lundi 20 juin 2011

Sauvetage de nuit








Photo 1 : Je ne l'ai pas prise dans la nuit de vendredi à samedi mais plutôt la veille. C'était encore pleine lune la nuit des recherches pour retrouver Martin et Jimmy.





Photo 2 : Dimanche matin, complètement dans un autre contexte, une autre ambiance, un autre décor, j'ai cueilli mes premières jeunes pousses de sapin pour mon sirop « panacée universelle » de l'hiver prochain.





Photo 3 : Ce faisant, en ce jour où l'on célèbre la paternité, je pensais très fort à mon Papa qui me manque beaucoup et à tout ce qu'il m'a appris dans la vie. Comme l'année dernière à pareille date, un papillon est venu se poser juste sous mes yeux. C'est une espèce très spéciale, un papapillon...





Sauvetage de nuit





Les gars, nos deux Gilles, étaient partis ensemble à notre camp de Rapide Deux vendredi midi. Martine et moi, prises par notre travail, devions aller les rejoindre sur le quai à midi pile samedi.





Vendredi soir, 22 h 30 : Martine revient chez elle et est étonnée que leur plus jeune fils, Martin, 16 ans, n'est pas revenu de sa petite virée de pêche d'avant souper, avec son ami Jimmy, 16 ans aussi. Elle constate que rien n'a été dérangé dans la cuisine et comme Martin n'est pas du genre à sauter un repas ni Jimmy non plus... Elle téléphone chez le père de Jimmy pour savoir s'ils n'auraient pas bifurqué de ce côté-là du lac Dufault. Le père de Jimmy lui répond : « Sont pas chez vous? ». L'enquête « terrain » commence... Recueillir le plus d'indices possible, mettre en commun les informations dont ils disposent, (les jeunes sont partis en culottes courtes et en gougounes) appeler les amis qui les ont vus sur le lac, etc.





La petite embarcation à moteur avait-elle suffisamment d'essence? Oui. Le moteur était-il en ordre? Oui. Mais ça reste de la mécanique. Avaient-ils apporté un lunch? Non. Ils avaient vraiment l'intention de revenir manger à la maison.





01:00 : Depuis deux bonnes heures, deux embarcations à moteur (des proches) ont sillonné le lac à la pleine lune pour tenter d'apercevoir un feu, une chaloupe à la dérive, un signal, quelque chose. L'inquiétude monte à mesure que le mercure baisse. On craint pour l'hypothermie mais on fait confiance à leur jugement, leur débrouillardise, leur connaissance du lac. Il vente beaucoup au large là-bas. On n'aime pas ça...





01:30 : La Sûreté du Québec est appelée en renfort. Ils ont leurs procédures, leur protocole en pareil cas.





02:00 : Martine organise et coordonne les recherches de nuit. C'est une maman, le seul protocole qu'elle connaisse, c'est le sien : trouver Martin et Jimmy au plus vite. Deux téléphones sans fil, deux cellulaires, elle entreprend de trouver du monde, en pleine nuit, avec des embarcations à moteur, des riverains qui connaissent bien le lac, les récifs rocheux, ceux à qui ça ne fait pas peur, 103 îles où se réfugier, 35 km de rivage à explorer la nuit, etc. Mon amie Martine, elle opère en Simonac. Ça prend de l'essence aussi, du café pour tenir le monde au chaud.





En très peu de temps, neuf embarcations à moteur sont amarrées au quai chez Gilles et Martine, qui devient le quartier général des opérations, avenue des Îles, au lac Dufault. On sent chez tous les riverains appelés et accourus une solidarité hors du commun, un silence respectueux, une écoute très attentive pour coordonner les trajets, une chaleur humaine qui contraste avec la froidure de la nuit. Ils ont tous pensé à apporter vêtements chauds, lampes de poche, cellulaires, GPS. Des vrais pros... Notre lac, on l'aime autant qu'on le craint.





04:30 : La Sûreté du Québec arrive avec son équipe terrain, une embarcation balisée, 3 agents et un coordonnateur. Il prend en main les recherches à partir de là. Eux ne connaissent pas le lac comme nous. Rapidement, on échange l'information, on situe à l'aide d'une carte qu'ils ont fait imprimer tous les endroits déjà visités et ceux qui seraient susceptibles d'abriter Martin et Jimmy. Il va bientôt faire jour, on va faire une « battue » sur le lac, on procédera dans l'ordre, celui de la SQ, chacun pitonne son GPS pour qu'on parle le même langage et qu'on garde le contact visuel, on échange les numéros de cellulaires.





05:00 : Les voir quitter tous ensemble le quai, 10 embarcations maintenant, avec celle de la SQ, dans un véritable ballet savamment orchestré, c'était impressionnant. Et rassurant. Restée seule avec Martine au quai, nous avions de quoi nous affairer tout en espérant qu'il ne leur soit rien arrivé de fâcheux. Et les policiers avaient aussi une équipe terrain qui travaillait à partir du même quartier général que nous. Le soleil se levait, les petits oiseaux chantaient.





07:30 : Le cellulaire de Martine retentit. C'est l'embarcation de Audrey, Cédric et Robert. Ils viennent de localiser Martin et Jimmy, sains et saufs, faisant des grands signaux avec une sorte de voile blanche, au bout d'une île, à l'autre bout du lac, là où était leur cabane à pêche l'hiver dernier. Martine se jette dans mes bras, tout son stress lâche, elle n'est plus capable de pitonner les numéros de téléphone, ni du coordonnateur SQ, ni des autres chercheurs. Elle me tend tout ça et court dehors, elle a besoin d'air et de fixer le large... comme une femme de matelot!





07:40 à 08:00 : Les embarcations arrivent au quai l'une après l'autre. La troisième qui accoste, c'est celle avec nos deux naufragés. Je peux vous confirmer qu'ils ont été accueillis chaleureusement, Martin et Jimmy, et pas seulement parce qu'on avait des couvertures de laine!





Ils ont agi, les jeunes, comme on l'avait présumé, comme on l'avait espéré. Ils ont grandi ici, au lac Dufault, ils le connaissent comme le fond de leur poche. Le moteur du bateau du père de Jimmy avait connu des ratés. C'est ça, de la mécanique... Malgré des connaissances de base, ils n'ont pas pu le repartir mais ils ont beaucoup essayé. La nuit est tombée. Ils savaient qu'ils ne pourraient jamais se rendre chez eux sans moteur. Ils étaient tout près de l'endroit où Gilles et Martine, les parents de Martin, installent leur cabane à pêche durant l'hiver. Ils s'y sont rendus. ont amarré la chaloupe à l'abri du vent, sont rentrés dans la cabane entreposée discrètement sur l'île, se sont fait un petit feu et ils ont... dormi. Ce sont les seuls d'entre nous qui ont dormi d'ailleurs.





Au matin, avec ce qu'ils avaient sous la main, des sacs à poubelles blancs et des branches d'arbres, ils ont fabriqué comme une sorte de grande voile blanche... pour attirer l'attention. Ils n'ont pas voulu faire de feu dehors, le vent était fort et l'indice d'inflammabilité est très élevé chez nous en ce moment. Des vrais bons petits gars de bois!





L'heure était à la joie et au soulagement. On ne pouvait espérer meilleure finale. Un vrai film de Walt Disney. Mais quelle nuit. On restait là sur la plage chez Gilles et Martine, à discuter, à rire, à se refaire des réchauds de café, à s'expliquer des affaires, à vérifier nos théories, à féliciter les jeunes, à leur demander s'ils avaient eu peur, s'ils avaient eu froid, etc. C'est Martin qui nous a ramenés à la réalité : « Moi, j'aurais comme un p'tit creux là! »





Il est grand, notre lac Dufault, quand on cherche deux jeunes pas revenus de la pêche une nuit de pleine lune où il fait froid.





Martine n'est pas venue avec moi au rendez-vous avec nos Gilles à Rapide Deux, samedi midi. Elle avait deux ou trois affaires urgentes à régler, dont serrer son fiston dans ses bras, fermer le dossier de recherche avec les policiers et récupérer un peu de sommeil. C'est plutôt son Gilles qui est revenu en ville avec ma voiture quand je lui ai raconté ce qu'avait été notre nuit. J'ai commencé par lui dire : « Écoute, Gilles, si Martine n'est pas avec moi, t'inquiète pas, il n'y a personne personne personne qui a la moindre petite grafigne chez vous, tout va bien. Maintenant, je vais te raconter notre nuit, l'aventure ne pouvait pas mieux se terminer, tu vas voir... ». J'aime ça, annoncer des bonnes nouvelles, moi!





Entre parenthèses, euh... je n'ai pas veillé tard samedi soir, moi... J'étais pas tannante, comme on dit.





Mon papapillon





À mon lever dimanche matin, reposée, (on dort tellement bien au campe) alors que Crocodile Dundee voulait réparer le quai, je me disais que c'était un matin parfait, celui de la Fête des Pères, pour aller cueillir des petites pousses de sapin (les bouts vert pâle) l'ingrédient essentiel pour fabriquer ma potion secrète, mon remède miracle, mon sirop de sapin. J'en ai cueilli pas mal mais il faudra que j'y retourne encore. Ça sent tellement bon. Mes mains en ont été imprégnées tout l'avant-midi, ça me tentait même pas de les laver avant de faire à dîner...





Pendant que je me saoulais les narines, les yeux et les zoreilles de tout le calme de la forêt boréale, j'avais beau penser à Papa, à tout ce qu'il a été et qu'il est encore pour moi. C'est là que ce coloré « papapillon » s'est posé tout près de moi. Avez-vous remarqué toutes ces couleurs au bas de ses ailes? Je n'y ai pas vu le signe de sa présence, non, je ne suis pas ésotérique du tout, mais j'ai souri à la pensée que Papa et moi, on n'avait jamais eu besoin de tellement se parler pour se comprendre. Et ça, c'est au-delà des frontières du temps et de l'espace.









11 commentaires:

Barbe blanche a dit…

Une histoire qui finit bien, moi, j'aime ça, vraiment, j'aime ça.
Ah bien sur il y a beaucoup d'émotions, ça, c'est pour garder l'esprit éveillé, et nous rappeler, que parfois il suffit de tellement peu pour que tout tourne au... bon, cette histoire finit bien, l'ai je dit, j'aime ça de même.

Barbe blanche a dit…

Ah oui, le papillon, c'est beau, un papillon, surtout le jour de la fête des pères, de la bien belle visite qui réchauffe le coeur et donne le pep nécessaire pour cueillir les pousses de sapin.
Des pousses de sapin, j'aime bien en manger quelques une lorsque l'occasion se présents...

Le factotum a dit…

Quelle aventure !

Cela te fait monter l'adrénaline au plafond...

Suite à la fin heureuse, j'aime bien te voir imprégnée de cette douceur du sentier en cueillant tes petites pousses…

Quel beau présage, ce papapillon venu te cajoler …

Solange a dit…

Une nuit remplie d'émotions, heureusement qu'elle fini bien, après un pareil stress la vie parait tellement plus belle.Un papillon c'est joli comme image pour une journée spéciale.

Zoreilles a dit…

@ Barbe blanche : Beaucoup d'émotion, tu trouves? Zut, j'avais essayé sérieusement de rapporter les faits, de raconter l'aventure, sans y mettre de l'émotion! Tu manges des pousses de sapin? Moi, je les sniffe! T'aurais dû voir ça, en revenant du campe, je passais mon temps à ouvrir le sac et en prendre des grandes sniffées. De la vraie dope nature! Je les conserve au congélo jusqu'à ce que je fasse mes recettes de sirop. Cette année, j'en ai eu jusqu'au mois de février.

@ Le factotum : L'adrénaline dans le plafond mets-en... Je n'aurais pas été capable de dormir tout de suite après ça. Martine non plus d'ailleurs, elle y est arrivée dans l'après-midi seulement qu'elle m'a dit. Le calme qui a suivi (au campe) a réparé les dommages du sauvetage de nuit!

@ Solange : T'es revenue? C'est vrai, on est déjà le 22 juin! Vous avez fait bon voyage? J'irai te lire, je le saurai de « vive voix »... Ouais, cette dose d'adrénaline, c'était tout un coup de fouet pour secouer ma léthargie des dernières semaines! Heureusement que ça finit bien. Ici, des sauvetages, on connaît ça, nos Gilles sont toujours les premiers appelés. On ne sait pas pourquoi mais c'est comme ça. Mais là, ils étaient absents, les deux... D'habitude, ça se passe le jour, par exemple! Dans nos coeurs de maman, tu pourras le comprendre, il y avait des éventualités qu'on se refusait d'envisager... T'sais?...

Anonyme a dit…

Captivant récit qui heureusement se termine bien. En bonus un magnifique papapillon et un papapillon en pensée, avec son cheval blanc. Superbe.

Zoreilles, je ne voudrais, ne pourrais être dans le corps de cette maman. Un enfer.

Tu montres que l'éducation est tellement importante, essentielle. Ces jeunes furent brillants.

Zed

Zoreilles a dit…

@ Zed : Tu ne pourrais être cette maman? Tu veux dire mon amie Martine? Elle n'aurait pas voulu, elle non plus...

Elle a des nerfs d'acier, Martine. Normalement. Une femme de carrière, qui occupe un poste de direction, 1200 employés sous son aile, elle gère ça d'une main de maître dans un gant de velours. Chemin faisant, avec Gilles, elle a fait trois magnifiques enfants, Martin est le petit dernier. Une inspiration, Martine, pour plein de monde. Comme femme, comme mère, comme gestionnaire. Comment y arrive-t-elle? Elle a des qualités personnelles, des ressources, une tête, un coeur, bien sûr, mais elle a son Gilles qui l'épaule, l'encourage, la soutient, l'admire et qui l'aime surtout. Lui aussi, il mène sa carrière, aussi importante que celle de sa femme. Quand on parle d'équilibre dans la vie à deux, la vie de famille et la société, ils sont un exemple que tout est possible.

T'auras compris qu'ils sont nos meilleurs amis et qu'on les aime beaucoup. On s'est connus à cause de nos filles, de grandes amies également. Nous habitons le même lac Dufault.

Nos enfants ont grandi ici, ils ont intégré cette éducation de base de la nature, l'eau, les courants, les vents, les vagues, la forêt, l'environnement, l'indice d'inflammabilité par exemple, tout ça au fil des années, parce que ça fait partie de la vie. Ça en fait des p'tits débrouillards, des amateurs de plein air, très difficiles à déraciner pour aller travailler « en ville »... En fait, ils y vont beaucoup « en ville », et très souvent, jamais longtemps, on dirait qu'ils ont un boomerang en dedans d'eux autres!

Et quand il arrive un moment d'inquiétude comme celui-là, on fait confiance qu'ils vont réagir avec tout ce qu'ils ont intégré et qui fait partie d'eux. Ça aide disons...

Mijo a dit…

Ouch, quelle aventure, que d'émotions. Heureusement la fin est belle pour tout le monde.

Zoreilles a dit…

@ Mijo : Oui, et comme la fin est belle (à la Walt Disney!...) ça nous a permis de récupérer plus vite, de se remettre rapidement de nos émotions... ♥

Fitzsou, l'ange-aérien a dit…

J'aime te lire Zoreilles. Comme cette nuit a dû être difficile mais avec une si belle fin, comment ne pas lancer un "merci" juste comme ça, juste au cas où...xoxoxo

Zoreilles a dit…

@ Fitzsou : Tu as raison, dire merci la vie, c'est reconnaître ce qu'il y a de beau et de bon autour de nous, faire preuve d'une sagesse, d'un art de vivre qui fait des merveilles et qui goûte bon... ♥