mercredi 18 février 2015

D'AMOUR ET DE MUSIQUE


Noël 2013, Isabelle, Félixe et Elise, ma fille, ma première petite-fille et ma belle-maman. 


Une enfant émue, ça m'émeut.  

Septembre 2013, Journées de la culture. Isabelle était porte-parole de ces Journées pour notre région. Nous sortions du Centre d'exposition de Rouyn-Noranda où nous avions passé un beau moment ensemble, ma mère, ma fille et moi. 

D'AMOUR ET DE MUSIQUE

D'entrée de jeu, j'aime mieux vous le dire, je vais très bien maintenant mais je demeure encore un peu ébranlée émotivement. Même si je suis entourée de personnes âgées dont la santé n'est plus ce qu'elle était, c'est pour notre fille Isabelle que nous avons craint dernièrement. Comme quoi tout peut basculer en un rien de temps, la santé, la vie et le bonheur sont si fragiles, vous savez... 

Une petite intervention chirurgicale de routine (enlever 4 dents de sagesse) avec un spécialiste du maxilo facial à l'hôpital où je suis née, à Amos, et c'est l'horreur qui commence : complications post-opératoires, douleurs, enflure qui ne se résorbe pas puis s'étend, nuit sur civière à l'urgence à Rouyn, antibiotiques en intraveineuse, stabilisation en vue du transfert d'urgence à l'hôpital d'Amos où elle a été opérée trois jours plus tôt, examens, deuxième opération d'urgence cette fois, voies respiratoires enflées, intubée à froid, incapacité à respirer, intervention in extremis, travail de l'anesthésiste, du chirurgien spécialiste et toute une équipe au travail, ensuite plus de 24 heures aux soins intensifs, douleurs impossibles à soulager, deux antibiobiques canon en intraveineuse, bref, vous voyez le topo? Isabelle a eu peur et nous aussi. Pendant ce temps, j'étais soit à son chevet soit auprès de mes deux petites-filles pour relayer mon beau-fils. On ne la laissait jamais seule et ce n'était pas un caprice ni de sa part ni de la nôtre, croyez-moi. Elle avait besoin d'assistance et le personnel soignant, très compétent et très humain, comptait sur notre présence auprès d'elle jour et nuit pendant son hospitalisation. 

Une jeune femme de 28 ans, en forme et en santé, maman de deux petites filles, était à ce moment-là plus en danger que ses deux grands-mères. 

Isabelle est sortie de tout danger, elle est en convalescence chez elle, auprès de son homme et de sa petite famille. Nous ne sommes jamais loin... 

En fin de semaine, c'est ma mère qui nous a fait peur. Montée de pression, malaise, consultation avec son médecin ce matin, je l'accompagne... Elle va s'en tirer avec un bon suivi et une médication ajustée. 

En quittant ma mère en fin d'avant-midi, j'allais normalement faire manger Belle-Maman à son CHSLD mais comme j'arrivais trop tard pour ce faire, parce qu'ils mangent très tôt là-bas, j'ai eu l'idée de l'amener plutôt au 2e étage où tous les mercredis après-midi, il y a des musiciens bénévoles qui viennent divertir les résidents, enfin pour ceux qui le peuvent. Belle-Maman a 93 ans, est atteinte d'une sorte de démence mélangée avec de l'alzheimer, on ne sait pas exactement, ces troubles sont très difficiles à diagnostiquer. Elle ne peut plus vraiment s'exprimer, n'a plus de mobilité ni d'autonomie. Mais elle demeure la même personne qu'elle a toujours été, avec ses goûts et ses intérêts, du moment qu'on lui administre les médicaments qu'il faut pour apaiser ses anxiétés. Et ces médicaments-là, ils la font dormir beaucoup beaucoup. 

Donc, à mon arrivée à 12:30, elle cognait des clous dans son fauteuil gériatrique et on s'apprêtait à la coucher dans son lit pour sa sieste à l'aide du lève-personne. Je lui ai demandé si elle avait le goût qu'on aille écouter de la musique en bas. Si vous aviez vu son sourire... Eh qu'elle avait compris ma question!

Ravie de la trouver en assez bonne condition physique et mentale aujourd'hui pour supporter « le voyage » de quelques étages plus bas, du 6e au 2e plus précisément, il me fallait quand même la tenir éveillée jusqu'à l'heure où les musiciens commençaient à jouer. Ce ne fut pas une mince tâche mais j'ai mes trucs : au lieu de pousser son fauteuil gériatrique par l'arrière et disparaître de sa vue, je me place devant elle et je tire le fauteuil vers moi en reculant, je lui parle tout le temps, je fais le clown, je ris et elle rit de me voir rire, je lui conte toutes sortes d'affaires, je sors mes photos d'enfants, les miens et ceux de la famille (elle a toujours tellement aimé les enfants elle aussi) et c'est ainsi qu'on s'est dirigées lentement mais sûrement vers le 2e étage sans qu'elle s'endorme.

En sortant de l'ascenseur, la musique nous a enveloppées comme une couverture chaude qui sort de la sécheuse! Quel sourire elle m'a fait... Un sourire « comme avant », comme à toutes les fois où nous allions, elle et moi, écouter les musiciens à la résidence où elle habitait avant. La musique ne fait pas juste d'adoucir les moeurs, elle adoucit la maladie, n'importe quelle maladie. Elle ramène des souvenirs même à ceux qui ont perdu la mémoire, elle réveille une mémoire affective qui s'était endormie depuis longtemps.

Il y avait des musiques instrumentales, des reels, des chansons, des pièces qui m'étaient toutes familières, certaines que je pouvais chanter au complet en dansant avec elle... Oui, c'est ça, danser avec elle. Comment? En faisant valser doucement son fauteuil gériatrique avec mon genou, je battais la mesure sur son bras ou sur ses mains, toujours jointes, sous la couverture qui l'enveloppe en permanence. Là, je lui disais : « Eh qu'on danse bien, nous autres, hein? » 

Il y avait tant de beau monde dans cette salle. Et tant d'amour. Et tant de belle musique. D'abord, les musiciens, un violon, une guitare, un synthétiseur et une chanteuse, une madame qui devait avoir autour de 70 ans. Ensuite, tous ces gens que je connais et que je côtoie régulièrement dans ce microcosme qui me semble de plus en plus familier et accueillant : des résidents, des membres de leur famille, toujours les mêmes, des bénévoles et accompagnateurs/trices au coeur grand comme le monde, des membres du personnel, etc.  

Ma cousine Lucie accompagne souvent des résidents du CHSLD depuis que sa mère est décédée, elle est restée attachée à l'endroit. J'adore cette fille, je me suis toujours sentie proche d'elle. On se croise souvent là-bas et on a appris depuis toujours à se comprendre vraiment beaucoup sans avoir à se parler trop longtemps. Des fois, on rit, des fois on a les yeux dans l'eau. Je vois très souvent Marlène, c'était mon ange au bureau d'assurance l'automne où j'ai fait deux accidents de voiture de suite dans une période où j'étais particulièrement épuisée à tout point de vue. Je vous ai déjà raconté ça ici même. Ah cette Marlène, toujours un ange et toujours ce sourire si apaisant. Depuis sa retraite, elle est tellement présente au CHSLD, à la fois pour sa mère et pour bien d'autres. Il y a Johanne aussi avec laquelle j'ai tissé des liens qui vont bien au-delà de son métier. Et puis Michèle qui vient nourrir sa maman à la petite cuillère tous les midis et qui s'en va souvent en pleurant, on se conte nos misères de CHSLD en fumant une cigarette dehors dans le stationnement et on finit par rigoler en se disant qu'on souhaite mourir jeune... mais qu'il est trop tard, on est déjà vieilles!!!

Cet après-midi, parmi les danseurs, j'ai vu un vieux monsieur tout beau tout chic qui avait du rythme et une belle allure, avec une belle madame d'environ 70-75 ans, des beaux cheveux blancs, toute gracieuse. Elle me semblait plus jeune que lui mais il était vraiment un beau monsieur alors elle devait lui avoir trouvé jadis beaucoup de charme, ce charme qui ne vieillit pas... J'ai appris qu'ils étaient père et fille, lui a 96 ans, elle a 74 ans. 

Une vieille dame au clin d'oeil facile et à l'air espiègle dansait toutes les valses et les polkas avec une énergie incroyable. Elle ne s'est pas assise souvent. Elle dansait avec l'une, avec l'autre, elle a brûlé quelques-unes de ses compagnes tout au cours de l'après-midi. Lucie m'a dit qu'elle avait  98 ans. Malgré des petites lacunes évidentes mais pas trop gênantes au point de vue cognitif, manifestement, elle n'avait pas oublié ses pas de danse.

À quelques reprises, Lucie et moi, on a eu des complicités comiques en écoutant ces chansons. Parce que cette musique-là, on la connaît, on a grandi là-dedans, c'est de la musique de mononk, un peu country, un peu vieillotte, un peu du style de la bonne chanson, un peu folklorique, un peu de Richard Desjardins aussi, après tout, on est à Rouyn-Noranda. Dès les premiers accords, on s'exclamait en même temps : 

- C'est le reel à Cyrice à mon oncle Louis!

- C'est la chanson à ma tante Colette!

- C'est la toune à Lauréat!

Dans cette salle, cet après-midi, il y avait beaucoup de fauteuils roulants, de fauteuils gériatiques, de déambulateurs (marchettes) de gens avec des problèmes cognitifs, de personnes affectées par la vieillesse, la maladie, le chagrin aussi, je pense à Madame Duplain qui a perdu son mari la semaine dernière et qui saluait gentiment tout le monde comme à son habitude. Certains dansaient, certains chantaient, certains écoutaient, riaient, parlaient mais tout le monde tout le monde tout le monde, sans exception, souriait. Je n'ai jamais vu autant de gens heureux au pied carré que cet après-midi, au CHSLD Maison Pie XII. 

Et Belle-Maman s'est endormie dix minutes avant la fin en rêvant qu'elle dansait...