Cette photo a été prise le 20 mai 1978 au sortir de l'église où nous nous sommes mariés dans la plus stricte intimité, entourés de nos deux familles immédiates. J'avais 20 ans, lui, 21, et si cette photo est ma préférée, c'est qu'elle n'est pas conventionnelle et qu'au fond, je la trouve plûtôt représentative de nous, de notre vie.
Je l'ai connu en huitième année, ce qu'on appelle maintenant le secondaire I. J'avais 13 ans, lui, 14, et dans notre école en ruine qu'on appelait « le poulailler », les groupes étaient divisés par ordre alphabétique selon la première lettre du nom de famille. Nous nous sommes retrouvés dans la dernière classe, la 8-6, avec les autres R-S-T-V-W. Voisins de pupitre pendant toute l'année, du matin au soir, il n'y a pas de hasard, juste des rendez-vous! Les professeurs se succédaient en avant de la classe mais les élèves ne changeaient jamais de local, c'était comme ça cette année-là. Notre complicité a été instantanée, c'est comme si on s'était toujours connus, peut-être parce que nous venions d'ailleurs tous les deux. Sa famille arrivait à Rouyn-Noranda en provenance de Ville-Marie, au Témiscamingue et la mienne, de Matagami, région Nord-du-Québec.
Vous m'auriez dit à cette époque que j'épouserais un jour ce gars-là que je ne vous aurais pas cru. Ah, il était sympathique, drôle, gentil, charmant, sensible, généreux, intéressant, allumé, brillant, juste un peu délinquant et très attentionné mais il était dans une sorte de catégorie à part. Dans les travaux d'équipe, la question ne se posait même pas, on travaillait ensemble. Pourtant, on était si différent l'un de l'autre. Les meilleurs amis du monde. D'ailleurs, les profs nous appelaient en jumelant constamment nos noms de famille. Nous avons traversé nos années d'adolescence avec nos amis, nos cours, nos projets, nos sorties, nos amours, nos vies, sans jamais se douter qu'on allait vivre ensemble une histoire d'amour.
Des âmes soeurs qu'ils disent...
On aurait dû s'en douter par exemple parce que chaque fois qu'on était ensemble, il se passait toujours quelque chose d'heureux et d'indéfinissable. Combien de fois avons-nous fait semblant d'être ensemble et amoureux, comme si on avait répété cette pièce de théâtre, pour calmer les ardeurs d'un prétendant trop insistant à mon égard ou alors, toutes ces fins de soirée entre amis où l'on n'arrivait plus à se quitter et qu'on décidait de partager ensemble un riz frit au poulet au seul restaurant qui restait ouvert toute la nuit.
Pendant ce temps-là, j'ai eu des copains genre un peu amoureux et lui, quelques blondes, mais rien de tout cela n'était assez sérieux pour empêcher que lorsqu'on se rencontrait, on retrouvait notre bulle, on retombait dans notre univers à nous, on avait plein de choses à partager, à se raconter. Il lui arrivait parfois de me dire de me méfier de tel gars qui ne me méritait pas... Et moi, j'avais si peur de l'amour et de l'engagement, je tenais beaucoup à ma liberté.
Puis, à mes 18 ans, quand mes amis m'ont fait une grosse fête surprise, il n'est pas venu. Ça ne m'avait pas dérangée du tout, je croyais seulement qu'il devait être trop occupé ou qu'il avait mieux à faire. Pourtant, il avait dit à mes amies qu'il serait là. Quelques mois plus tard, il est parti travailler au loin, à la Terre de Baffin plus exactement, dans le Grand Nord, pour une période de trois mois. Je l'avais vu le dernier soir avant qu'il parte, on avait même dansé ensemble, ce qui n'était pas dans nos habitudes et je lui avais souhaité bon voyage et tout. On avait encore terminé la soirée en partageant un riz frit au poulet au Cordon Bleu jusque tard dans la nuit, évidemment que les autres étaient tous partis mais qu'on ne s'en était pas rendu compte.
L'absence qui laisse un vide
Pendant cet été-là, j'avais pris de la maturité avec mon emploi qui me passionnait, des responsabilités nouvelles, les sorties moins nombreuses et puis surtout, mon intérêt n'était plus le même pour le night life de Rouyn-Noranda. Mes amies m'appelaient, me proposaient plein de choses mais j'avais toujours trop à faire pour les accompagner. Bref, il me semblait que c'était plate en ville! Je rencontrais souvent sa soeur la plus jeune qui me disait que si je voulais lui écrire à la Terre de Baffin, les lettres d'amis étaient bienvenues puisqu'il s'ennuyait beaucoup là-bas. Elle insistait délicatement. Je croyais qu'il devait traverser les mêmes états d'âme que moi, alors, je ne lui avais pas écrit, jugeant qu'il allait recevoir sûrement de nos autres amis des lettres plus réjouissantes que les miennes.J'avais su vaguement au cours du mois d'août qu'il était revenu en ville après son contrat dans le Grand Nord mais je ne l'avais pas revu. Mon cousin se mariait, j'avais hâte d'aller à ce mariage, revoir tant de monde de la famille, des amis. Aux noces, un gars un peu collant ne me lâchait pas d'une semelle mais je n'avais aucune raison de ne pas lui tenir compagnie. Je regardais souvent vers la porte d'entrée, je ne sais plus trop pourquoi, on aurait dit que j'attendais quelqu'un.
7 pieds et 4 et lumineux Je n'avais même pas pensé qu'il aurait pu être à ces noces-là, malgré le fait qu'il était ami lui aussi avec mon cousin. Tout à coup, en regardant une millième fois vers la porte d'entrée, j'ai eu une apparition : C'était lui. Oh la la la que c'était tellement lui qui apparaissait dans la porte d'entrée. C'était comme s'il avait eu sur lui tous les projecteurs. Avait-il tellement changé pendant ces trois mois? Non, pas du tout, il était tout à fait le même. Mais il y a eu ce véritable électrochoc, ce soir-là, qui a tout changé. Nos amis l'attendaient à une grande table où ils lui avaient réservé une place mais il ne semblait pas les voir et il est venu vers moi avec son grand sourire...
Nous avons retrouvé avec bonheur notre complicité habituelle, notre petit subterfuge laissant croire que nous étions ensemble, de vrais amoureux, ce qui a fait déguerpir doucement le gars trop collant, sauf que là, c'était vrai pour le vrai, ce n'était pas un rôle qu'on jouait, on venait de le comprendre. Nous ne nous sommes plus jamais quittés depuis. C'était le 14 août 1976, on se mariait le 20 mai 1978, pour le meilleur et pour le pire. Jusqu'à maintenant, il y a eu pas mal plus de meilleur que de pire.
Comment réinventer les anniversaires? Laissez faire la vie! Dimanche dernier, en principe, on aurait dû célébrer notre 29e anniversaire de mariage. Mille choses sont arrivées pour nous en empêcher, la vie a parfois de curieuses façons de nous amener ailleurs. On n'a jamais rien fait de conventionnel, on en convient et les tête-à-tête dans un restaurant chic, ça ne nous ressemble pas du tout. Après trois jours chacun de notre côté à régler des problèmes qui ne concernaient pas du tout notre vie amoureuse, on s'est retrouvé dimanche soir à casser la croûte ensemble, très tard, complètement épuisés, en se disant que c'était dommage de ne pas avoir célébré cet anniversaire de mariage comme du monde. Alors, j'ignore comment ça s'est produit mais on s'est mis à se reparler de l'époque où l'on n'était que des amis, les meilleurs amis du monde. C'est curieux qu'on n'avait jamais pris la peine de se raconter nos perceptions de l'époque de notre amitié. On a appris une foule de choses dans la légèreté et dans l'humour, et c'était, je crois, une façon merveilleuse de célébrer cet anniversaire. Je regrette quasiment de ne pas nous avoir cuisiné un riz frit au poulet, ça aurait été, il me semble, assez de circonstance!
14 commentaires:
Trooooop mignon. ;-)
Je crois en ce genre d'amour où chacun est le meilleur ami de l'autre et tout à coup, le petit laboratoire chimique fait explosion. C'est pas mal plus béton qu'un départ hormonal qui fait réaliser, peu de temps après, qu'on a rien à se dire et rien à faire ou à partager ensemble.
Bravo et bon anniversaire à vous deux.
:D (Quel cinéma, tout de même!)
En lisant ce chapitre de ta vie, ce matin, j'ai eu une boule dans la gorge. Ça me touche. C'est plein d'humanité et ça me réconcilie avec la vie. Tu es privilégiée d'avoir vécu de si beaux moments authentiques.
Tu allais à l'école au "poulailler" ? Est-ce l'immeuble qui est aujourd'hui presque'au coin d'Iberville et de l'Université ? Parce que j'ai habité là quand j'allais au cégep. Ils appellaient ça le poulailler et on m'avait dit que c'était une ancienne école...
@ Zed : Du cinéma, tu trouves? Ça doit être pour ça qu'il avait tous les projecteurs braqués sur lui dans le cadre de porte, le soir du 14 août 1976!
@ Henri : Ça doit te faire drôle en effet, toi qui nous connais tous les deux.
Pour le poulailler, j'ai l'impression qu'il devait y en avoir plusieurs parce que « le nôtre » était jumelé à l'école St.Ann's, à Noranda, c'est devenu l'école La Source, tout près de ton travail.
Oui, j'ai de la chance, j'en suis consciente mais pendant ces années-là, je ne voyais rien du tout. Il a été très patient parce que lui, il avait tout compris avant moi!
Moi ça me ramène tellement " chez nous ". Quand je te lis tout me manque. Le cegep de Rouyn, la résidence...Fiou...
Mais tes histoires sont toujours belles et pleines de bonheur alors même si je suis mélancolique, je reviens toujours!
Héhéhé...
C'est vrai que c'est beau ces histoires là. C'est beau parce que c'est authentique.
Moi je ne connais pas Crocodile Dundee, mais je sais que Zoreilles l'aime profondément. Quand elle parle de son héros, elle s'enflamme.
Comme je suis en retard, je vous souhaite un 29ième qui durera toute l'année.
N'oublie pas de faire le message à ton prince charmant. Je regrette de ne pas l'avoir rencontré la dernière fois.
Je me demande si je devrais vous féliciter pour cet anniversaire. Vous n’avez aucun mérite, vous durez parce qu’il ne peut en être autrement. Mais je vous félicite quand même, aussi pour avoir partagé cette aventure avec nous.
J’aime énormément vous lire, tant d’images me viennent à l’esprit, un bout de vie aussi, très court mais tout simplement déterminant. Il y a des histoires simples et il y en a des compliquées, des secrètes, des incroyables et certaines qui ne se transmettront jamais, des histoires perdues...
Accent Grave
@ bibco : Reviens ma chère, chez nous c'est chez vous et je te promets que tu n'en ressortiras pas toujours nostalgique!
@ Guy : T'avais bien saisi, Guy, sauf une chose : Crocodile Dundee n'est pas mon héros. J'ai beaucoup d'admiration pour l'homme, c'est indéniable, mais la notion de « héros » j'sais pas, j'suis pas à l'aise avec ça...
@ Accent Grave : Tant mieux si vous avez apprécié cette histoire d'amitié comme base à l'amour. Si vous saviez comme j'ai hésité à la raconter. Et puis, j'ai cessé de me poser des questions, j'ai écouté mon coeur en l'écrivant, me rappelant que c'est en partant du particulier qu'on rejoint l'universel.
N'hésitez pas avant d'écrire. Nous saurons vous lire avec l'intelligence et le respect qui vous sont dus.
De plus, vous conserverez vos textes. C'est la trace que vous laisserez à ceux qui voudraient savoir qui étaient leurs précurseurs.
Accent Grave
Comme c'est gentil...
Curieux hasard (décidément, c'est dans l'air) je me demandais justement comment imprimer (conserver) les photos et textes de mon carnet. C'est que, voyez-vous, mes proches ne me lisent pas, sauf une exception, mon plus p'tit frère! Comme quoi, nul n'est prophète...
J'ai cherché un peu, sans grande conviction il faut dire, si nos billets pourraient se lire en version papier. Je ne dois pas être la première à me poser la question, sûrement.
Guy, sauf une chose : Crocodile Dundee n'est pas mon héros.
Bon, ok, j'eul dirai pu...
Et prince charmant, t'aimes-ça ?
;-)
C'est que, voyez-vous, mes proches ne me lisent pas, sauf une exception, mon plus p'tit frère!
Veux-tu dire ton plus jeune frère ?
Je trouverais ça logique, et génial, si c'était le cas...
Oui je suis le plus jeune frère. Je lis ce blogue parce que c'est comme si ma grande soeur me racontais des histoires pour me border....elle écrit si bien,(je sais que je ne suis pas objectif) J'arrive pas souvent à lui dire,alors je vais lui écrire.
Petit frère
@ Guy : Je voulais pas faire ma compliquée... Prince charmant? Ben oui, ça me va. Tout me convient, en fait, sauf le héros!
@ Petit frère : C'est pas grave si t'es pas objectif, on a bien le droit quand on se raconte nos histoires... Au fond, tu as raison, on sera toujours des enfants même si on a grandi. Te rends-tu compte comme on a de la chance? Que tu me lises est un cadeau, tu ne peux imaginer comme ça me fait plaisir.
je vous découvre via le blog de marc c'est tendre et léger je vais vous découvrir petit à petit . vous savez écouter, je vais vous écouter à mon tour....
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