samedi 15 mars 2014

Le loup de la 117


Tout en haut de la chaîne alimentaire trône le loup qui n'a rien à craindre d'autres pour sa survie que la famine et l'homme. 


Si la réputation du loup a été malmenée dans beaucoup d'histoires à faire peur aux enfants, pour les trappeurs, il représente la force, la détermination, le courage, la solidarité. Un guerrier qui connaît sa place et son rôle dans la meute. 


En spectacle, Isabelle Rivest chante « Le loup de la 117 », un moment unique et empreint de respect. Pour le trappeur comme pour le loup. 

Le loup de la 117

Mars 2008. Le trappeur, comme toujours à bonne heure en route pour son camp, s'arrête en chemin chez le concessionnaire de motoneige pour récupérer une pièce qu'il a fait réparer. Le commis qui le connaît bien l'interpelle au sujet d'un incident survenu la veille : 

- Tiens, v'là le trappeur, je voulais justement te parler de quelque chose... 

- Ah oui? 

- C'est notre mécanicien qui a frappé un loup hier soir avec son char, attends une minute, je vais l'appeler, il va te conter ça... Si tu veux récupérer la peau... 

- ... ... ...

Le mécanicien raconte qu'en soirée, entre la rivière Kinojévis et l'aéroport, sur la 117 Nord, il a lutté un loup qui n'a pas dû faire bien long avant de mourir de ses blessures. Selon lui, le loup serait mort sur le coup parce que son pare-choc est tout bousillé. Le trappeur ne remet pas en question le jugement du gars mais il lui pose quelques questions et d'après ses réponses, il craint, au contraire, que ce loup ne soit pas mort sur le coup mais qu'il doit souffrir atrocement, ayant peine à se déplacer. À partir de ce moment, il ressent l'urgence de le retrouver, non pas pour récupérer sa fourrure comme on le lui suggérait mais pour achever ses souffrances qui durent déjà depuis une bonne douzaine d'heures. 

Il y a deux choses que le trappeur ne peut pas supporter : qu'un animal souffre ou qu'il soit mort pour rien. Autrement, la mort, pour lui, devient une phase dans le cycle infini de la Vie. 

Ainsi, sans plus attendre, il part en direction de son camp, sur la route 117 et, arrivé près de l'endroit indiqué, il surveille de son camion ce qui pourrait être le point d'impact. Il s'arrête là où il voit des toutes petites pièces de pare-choc éparpillées sur le côté de la route, dans le banc de neige. Il prend ses raquettes et un gros fil de métal utilisé pour trapper le loup, ce qu'on appelle un collet à loup. Il part, le coeur battant, à la recherche de l'animal blessé. 

Il ne voit pas de sang. Ayant chaussé ses raquettes et quitté la route, il aperçoit les traces du loup dont le flanc droit est à la traîne dans la neige blanche. Il comprend maintenant encore davantage les blessures qui feront mourir l'animal mais lentement, sournoisement, cruellement, au bout d'atroces souffrances. Il visualise clairement le scénario de l'accident, les mouvements du loup pour se déplacer, fuir, se mettre à l'abri. 

Plus il suit la trace du loup blessé, plus il se sent proche de ce guerrier avec lequel il a développé tant d'affinités à force d'observer ses comportements, d'entendre ses hurlements dans la nuit, de voir comment il est maître chez lui en forêt. Il l'admire. Ce loup, c'est son frère, un frère qui souffre et auquel il s'identifie chaque jour davantage depuis que l'acouphène fait des ravages dans sa propre vie, dans ses silences trop habités. 

Au milieu de la clairière se dresse une grosse talle d'épinettes. Les traces y mènent. Il n'entre pas. Il fait le tour. Il ne voit plus aucune trace du loup. Il n'en est pas ressorti. Visiblement, il se terre. Là. Tout près. Il ressent son souffle presque. Il revient dans ses premières traces de raquettes et pénètre doucement dans cette forêt en s'arrêtant souvent pour observer le moindre signe d'une présence.

Au bout d'un moment, il aperçoit sa silhouette, tapie au pied d'une épinette, ses yeux perçants qui le dévisagent. Le loup débusqué fait un effort surhumain pour se déplacer d'une épinette à une autre tout en ne le quittant pas des yeux. S'installe alors un dialogue silencieux entre quatre yeux... Des confidences qu'ils n'ont jamais faites à personne d'autre, ni l'un ni l'autre. 

Le trappeur est réaliste, il n'arrivera jamais à approcher suffisamment le loup pour lui passer le fil de métal autour du cou et le mater. Le fier animal se débattra de toutes ses forces et donnera tout ce qu'il a dans ses mâchoires d'acier pour se libérer de l'emprise. Bien plus fort que l'instinct de mort, il y a l'instinct de vie, de survie même. Et ce loup n'en manque pas. Enfin, pas pour le moment. 

C'est là qu'il pense à ce qui lui a été dit depuis toujours. Les agents de la faune ont pour mission de venir en aide aux animaux de la forêt lorsque nécessaire. Et ce ne sera jamais plus nécessaire que maintenant. Le trappeur revient vers son camion en ayant le sentiment d'abandonner le loup à son triste sort mais ce n'est que temporaire. Il se rend à l'aéroport pour téléphoner au bureau des agents de la faune et il leur demande d'envoyer quelqu'un, armé, pour l'aider à mettre fin aux souffrances de ce loup blessé qui a été lutté par une voiture la veille. Il signale sa position. 

Un agent de la faune arrive peu après sur les lieux. Il est armé. Le trappeur le mène à la grosse talle d'épinettes, au refuge du loup qui n'a pas bougé d'un poil. Le loup les dévisage. Le trappeur est mal à l'aise devant la vulnérabilité du loup. L'agent de la faune encore plus. Il tire une première balle... BANG... Un hurlement retentit plus loin, beaucoup plus loin. Le loup semble atteint mais pas mortellement. Un guerrier, je vous dis. 

Un peu de sang sur la neige comme une signature trop rouge qui fait mal. Le trappeur fait signe à l'agent de la faune. Ne tire plus. Couvre-moi. Et il profite du remue-ménage pour faire le tour et arriver par derrière le loup, le surprendre avec son fil de métal autour de son cou et il serre, il serre de toutes ses forces. Une lutte à finir entre la vie et la mort, entre Le Trappeur et son frère, Le Loup. À bout de forces, tous les deux, c'est le loup qui finit par s'effondrer dans la neige. Il est enfin délivré de ses souffrances. 

L'agent de la faune repart sans dire un mot, toujours mal à l'aise. Le trappeur ne le reverra que deux ans plus tard... Mais ça, c'est une autre histoire bien plus triste encore. 

Le trappeur, loup sur l'épaule, s'en revient vers son camion, sa vie en miettes, l'âme en paix mais le coeur en peine. Le loup de la 117 ne sera pas mort pour rien au bout de ses souffrances qui viennent d'être abrégées. Il sera mort en héros, en guerrier, le trappeur pourra en témoigner, il fera tanner sa peau pour ne jamais l'oublier, s'inspirer de son courage, de sa détermination, de sa force de vie et de sa liberté dans sa forêt.  

* * * * *

Le loup de la 117 (Paroles et musique : Isabelle Rivest)

Un ancien chef de meute confus, fragile et vieux
Égaré sur la 117 et malheureux

Une voiture de citadin heurte l'animal de plein fouet
Vieux loup s'en ira mourir en forêt

Pensée générale chez les généraux : 
« Y doit être mort »

À travers les épinettes, le vent souffle la rumeur
Aux oreilles de l'homme qui écoute pour vrai
Le Trappeur

Paradoxe entre la pensée analytique et tout l'amour qu'il porte
Pour tout être qui respire et que la vie emporte
Ainsi qu'une pensée pour le bien de l'autre
Fidèle comme un apôtre
Le Trappeur ira enfiler sa veste de laine
Pour retrouver l'animal par-delà les plaines

Pour tendrement mettre une balle dans la tête
Pour loyalement faire cadeau du dernier souffle
Pour calmement expliquer la fin
Pour amèrement lever les yeux au loin

Bang! Bang! Bang!

Fier et frêle sur ses quatre pattes
Le loup se redresse
C'est un dernier salut à ce monsieur
C'est une dernière messe

Le Trappeur avec ses trop grosses mains
Des mains qui ont trop travaillé
Des mains insensibilisées par l'hiver
Essuie une larme au coin de l'oeil, il reste solennel
Moment fort et dur et beau mais sans dentelle

Vieux loup fait voler la neige en tombant
Et sa louve...

Elle déchire le silence dans son hurlement d'amant
Et fracasse l'acouphène du trappeur aimant 

Par une fin d'après-midi violemment belle
Un ancien trappeur confus, fragile et vieux
Marche vers son pick up, peau de loup sur l'épaule et malheureux

Il dit qu'il ne fera pas ça toute sa vie
Et il dit aussi...

Que lui, c'est dans le bois qu'il a trouvé toute sagesse, toute sérénité, toute philosophie
Et il dit aussi...

Qu'il devra demeurer spectateur de la scène du terroir
Parce que le bois, lui, c'est son miroir... 


jeudi 6 mars 2014

Histoire de pies!


Samedi dernier, au camp Fra-Gilles, on vivait une fin de semaine de rêve, de calme et de repos, en famille, pour bien marquer ce début de la semaine de relâche. Depuis l'été dernier, Félixe n'avait pas nourri elle-même « ses pies », elles étaient devenues plus farouches et donc, plus difficiles à apprivoiser... 


Les enfants nous donnent parfois des leçons de vie... Dans son regard et son sourire, je vois l'espoir et en même temps une confiance inébranlable que ce n'est qu'une question de temps pour que l'espéré et l'attendu se produise. Son papa contribue à cette confiance en la Vie, il a d'ailleurs la même expression sur son visage!  


Apprendre la patience, donner du temps au temps, respecter son rythme qui s'ajuste et se module à celui de Dame Nature. 


« Allez les pies, j'ai du bon pain, vous devez avoir faim? »


... ... ...


Ça y est!


Félixe voulait prendre une photo de moi avec les pies mais elle était trop absorbée par ce qui se passait, elle n'a jamais ouvert son appareil!!!


« Mamie, on dirait qu'elles préfèrent tes craquelins ».


Tu as raison, Félixe, tiens, je te les donne, mes morceaux de craquelins. 


 « T'as vu, Mamie? »


« Elle n'a plus peur de moi! »


 « Elle a beaucoup faim... » 

Histoire de pies 

Une histoire de pies, c'est presque une histoire sans paroles...