mercredi 19 décembre 2007

Noël, la saison des réjouissances...


J'ai cherché dans toutes mes photos celle qui pourrait illustrer ce que j'avais à dire aujourd'hui et celle-là m'a fait un effet instantané. Pigée dans l'album de notre fille, cette photo avait une note à l'endos où je reconnais mon écriture : « Mon premier contact avec le Père Noël, décembre 1987, pharmacie Jean Coutu. Je ne l'ai pas aimé, il parlait fort, il riait fort et Maman a dû nous laisser ensemble pour que le photographe fasse son travail. Le Père Noël avait 10 secondes pour m'apprivoiser. Il a échoué! »

Noël, la saison des réjouissances

Quand j'étais petite, le temps des fêtes durait au moins deux semaines et j'en garde des souvenirs impérissables... Les familles étaient si nombreuses et mes deux familles très élargies nous rassemblaient toujours en Abitibi-Ouest, dans la grande maison du rang VII, sur la route de Dupuy, chez mes grands-parents maternels, ou alors dans l'autre, au Petit Village à La Sarre, chez mes grands-parents paternels.

Dans la grande maison du rang VII, c'était toujours le temps des réjouissances et particulièrement au temps des fêtes. On arrivait de partout, des pleins chars, et tout le monde était accueilli dans des effusions de joie, de rires et des petits bouts de refrains. Il me semble que je nous revois encore débarquer de l'auto, tout endimanchés et ceux qui étaient arrivés avant nous venaient nous ouvrir la porte en nous sautant quasiment dessus. On aurait dit qu'on éclairait la place quand on arrivait et que ça devenait de plus en plus lumineux quand les autres se pointaient à leur tour.

Les retrouvailles avec les cousins et cousines étaient bruyantes et animées, mais jamais autant que celles des grands. Dans la famille de Maman, tout le monde joue d'un instrument de musique, tout le monde chante. Moi, j'avais tout le temps hâte que la musique commence mais je savais que ça ne viendrait qu'après le souper, il fallait laisser les guitares s'acclimater et on avait un respect immense pour les instruments de musique, on les regardait seulement. L'arbre de Noël dans le salon était magnifiquement décoré par Grand-Maman Éva, avec un ange dans le haut, des boules de Noël très anciennes même parfois un peu dépeinturées mais toujours si brillantes, des cartes de Noël reçues des Iles, toutes écrites dans les moindres petits racoins, des glaçons, des cheveux d'ange, et au pied du sapin, beaucoup de petites maisons, une église et une grosse crèche où il ne manquait personne, personne, il y avait même tous les petits bergers avec des agneaux dans les bras et tout. On était catholique fervent dans la famille...

Dans ce tourbillon de cris, de chansons, de tapage de pieds, de jouage de tours, de p'tits boires et de rigolade, on ne pensait pas aux cadeaux, c'était bien secondaire, on en aurait un, c'est tout, c'était comme une loi non écrite parce que Noël, c'était tout sauf ça. J'ignore comment les grands faisaient mais dans le temps de le dire, la table était servie pour les grands et nous, les enfants, on avait chacun notre marche dans l'escalier qui donnait sur l'immense cuisine, bien entendu, on n'aurait pas voulu rien manquer du party. Dans l'escalier chez Grand-Papa, il y avait toujours une hiérarchie selon l'âge, donc, on avait quasiment notre prénom d'écrit sur notre marche, la mienne, c'était la deuxième, il y avait juste Michel de plus vieux que moi. Ensuite, il y avait la marche à Lise, Solange, Raymonde, Ti-Luc, Ti-Gilles, etc...

C'est après le souper qu'on avait des surprises parce que d'autres se joignaient à la famille, les cousins de nos parents. Eux autres, ils avaient des violons et des accordéons en plus de toutes les guitares. Ah là, c'était sûr qu'on allait veiller tard! Entre deux morceaux de vaisselle à laver, on recevait notre cadeau. Il ne passait jamais sous le sapin, il n'y avait pas de place pour ça de toute manière, avec les petites maisons et la grosse crèche... Je me rappelle avoir eu une année un Colorola. J'étais donc contente. Maman devait avoir commandé ça dans le catalogue : Un machin en plastique rouge avec dedans une feuille magique qu'on pouvait colorier avec des crayons de cire et quand on tournait la manivelle, il apparaissait un autre dessin à colorier. Quand on avait fait le tour et qu'on revenait au dessin de départ, il était tout effacé et redevenu vierge. Je croyais que j'allais m'amuser très longtemps avec mon super magique Colorola!

Mais mon oncle Claude, qui commençait à être un peu pompette, dans un éclat de rire, s'est assis sur mon Colorola. Ça a fait un gros « crack » et il a tellement trouvé ça drôle, les autres aussi d'ailleurs. Il y avait juste moi qui ne riais pas tellement. Il a dit : « C'est à qui la bébelle, ben, le restant de bébelle? » ce qui a fait rire encore plus les grands alentour. J'ai dit : « C'est à moi! » et il a répondu : « Ah, c'est pas grave, mon oncle Claude va t'en acheter un autre! » et il avait ajouté, « C'est Nouel! » en se servant un autre verre. Ma tante Yvonne y avait vu le signal pour entonner sa chanson de circonstance qui me rend toujours joyeuse et nostalgique « C'est Nouel dans notre beau petit village, c'est Noël ici comme ailleurs, à l'église de notre beau petit village... ».

Pour chanter, il y en a qui « se faisaient prier » mais ils finissaient par se laisser convaincre, comme Maman qui chantait « Elle avait des bagues à chaque doigt, un tas de bracelets autour des poignets et puis elle chantait de sa belle voix qui sitôt m'enjôla, elle avait des yeux, des yeux d'opale qui me fascinaient qui me fascinaient, y avait l'ovale de son visage pâle, une femme fatale qui me fut fatale... » ou bien « Enfant du voyage, ton lit, c'est la mer, ton toit, les nuages, été comme hiver, ta maison, c'est l'océan, tes amis sont les étoiles, une fille aux cheveux d'or, perdue dans le vent du Nord...». Grand-Papa, lui, quand il se levait debout, qu'il nous faisait un clin d'oeil et qu'il se dépliait du haut de sa grandeur, on savait qu'il était le plus heureux des hommes d'avoir toute sa famille autour de lui et qu'il nous dirait sa petite phrase, « êtes-vous heureux, là? Bon ben, si vous êtes tous heureux, moi aussi! » et qu'il nous chanterait la sienne « On arrêtera le télégramme, la langue des femmes, jamais! » dont je voudrais bien retrouver les paroles...

Toutes les chansons des Iles de la Madeleine y passaient, ainsi que les classiques de la famille « Les Immortelles », « Partons la mer est belle » chantés en harmonie à plusieurs voix, plusieurs guitares, mon oncle Marcel, ma tante Denise, mon oncle Paul, ma tante Gertrude, toujours un moment presque solennel. Mon oncle Hilaire tapait du pied à s'en user les talons avec « Le p'tit bal chez Jos Brûlé », la maison en tremblait, si on était chanceux, mon oncle Ti-Charles, allait nous faire avec un tas de grimaces et de sous-entendus, « Oh, Belle vous y avez une belle tite couisse, oh belle, vous y avez » mon oncle Raymond, mon oncle Edwin, ma tante Bernadette, ma tante Pauline et toutes les chansons de mer, de bateaux, de capitaines et de matelots, notre histoire et notre folklore madelinot, avec ses complaintes et ses harmonies, cette mer qui berce et qui nourrit, on ne pouvait jamais se résoudre à aller se coucher. Des fois, trop rarement, Papa nous jouait un petit reel d'harmonica que mes oncles accompagnaient au vol et enrobaient si richement, comme s'ils avaient pratiqué ensemble.

Noël, c'était ça, un temps de réjouissances, de retrouvailles familiales, de musique, de rires, de chansons, d'histoires, de moments passés ensemble à s'aimer sans se le dire. Mais on communiquait dans notre musique. On n'aurait jamais manqué la messe de minuit, sinon, Noël n'aurait pas eu de sens mais la fête reprenait de plus belle après et je ne me souviens plus quand est-ce qu'on allait se coucher mais je me rappelle que les cousines, on dormait toutes ensemble dans la petite chambre de la machine à coudre, en haut, dans le même lit toutes les quatre et qu'on riait jusqu'à ce qu'on tombe endormies et épuisées, bercées par la musique qui se continuait en bas parce que les grands, ils se couchaient pas, je pense...

Finalement, je voulais vous parler d'autre chose complètement et je me suis égarée en chemin, trop plongée dans mes souvenirs de ces Noël qui n'existent plus. Mais je me reprendrai lors d'un prochain billet, je crois, où je vous raconterai un peu comment je fais pour garder aujourd'hui le meilleur de cette « saison des réjouissances » et toujours mon âme d'enfant. Et pour conclure l'histoire de mon défunt Colorola, ben... mon oncle Claude n'avait pas tenu sa promesse mais j'avais espéré longtemps, très longtemps. Ça m'avait appris quelque chose d'important : quand on fait une promesse à un enfant, il faut toujours la tenir, sinon, on peut lui briser le coeur...

lundi 10 décembre 2007

Une tradition... glacée et bien ancrée

Je ne sais plus en décembre de quelle année j'ai pris cette photo parce que cette fresque sportive glacée et bien vivante se déroule devant chez nous à tous les ans depuis que nous habitons ici, en 1991. Au début, nous faisions la patinoire pour les petits mais on s'est bien vite rendu compte que ce n'était jamais aussi désintéressé qu'on le disait. Oui, bien sûr, nos enfants ont grandi avec la patinoire devant la maison tous les hivers et ça a donné lieu à plusieurs situations drôles et très extrêmement pédagogiques mais surtout, la tradition s'installait au fil des ans de manière très profonde jusqu'à devenir LA TRADITION du temps des fêtes!

Et cette année, notre 17e saison d'hiver qui débutait de manière inhabituelle avec trop de neige et pas assez de glace nous désespérait pas mal. Nos enfants ont maintenant 20, 21, 22, 23 ans et n'habitent plus ici mais ils s'inquiétaient beaucoup eux aussi du fait « qu'on n'aurait pas de patinoire c't'année » et donc, que les parties annuelles du temps des fêtes n'allaient pas avoir lieu. Qu'allions-nous faire?

« Partir » la patinoire sur le lac, ce n'est pas si simple qu'on pourrait le croire et il ne suffit pas de se retrousser les manches pour pelleter après toutes les tempêtes. La patinoire, c'est tout un art! Crocodile Dundee, Alain, notre voisin, ainsi que mon frère Yves sont devenus des pros de la patinoire. Ils savent quel est le moment exact où il faut la faire, comment s'y prendre, combien de pouces de glace sont nécessaires, comment éviter de « slusher » le plus possible, surtout dans les coins, comment réparer et lisser la glace avec des barils d'eau, des pelles, des truelles, etc. Des pros, je vous dis!

Au début de la saison, elle est toujours très grande, une vraie patinoire olympique. Plus l'hiver avance, plus les « bandes » sont hautes et plus la patinoire rapetisse. Moi, ce que j'aime, c'est de l'entretenir après les petites chutes de neige. Pas une grosse tempête, non, dans ce temps-là, on y va à plusieurs et même on a déjà passé la souffleuse dessus mais quand il y a eu juste une petite chute de neige, je me dépêche d'aller passer la gratte avant que les autres arrivent et qu'on me vole ma job de Zamboni de luxe! Là, je chausse mes patins, je prends la gratte (il traîne toujours des grattes et des bâtons de hockey sur les filets) et je fais de beaux sillons bien droits dans les deux sens. Je peux faire ma perfectionniste tant que je veux. C'est tellement zen.

Les règlements du hockey chez nous ont la particularité d'être adaptables et élastiques. Tous âges confondus, filles ou garçons, les chiens avec, en patins ou en bottes, nombre de joueurs illimités et aucun contact physique, à part les bisous et les câlins, parce que les retrouvailles se font aussi sur la patinoire. En général, les bâtons de hockey sont en nombre suffisant mais on manque toujours de rondelles molles (de couleur orange). Les lancers frappés (slap shots) sont interdits et pas seulement pour éviter des blessures. Le héros du moment, c'est celui qui trouve la rondelle dans le banc de neige pour que la partie puisse reprendre. D'habitude, au printemps, on retrouve des rondelles oranges qui flottent devant chez nous et chez Alain...

Par contre, il y a des règlements très formels : dans la glacière, (qu'on voit au premier plan et je vous rappelle que vous pouvez cliquer sur la photo pour l'agrandir) il y a des Gatorade pour les petits et de la bière pour les grands et personne n'ouvre la glacière avant la fin de la partie parce qu'il peut y avoir des surprises dedans, comme un trophée ou quelque chose du genre. On ne compte pas tellement les points, en fait, c'est qu'on ne s'entend pas toujours si le but était bon ou pas, alors, on se concentre plus à fabriquer de beaux jeux en essayant de faire compter des buts aux petits ou à ceux qui jouent pour la première fois. Pour ceux qui sont trop âgés pour jouer (mais mon père jouait encore à 75 ans) ou les jeunes mamans avec des petits bébés, ils peuvent suivre le déroulement de la partie aux premières loges, dans la maison chez nous ou chez Alain. Et tout le monde comprend que si nous sommes des hôtes accueillants en temps normal, pour la partie de hockey, on abandonne notre visite et on s'en va jouer dehors.

Après le hockey, il y a toujours l'après-hockey. C'est là qu'on ouvre la glacière! Très beau moment. Les familles et amis sont mélangés, tout le monde est parent sur la patinoire et après. On pète de la broue, on félicite les petits, on écoeure les grands, on s'obstine sur un paquet d'affaires et on rit, c'est effrayant comme on rit. On se remet de vieux trophées recyclés, on nomme des catégories du genre « le joueur le plus amélioré depuis l'an passé mais c'était pas dur », etc. Tranquillement pas vite, on rentre dans les maisons, chez nous et chez Alain, on mange avec nos invités mais ce n'est jamais un souper conventionnel des fêtes, plutôt un genre de repas communautaire pas compliqué où chacun apporte sa part de bouffe et de petits boires. Dans l'entrée chez nous et tout le long de la rampe, sur la patère et dans la garde-robe, il y a des montagnes de manteaux, tuques, mitaines tout trempes, foulards, bottes, etc., mais les patins, ça reste dehors, OK?

Quand la veillée avance, parfois, un plus petit groupe d'adultes ne peut résister et on se lance des défis avec le voisinage. Ça commence à se piquer des clins d'oeil dans l'après-hockey pour remettre ça « aux lumières » dans une deuxième partie où là, les règlements sont ceux du vrai hockey avec des joueurs pas mal plus chevronnés. Les parties qui commencent vers 23 heures sont toujours les plus enlevantes! Le hockey de nuit réveille les vrais, ceux qui sont insatiables.

Alors, on ne pouvait se résoudre à passer à côté de tout ça et plus encore cette année malgré la difficulté de « partir » la patinoire. Samedi soir, Crocodile Dundee et Alain se sont dit qu'ils n'allaient pas baisser les bras. Nenon, pas question. Ils ont appelé Yves. Consensus entre les trois, rendez-vous hier, dimanche, à 13 heures. Avec acharnement et vaillance, mes trois super héros ont fait un miracle, dans les circonstances. Danièle et moi, on a fait le café, on a fourni la bière et les encouragements et... Ça y est, la patinoire est faite! Mais elle est très inégale et raboteuse. Slushée dans les coins. Il y aura de l'ouvrage à faire cette semaine, tous les soirs, pour bien la lisser avec de gros barils d'eau et des outils improvisés.

Alors, je vous l'annonce en grande primeur et j'invite ceux qui se reconnaîtront, LA PARTIE DE HOCKEY ANNUELLE du chemin des Castors au lac Dufault aura lieu le 31 décembre autour de midi. Si vous venez, comme d'habitude, apportez votre bouffe et vos petits boires, vos patins si vous y tenez, vos bâtons de hockey, vos enfants et ceux qui vous sont chers, comme votre chien Polux. C'est pas vrai qu'on va passer à côté d'une aussi belle tradition!

dimanche 2 décembre 2007

Bonne fête Papa!

Cette image n'est pas une photo et je n'ai pas besoin de vous la décrire. Je vous dirai simplement que je l'ai numérisée en la ressortant de mon coffre aux trésors où elle est déjà retournée. Vous comprendrez pourquoi en lisant mon billet... Nous sommes aujourd'hui le 2 décembre 2007 et Papa est né le 2 décembre 1927. Je veux célébrer à ma manière son 80e anniversaire de naissance et ce n'est pas parce que je ne vois plus ses beaux yeux bleus et son grand sourire qu'il n'est plus là. Papa sera toujours là pour moi, pour nous tous qui l'avons tant aimé. Je veux me remémorer aujourd'hui son extraordinaire présence même en son absence... Bonne fête et merci Papa!

Pour son 69e anniversaire de naissance, en 1996, je lui avais offert un texte qui s'intitulait « Le ti-dodo, la tranche de pomme, le sublet et le cheval blanc » et j'espérais ainsi nous consoler, lui et moi, d'avoir dû fermer chacun notre entreprise cette année-là. Moi, à l'été, comme écrivain public, et lui, la sienne depuis plus de 20 ans, celle qui avait fait vivre notre famille et quelques autres, à la fin de la même année. Nous en avions eu la même peine, l'un comme l'autre, mais nous savions aussi qu'il n'y avait rien d'autre à faire. Voici donc un extrait de ce texte qui lui avait fait plaisir et qui, sans doute, l'avait un peu consolé.

Le cheval blanc

... Mais parmi les souvenirs de l'enfance, il en est un qui me servira toute ma vie dans les moments moins joyeux de mon existence. Une panacée pour les jours gris ou la douleur en général. Il s'agit d'un remède miracle qui s'apparente un peu à ce qu'on appellerait aujourd'hui l'auto-guérison ou encore la visualisation. Cela s'appelle : « Le cheval blanc ».

Quand j'avais mal aux oreilles, aux dents ou que je prenais une fouille en bicycle, il me parlait longuement du cheval blanc. Quand je me faisais agacer pour mon accent, que j'avais perdu des morceaux de casse-tête ou que j'avais raté ma sculpture d'épingles à linge, il me racontait aussi son histoire du cheval blanc, tant et si bien que j'avais fini par le voir réellement.

Ça commençait toujours pareil. Il m'assoyait près de lui, me disait de fermer les yeux puis il prenait sa voix douce, calme, grave et rêveuse, et il racontait...

« Pense à un beau cheval blanc… il est donc beau ce cheval blanc-là…
Ah, là, tu le vois, il est fort et fier, il court dans la prairie, la crinière au vent, libre comme l'air.
Il est donc beau ce cheval blanc là...
C'est un beau cheval blanc heureux qui pense rien qu'à son heureusité,
à courir vite et fort dans sa prairie... Ah, c'est donc beau, un beau cheval blanc...

Et j'ai oublié la suite mais ce que j'ai retenu, c'est que ça marchait tout le temps. Aucune douleur, physique ou morale, ne résistait au cheval blanc. Bien sûr, quand je suis devenue une adolescente puis une femme, il n'a plus jamais utilisé le truc du cheval blanc avec moi mais je m'en souvenais toujours et je l'utilisais souvent, jusqu'au jour où...

J'avais 29 ans. Depuis huit ans, je voulais devenir enceinte et finalement, le miracle s'était produit, mais j'étais alitée depuis le début de ma grossesse, malade, incapable de m'alimenter, affaiblie et inquiète de perdre ce bébé si attendu, si désiré. Inévitablement, j'avais fini par perdre pas mal de ma joie de vivre. Le physique avait fini par déteindre sur le moral. Comme j'étais plus ou moins emprisonnée, soit à la maison, soit à l'hôpital, je voyais seulement les gens qui me rendaient visite parce que moi, je ne pouvais me déplacer.

Ce matin-là, Papa s'était arrêté à la maison, sans raison. Couchée sur le sofa, je ne lui avais même pas ouvert la porte. Il était entré tout simplement, à pas de loup, silencieusement. Il s'est assis dans la berçante, sans rien dire. Je ne faisais pas la conversation moi non plus. Comme il traînait sur la table du salon de vieux cartons blancs et des ciseaux, il a voulu ramasser tout ça. Machinalement, il a commencé à découper dans le carton, sans avoir l'air de savoir où il allait. Puis, il m'a demandé comment j'allais...

Et pendant que je lui parlais de mes inquiétudes de perdre ce bébé, de mes interrogations à savoir si j'allais être capable de rendre à terme un bébé en santé, il découpait toujours à mesure qu'il m'écoutait de toute son âme, de son sourire attendri que je connaissais si bien. Quand j'ai eu fini de lui répondre, il avait fini de découper. Alors qu'il s'est levé pour aller porter les découpures à la poubelle, j'ai remarqué sur la berçante une petite forme blanche qui gisait là. Je suis allée la chercher et j'ai pris dans mes mains un beau cheval blanc, le plus beau cheval blanc du monde. Papa m'a souri et m'a dit: « Il est pas tellement bien réussi, j'avais pas de modèle, mais regarde, il a une petite bedaine et quand même, il a l'air encore assez fort et il se tient debout! »

Je lui ai dit: « C'est le cheval blanc de quand j'étais petite! Te rappelles-tu, Papa, quand tu me disais...» Et, dans son rire de petit garçon gêné, j'ai senti clairement deux choses: premièrement, que oui, il s'en souvenait tout à fait et deuxièmement, que ça, il ne fallait surtout pas le dire... pour ne pas briser le charme. Alors je me suis tue parce que ce qui ne s'exprime pas, s'imprime, et puis on a souri tous les deux parce qu'on savait tout le merveilleux qui se cachait dans ce petit cheval blanc de carton.

C'était la plus jolie chose qu'il pouvait m'offrir. J'ai couru le mettre sur le foyer où je l'ai regardé si souvent jusqu'à la fin de ma grossesse. Bien sûr, c'est la première chose que j'ai mise dans ma valise en partant pour l'hôpital. Mon petit cheval blanc m'a suivi jusqu'à la salle d'accouchement et ensuite, sur ma table de chevet.

Quand il est accouru me voir à l’hôpital et faire connaissance avec sa première petite-fille en pleine santé, il a vu « notre » cheval blanc sur ma table de chevet. Il a souri peut-être un peu plus tendrement et de manière plus émue ce jour-là.

J'aurais voulu lui dire toute la beauté de mon enfance, toute la magie qu'il avait créée dans ma vie d'enfant et d'adulte aussi, toute l'espérance que j'avais de faire de même pour ma fille.

J'aurais voulu surtout lui dire mille mercis pour cette panacée universelle, cette enfance heureuse qui serait pour toute ma vie un gage de bonheur ou, comme il le dit lui-même,
« d'heureusité », mais je n'ai rien dit et j'ai souri parce que ça, c'est sûr, il ne fallait pas le dire. Ça aurait pu briser le charme...