vendredi 22 juin 2007

Elle s'envole


Je vous le dis tout de suite, la photo n'est pas de moi. J'ignore qui en est l'auteur(e). Dans ma collection de photos d'orignaux, il y a quelques raretés, des orignaux albinos. C'est déjà une chance inouie de pouvoir photographier un orignal dans son environnement, alors imaginez un orignal albinos. La nature fait parfois curieusement les choses et si nous trouvons, nous, les humains, que cette femelle a un petit côté angélique, à cause de sa couleur immaculée, pour les autres spécimens de son espèce, par contre, rien ne la distingue particulièrement, elle attire les autres mâles et peut tout aussi bien donner naissance à un petit qui soit de la même couleur que les autres. Ce phénomène des orignaux albinos a été observé au moins à deux reprises, à ma connaissance, dans notre région, soit à Duparquet et à Val-Paradis. Toutefois, il semble y avoir une concentration de ce défaut de la nature dans le nord-est ontarien, tout près de Timmins.

Et pourquoi je vous parle de défaut de la nature? Parce que c'est ce que j'ai en tête depuis quelques jours. Je suis moi-même une sorte de défaut de la nature, comme mère.

Normalement, quand un enfant quitte la maison pour voler de ses propres ailes, les parents, la mère surtout, deviennent nostalgiques, parfois même pleurent, ressentent un vide, cherchent l'enfant qui a rempli leur vie depuis sa naissance. Pourtant, je ne le vis pas comme ça.

Isa emménagera dimanche avec Audrey, sa grande amie. Toutes les deux entrent à l'université en août prochain, elles ont donc cherché depuis quelques mois cet appartement dont elles ont rêvé, près du Cégep et de l'UQAT, avec de grandes fenêtres, des espaces communs fonctionnels et chacune leur chambre pour avoir ce petit coin d'intimité auquel elles sont habituées chez leurs parents. Donc, elle s'envole. Oui. J'ai beau y réfléchir, je ne suis pas triste, non, je ne pleure pas non plus, je ne suis pas normale.

Il faut dire que ce n'est pas la première fois qu'elle déploie ses ailes. À dix sept ans, quand Audrey et elle sont parties à la fin de leur secondaire pour vivre une expérience enrichissante en allant dans l'Ouest canadien pour y travailler, apprendre une autre langue, découvrir la culture des Canadiens, elles retardaient ainsi d'une session leur entrée au Cégep. Martine et moi, les deux mamans, on allait les reconduire à l'aéroport... de Montréal. On s'était promis, les deux mamans, qu'on allait en faire comme une sorte de fête, un au revoir joyeux. Nous avons ensemble, toutes les quatre, visité, bouquiné, mangé, bu, flâné dans les rues de Montréal pendant deux jours. On se promettait aussi, Martine et moi, qu'on n'allait pas leur faire subir des adieux déchirants et pleurer devant elles quand le moment serait venu de les quitter. On a tenu parole mais on vacillait un peu sur nos jambes avec nos sourires figés...

La deuxième fois qu'elle est partie, c'était en mai 2006. Vivre avec son amoureux dans un petit nid douillet avec deux chats dont on s'occupe comme des enfants, c'était pour elle un rêve devenu réalité. Nous avons continué à la supporter financièrement puisqu'elle continuait ses études. On avait le sentiment qu'elle reviendrait à la maison mais on respectait son rythme, sa décision, sa vie. Elle est revenue en février dernier. Les amours à 20 ans peuvent être si torturées...

Cette fois, dimanche, elle s'envolera en déployant ses ailes de façon réfléchie, sereine et gracieuse. Comme elle dit, avec une amie, on ne divorce pas! Nous continuons de la supporter humainement et financièrement, nous serons dans la même ville, nous pourrons nous voir très souvent et on sait que quand on a grandi près du lac, on y revient toujours, ce sera la même chose pour Audrey, dont les parents, nos amis, habitent à quelques pas de chez nous, sur le même rivage.

Est-ce que nos routes se séparent? Non, je n'en ai pas l'impression. Plutôt, nous marcherons dans des sentiers parallèles et nous nous croiserons à tous les carrefours. Comment pourrais-je me désoler? Nous les aidons à grandir et nous nous réjouissons de la première dent, de chaque geste d'autonomie qui les mène à leurs premiers pas, aux premiers jours d'école, aux spectacles qu'ils montent, aux projets qu'ils mettent de l'avant, aux médailles qu'ils remportent, à toutes leurs découvertes et voyages. Allons-nous pleurer quand ils prennent leur envol, qu'ils posent cet ultime acte d'autonomie?

Les liens les plus solides sont invisibles, tissés d'amour, de tendresse, de respect, d'écoute, de toutes les joies et les peines que nous avons vécues ensemble. Elle pourrait s'en aller à Tombouctou que ce lien-là existerait toujours mais je préfère qu'elle n'aille pas si loin!

Quand même, son père et moi, on se sauve à notre camp en forêt jusqu'à dimanche, jour de son déménagement où nous l'aiderons à transporter ses choses dans son nouveau nid. Malgré tout, j'aurais de la difficulté à rester ici et la voir faire ses boîtes dans l'allégresse! Il faut croire qu'il me reste encore un petit peu de normalité...

6 commentaires:

Anonyme a dit…

je ne suis pas sûre qu'il soit "anormal" de réagir favorablement à l'envol de son enfant. Se réjouir pour elle "qui s'envole gracieuse, sereine et réfléchie" démontre au contraire beaucoup d'amour et d'intêret. S'être impliqué constamment dans l' éducation de son enfant permet de l'accompagner sur la route qui conduit hors du nid. Peut être que l'on est plus larmoyant si on a le sentiment d'avoir manqué des épisodes, de ne pas avoir été présent quand il le fallait.

je suis très touchée par vos commentaires sur mon blog, mais je vous assure que je suis une personne tout à fait ordinaire avec des zones d'ombre, des doutes, des déprimes. je suis juste quelqu'un qui essaie d'avancer sur son chemin à son rythme en prenant soin des siens du mieux possible. amicalement
lili

Anonyme a dit…

Une orignale (?) albanos dans un paysage bleuté... presqu'une image ésotérique.

La normalité est une donnée statistique. C'est plus intéressant de s'en tenir assez loin, lorsqu'elle ne nous correspond pas. Vivre notre vie selon nos valeurs profondes lorsqu'elles s'inscrivet dans le respect, c'est bien parfait pour moi.

Zed ;-)

Anonyme a dit…

Bien d'accord Zed, être normal c'est être dans la norme, à l'image du plus grand nombre. Être hors norme n'est pas un défaut, sauf dans l'esprit de certains. Je me demandais seulement si cette femelle ne deviendrait pas une cible facile pour un chasseur pour qui une fois l'étonnement passé, rêverait de ce trophée.

Pour ce qui est des enfants qui quittent le nid, c'est un signe de santé. Il faut être heureux que nos progénitures souhaitent voler de leurs propres ailes, même si maman et papa ne sont pas loin. C'est le contraire qui me rend perplexe: ceux qui demeurent chez les parents jusqu'à trente ans, parfois plus.

Avoir envie de découvrir le monde est une noble entreprise, ça fait grandir. Bravo!

Accent Grave

Anonyme a dit…

C'est étonant les liens que peuvent avoir deux choses complètement différentes... Qui aurait cru qu'il puisse y avoir le moindre lien entre une orignale albinos et une jeune fille qui quitte la maison de ses parents! Décidément tu m'étonneras toujours. C'est peut-être vrai que tu n'es pas quelqu'un de normale... Et c'est ce que j'adore chez toi! C'est ennuyant la normalité... Vive la différence!

XxXxX Noémie

Zoreilles a dit…

@ Ulyssa : Vous me faites réfléchir, c'est toujours comme ça quand vous écrivez... C'est vrai que je ne regrette rien, comme mère, je n'ai pas été parfaite mais je me suis souvent remise en question et j'étais là. Peut-être pour ça que je vis bien cet envol.

@ Zed : Oui, ça fait ésotérique un peu, c'est vrai.

@ Accent Grave : Je vous rassure au sujet de cette femelle albinos et ses semblables. Voir apparaître cet « ange » devant soi serait déjà un honneur immense. Même le chasseur le plus prédateur n'arriverait pas à tirer sur une telle merveille. D'ailleurs, les autochtones vénèrent ce genre d'animaux qui ont hérité de ce gêne déficient. Il y a aussi des lynx albinos, des renards, etc.

Aucun chasseur ou trappeur ne respecterait celui qui ferait du mal à un animal à la blancheur immaculée.

@ Noémie : Belle chouette! On dirait que t'es dans ma tête. En tout cas, t'es dans mon coeur, ça, c'est sûr! Dans quelques années, ce sera à ton tour de prendre ton envol. Profite bien de tous les beaux moments qui s'offrent en famille, c'est comme ça que tu prépares tes ailes... Ta marraine x x x

Amourable a dit…

Re-bonjour Zoreilles. J'avais pas tout lu la dernière fois. Mais ¸`a tu m'as séduit. J'aimais ton bloque et je l'aime encore plus. Ton amour pour la nature transpire de ton écriture même si ce n'est pas toujours le sujet de tes billets. Tu viens de te gagner un lecteur ma chère.
Au plaisir de te lire.:)