'impression qu'on doit être représentatif de la société dans laquelle on vit. Bientôt, on pourrait très bien vivre sans la télé.

jeudi 9 septembre 2010

La couleur des sentiments



Photo 1 : Par un beau soir de cet été qui s'achève, je ne sais plus exactement quand, on a observé cette petite famille de huards bien sympathique qui habitait les rivages des îles pas loin de chez nous. Le petit a bien grandi depuis...

Photo 2 : Le même soir, dans le soleil couchant qui les enluminait d'or, Papa Huard et Maman Huard avaient dû coucher le petit, je suppose?

La couleur des sentiments

On s'en parlait encore ce matin, Crocodile Dundee et moi, puisque nos déjeuners-causeries seront toujours probablement parmi nos meilleurs moments de la journée, avant qu'on se laisse envahir par cette vie qui va trop vite et ces responsabilités qui nous submergent. On a grandi dans cette ville, on a été à l'école ensemble pendant tout notre secondaire, on a travaillé partout, on s'est impliqué, on aime le monde, et donc, on passe notre temps à avoir de la peine pour l'un, à aider l'autre, à être touchés, sollicités, remués ou interpellés pour comprendre et intervenir dans toutes sortes de situations. C'est la vie. Enfin, c'est la nôtre.

Parmi ces gens autour de nous qui vivent des choses difficiles, je pense à ces deux couples d'amis dont la conjointe, dans la jeune cinquantaine, souffre de la maladie d'alzheimer. C'est de l'un des deux que je veux vous parler, A et J qui font partie de notre entourage. J a été diagnostiquée il y a trois ans, alors qu'elle avait à peine 50 ans, elle en a aujourd'hui 53 et sa maladie dégénère rapidement, de façon dramatique.

Son conjoint, A, ne la laissera jamais tomber, il en prend bien soin, il y laissera sa santé et peut-être même sa vie, on le sait, il nous l'a dit, il le prouve tous les jours et l'on ne peut rien y faire. Sauf être là, parfois, quand l'occasion se présente, qu'il a besoin de nous, lui offrir notre amitié, notre complicité tacite, notre regard bienveillant et compréhensif, notre humour aussi, il ne faut pas négliger cet aspect-là dans ce qu'il vit.

Pourtant, ça ne devrait pas être si difficile...

On a connu J dès qu'elle a fait partie de sa vie à lui, ça fait longtemps. Dans nos soupers d'amis, nos rencontres au hasard de nos courses en ville, nos sorties, les sports d'équipe et partout, A et J formaient un drôle de couple avec lequel on avait plaisir à parler, rire et échanger sur tous les sujets. Il arrivait souvent que J se retrouve dans le même cercle que moi, je sentais qu'elle m'aimait bien et c'était réciproque.

Depuis trois ans, depuis que cette affreuse maladie a pris beaucoup de place dans leur vie, les gens se sont faits plus rares autour d'eux, on ne les invite plus comme avant, on les fuit, j'ai vu le phénomène se produire insidieusement très souvent sous mes yeux, j'ai observé nos amis communs et j'ai été déçue de leur attitude. A s'en est déjà ouvert à moi, il en souffre énormément, il se sent coupé du monde, lui qui en aurait tellement besoin comme d'une brise rafraîchissante dans cette canicule qui ne finira jamais.

Je ne peux plus rien pour J qui ne me reconnaît plus, qui ne rit plus de mes mimiques et avec laquelle je ne peux plus entrer en communication d'aucune manière, même non verbale. Elle n'est plus là, cette J qui me trouvait drôle et qui cherchait ma compagnie, qui venait s'asseoir avec moi tout naturellement, après m'avoir fait la bise. Au début de sa maladie, elle me souriait quand même, comme si je lui rappelais quelque chose d'agréable. Mais maintenant, dans sa phase très agressive de la maladie, je représente sans doute une menace pour elle, en tout cas, quelque chose de très désagréable et de dérangeant. C'est devenu difficile pour moi de les côtoyer.

L'autre soir, on allait au cinéma ensemble, trois couples d'amis, dont A et J. Comme toujours, on avait rendez-vous à la terrasse du bistrot-bar d'en face une heure avant, histoire de prendre un verre avant le début de la projection du film qu'on voulait voir. C'est le seul genre de sortie que A et J peuvent se permettre de faire avec les amis que nous sommes et qui n'ont pas encore déserté. J est devenue extrêmement agressive et méprisante envers A mais il semble résigné à ça, c'est son lot quotidien, et il la laisse faire, sauf quand elle le frappe, il lui prend les poignets pour l'immobiliser et lui parle doucement pour qu'elle cesse. C'est rendu là.

Ce soir-là, je me suis assise à côté d'elle, nous étions arrivés bons derniers et il y a toujours une place libre à côté d'elle, vous comprenez pourquoi. J'ai commandé mon Perrier-citron, j'ai allumé une cigarette (on était dehors, sur la terrasse quand même!...) et j'ai vu dans son expression que ça la dérangeait. J'ai éteint tout de suite ma cigarette et mis le cendrier sous la table, sur le trottoir. Par la suite, elle ne m'a pas lâchée de toute l'heure, me traitant de tous les noms, m'ordonnant de m'asseoir par terre, que c'était ma place, me jetant des regards méprisants, murmurant des insultes à profusion, les disant plus fort à d'autres moments, dont certaines bêtises, ce n'est pas de sa faute et je le comprenais, mais certaines me blessaient beaucoup.

Je n'en veux pas à J, pas deux secondes, elle n'est plus elle-même, la maladie fait son oeuvre. La question n'est pas là. Mais passer une heure assise à côté d'une personne qui vous déteste, vous méprise, et le manifeste verbalement sans ménagement, j'ai trouvé ça pénible et je ne savais pas quoi faire, je ne pouvais pas réagir. Il y avait un grand malaise à notre table et autour, parce que personne n'osait réagir non plus. À un moment donné, elle a pris son bol de café moka presque vide dans ses mains, en me dévisageant avec toute sa rage, j'ai cru qu'elle allait me le lancer. Je me suis levée debout, j'ai dit qu'il serait temps qu'on traverse au cinéma avant de devoir faire la file...

J'ai eu beau par la suite me rappeler les beaux moments vécus avec J dans le passé, de nos discussions enjouées du temps où elle m'aimait bien, du plaisir qu'on a eu, des rires qui fusaient jadis quand on était ensemble, subir un pareil rejet de sa part aujourd'hui, dans un lieu public ou même en privé, c'est au-dessus de mes forces, je le confesse en toute franchise.

Je ne suis pas fière de moi, je commence à comprendre tous ceux et toutes celles qui se sont éloignés du couple A et J ces trois dernières années. Je ne laisserai jamais tomber A, c'est toujours un ami pour lequel j'ai des sentiments colorés d'amitié, d'affection, de compassion et d'empathie, mais je ne m'obligerai plus à subir pareil rejet de la part de J, trop affectée par cette terrible maladie.

jeudi 2 septembre 2010

Mine de rien




Photo 1 : Mars 1965, c'est même imprimé dans le cadrage blanc à droite sur la photo. Dans l'ordre, Yves, Maman, Jocelyn dans ses bras, et moi. Comme beaucoup de familles de mineurs, on habitait dans une maison mobile Nordik, au 4, rue Rupert, à Matagami.

Photo 2 : À l'été 1967 je crois, d'après notre âge. Tiens, Maman posait en couleur là... On aperçoit Yves, moi au milieu comme toujours, et Jocelyn. Le soleil tapait fort cette journée-là, à Matagami!

Photo 3 : Du belvédère construit par la mine Agnico Eagle, à Preissac, un paysage typique de notre région minière, avec le ciel si haut, les lacs, les rivières, les forêts, le « shaft » qu'on aperçoit au loin, comme un signe de ponctuation toujours présent dans notre horizon.

Mine de rien

Rassurez-vous, je ne vais pas aujourd'hui fustiger les mines ni les compagnies minières qui exploitent nos gisements, j'ai bien compris le message que m'a transmis dernièrement un ami qui me veut du bien : « Là, faudrait que t'en reviennes ». Non, ces temps-ci, c'est l'actualité internationale qui, mine de rien, me met de la mine dans le crayon et me mine suffisamment l'existence pour me faire revivre mes souvenirs d'enfant, ceux d'une fille de mineur.

Au Chili, depuis le 5 août, un éboulement a rendu prisonniers à 700 mètres sous terre 33 mineurs, dans une mine de cuivre et d'or à San José, 800 kilomètres au nord de Santiago. Au début, on ignorait même s'ils étaient vivants. Ensuite, on en a eu la certitude et l'assurance, grâce à des images rapportées par une caméra qu'on a réussi à glisser jusqu'à la galerie où ils ont trouvé refuge, sains et saufs, apparemment. Mais on connaît la suite, ces 33 hommes ne devraient pas revoir la lumière du jour avant plusieurs mois, le temps qu'on aille les secourir d'une manière sécuritaire.

Chaque jour, on nous donne de leurs nouvelles, on nous informe de l'échéancier prévu des travaux, ce qui n'a rien de rassurant, on consulte des ingénieurs et spécialistes de toutes sortes pour leur venir en aide, on craint pour leur santé psychologique, physique, les familles s'inquiètent, les soutiennent, leur écrivent des mots d'amour et d'encouragement, des promesses, de l'espoir et des prières... Aux quatre coins du globe, on est sensible à ce qui se vit là-bas, dans cette communauté chilienne qui devient la nôtre. Qui pourrait bien être la nôtre. Des catastrophes dans les mines, il s'en produit ici aussi. On n'a qu'à penser à ce qui est arrivé à la mine Belmoral* dans notre région, où plusieurs mineurs ont trouvé la mort, sans compter tous les accidents de mine qui se sont produits et qui ont signifié la fin ou le drame humain pour un homme à la fois, une famille à la fois.

Si je pense à ces 33 mineurs emprisonnés dans le ventre de la terre au nord du Chili, je pense encore plus à leurs enfants qui tour à tour les espèrent et en désespèrent à la surface. Je m'identifie à eux...

Fille de mineur... majeure

Quand j'étais une petite fille, Papa était mineur, il travaillait sous terre, « en d'sour » qu'on disait, à la Orchan Mines, à Matagami, et plus tard, à la Noranda Mines, dans la ville du même nom, sans doute parce qu'elle leur appartenait. Tous mes amis avaient un papa mineur, nous avions les mêmes références culturelles imbibées de ce langage qui nous était particulier, de cette enfance qui l'était tout autant, de ces histoires de catastrophes minières qui guettaient nos pères et qu'on connaissait trop bien, de ces rumeurs constantes d'une ville monoindustrielle, de cette peur au ventre qui s'installe quand la sirène de la mine retentit et que ton père est sur le « shift » de jour, de 8 à 4.

La sirène qui retentissait signifiait un incident ou un accident à la mine. Mais laquelle? La Matagami Lake, la Orchan ou la New Hosko? Dans mon souvenir de la petite école, il me semble que la classe se divisait en deux catégories d'enfants dans ces moments-là : ceux dont le père travaillait de jour cette semaine-là et qui devenaient blêmes, taciturnes, et ceux dont le père était dans sa semaine de soir, qui poussaient discrètement un soupir de soulagement, respectueux quand même des autres qui angoissaient à l'idée de ne plus jamais revoir leur papa.

Et plus souvent encore à la Noranda Mines, la maudite sirène lugubre et lancinante venait déchirer en miettes nos plus belles journées, elle retentissait à tout bout de champ pour avertir d'un début d'incendie à la surface, d'un déversement de quelque produit chimique qu'on allait très vite identifier parce que différent du SO2 habituel qu'on respirait à pleins poumons et qu'on appelait « la boucane de mine » ou le pire des scénarios, un accident quelconque sous terre qui mettait la vie de nos pères en danger.

Oui, on respirait la mine, au sens propre comme au figuré. Et on jouait tout à coup tellement plus à l'aise quand on voyait notre père arriver, avec sa boîte à lunch, le sourire rassurant de celui qui a survécu à une autre journée.

Pour les enfants des mineurs, un papa qui revient de travailler avec son sourire et sa boîte à lunch, c'est un moment de soulagement qu'ils n'oublient jamais. C'est comme, à l'inverse, la peur de le voir partir vers les profondeurs de la terre quand t'arrives de l'école en courant et qu'il s'en va prendre son « shift » de 4 à minuit. Ces soirs-là, ta mère est plus nerveuse, les petits sont plus agités et ne veulent pas aller se coucher. Quand t'es petit, que tu te réveilles en sursaut dans ton lit en entendant un « blast » plus fort que d'habitude, même enfant, tu ne te rendors pas tant que ton père n'est pas revenu. Comme la sirène de la mine qui paralyse toute la classe et qui fout la trouille même à la maîtresse, cette peur qui te tenaille le ventre jusqu'à ce tu saches ce qui s'est passé à la mauvaise mine. Comme les histoires que se racontent les papas entre eux en prenant une bière, que t'entends sans faire exprès et sans comprendre tout à fait. Comme la signification des mots anglais qu'on croyait français parce qu'ils faisaient tellement partie de notre univers familier : « stopes », « hoist » « shaft », « smelter », « rush », « long hole », « shut down », « copper », « gold », « sample », « boom town », « cross shift » et les plus effroyables, « loose », « collapse » et « blast ».

Pour la fille de mineur que je suis, les mots de plusieurs chansons de Richard Desjardins sont empreints d'images évocatrices d'une réalité qui nous marque au fer rouge : « J'entends la fonderie qui rushe/Pour ceux qui le savent pas/On y brûle la roche/Et des tonnes de bons gars/Les grandes cheminées/Éternelles comme l'enfer/Quand le gaz m'a pogné/Chu venu tout à l'envers/Entendez-vous la rumeur/La loi de la compagnie/Il faudra que tu meures/Si tu veux vivre mon ami ».

Je pourrais continuer longtemps mais comme me disait cet ami qui me veut du bien, « Là, faudrait que t'en reviennes ». C'est quand même plus fort que moi, mon coeur de petite fille se souvient de tout et c'est avec beaucoup d'émotion, d'espoir au coeur et de peur au ventre que je m'associe à toutes les petites filles et les petits garçons de ces 33 mineurs au nord du Chili qui reverront peut-être seulement à Noël la lumière du jour, leur femme et leurs enfants. Des profondeurs de la terre, à 700 mètres sous San José, eux autres aussi, eux autres surtout, ces papas mineurs, faudrait qu'ils en reviennent...

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* Extrait de « L'Affaire Belmoral », par Caroline Cyr, assistante de recherche au Département de criminologie de l'Université d'Ottawa :

« Le 20 mai 1980, jour de référendum au Québec, vers 22 h, le toit de la mine Belmoral à Val-d'Or s'effondre, emprisonnant dans ses débris 24 mineurs. Seize d'entre eux ont la chance d'échapper de justesse au déferlement de boue et de glaise; huit de leurs camarades demeurent coincés. L'eau, la boue et la glaise retardent sans cesse les mesures de sauvetage. Le 3 juin, les dirigeants de la mine déclarent qu'il ne reste de l'espoir de retrouver vivants que deux des huit hommes ensevelis. Le lendemain, trois hommes sont déclarés morts. Au même moment, le président de Belmoral, M. Clive Brown, affirme qu'il désire reprendre la production le plus tôt possible. Dans les jours qui suivent, un microphone inséré dans un trou foré ne révèle aucun signe de vie. Le 21 juin, soit un mois après l'effondrement, une caméra descendue dans une galerie souterraine découvre deux corps partiellement couverts de boue : deux jours plus tard, un premier cadavre est remonté à la surface. Ce n'est que deux mois après la tragédie, soit le 30 juillet 1980, que les deux derniers corps des victimes seront retrouvés. Des autopsies révèlent que les huit mineurs auraient succombé à l'asphyxie ou à la noyade. Comme il est d'habitude dans de telles circonstances, on ne manquera pas de rappeler, sans doute en guise de consolation, que si l'accident s'était produit au cours de la journée, le nombre de morts aurait triplé. »