mercredi 15 août 2007

Laisser couler le Nord


Cette photo, je n'en suis pas l'auteure, elle a été prise soit par Alain ou François, ou encore par Daniel ou Sylvain, lors de leur expédition de canot sur la rivière Rupert, que dis-je, le fleuve Rupert, qui se jette dans la baie James. Crocodile Dundee chérit cette photo comme un souvenir précieux, il dit tout le temps que « ça se raconte pas vraiment » mais il peut en parler pendant des heures! On le voit en plein effort, à l'avant, avec son ami et partenaire de canot, Paul. Cet été-là, ils étaient partis 6 gars, 3 canots, et comme à chaque fois qu'ils ont « descendu » une des rivières du Nord, l'Harricana, la Pontax, la Broadback et la Rupert, ils en sont revenus grandis, transformés par tout ce qu'ils y ont vécu et qui « se raconte pas vraiment ».

Et pourquoi je vous en parle aujourd'hui? Parce que nos amis sont actuellement en expédition de canot sur la Rupert. Cette fois, ils y sont avec les filles, Paul a pour partenaire sa Céline, mon amie, et Sylvain est dans le même canot que sa conjointe aussi. Crocodile Dundee a été très torturé ce printemps quand l'invitation est venue de refaire la Rupert, une dernière fois... et qu'il ne pouvait se libérer à cause de son travail. Torturé, il l'est encore ces temps-ci, d'ailleurs, ce matin, il regardait cette photo, il me disait où l'expédition doit être présentement.

Vous savez sûrement que la rivière Rupert est au centre des projets d'Hydro-Québec qui viendront transformer à jamais le cours de nos plus belles rivières pour produire des mégawatts qui seront vendus à l'étranger. Vous pouvez lire sous le lien « Révérence Rupert », dans la marge de droite, l'histoire et les faits qui entourent le projet et la réalisation prochaine de ces méga centrales hydroélectriques. Depuis le début de l'année, la décision est irrévocable, ça va se faire, qu'on le veuille ou non. Les Québécois n'en ont pas beaucoup entendu parler ou alors, ils ne s'y sont pas intéressés suffisamment, peut-être aussi que l'idée a été vendue par des experts en manipulation de l'opinion publique, et sûrement que toutes ces raisons ont été conjuguées pour en arriver à cette décision qui semble laisser de glace la plupart des gens. Déjà, les travaux sont débutés sur la Rupert et des expéditions se sont organisées spontanément, de partout, pour la dernière fois, pour ceux qui sont amoureux de la Rupert et qui vont lui dire adieu.

Pour ma part, je n'en dirai pas plus long mais je n'en pense pas moins. Crocodile Dundee et moi, sommes membres de Révérence Rupert, même si nous n'avons pas pu militer autant que nous l'aurions voulu... Nous avons perdu cette bataille, même si 81 % des gens qui habitent ce territoire de la région Nord-du-Québec (des Autochtones de la nation Crie, surtout) avaient voté contre. Nous ne sommes pas contre la production de cette énergie propre et renouvelable, loin de là, mais il y avait d'autres façons d'arriver aux mêmes résultats, pour beaucoup moins cher, en privilégiant par exemple la réalisation du projet NBR (Nottaway-Broadback-Rupert) qui prévoyait plusieurs petites centrales hydroélectriques qui n'auraient pas dénaturé ces rivières complètement. Pourquoi ils n'ont pas privilégié ce projet plutôt? Parce que ça aurait pris plus de temps et que le temps, c'est de l'argent! À mon avis, dans cette affaire, on est très loin du développement durable...

Lors d'expéditions de canot sur ces rivières en eaux vives, on développe un respect immense pour l'eau, la rivière, la forêt, et ceux qui en vivent, selon des coutumes ancestrales et probablement un peu révolues. On ne mate pas la nature mais elle nous laisse passer si on la connaît bien. Les rapides sont classés de R-1 à R-5 sur les cartes, selon leur puissance et il appartient à chacun de décider s'il peut « le descendre » en canot ou alors, faire un portage ou de la cordelle, selon la manière qu'il se présente. Les décisions sont prises de manière solidaire, ce n'est pas le moment d'être téméraire et de se blesser, les communications sont inexistantes entre l'expédition et le reste du monde. On n'y apporte que l'essentiel, ce qui a fait dire un jour à Crocodile Dundee une phrase célèbre que les gars répètent depuis ce temps-là et qu'ils considèrent comme hautement philosophique : « À force de manquer de toutttttt, on manque de rien! »

Mon opinion est la suivante et vous n'êtes pas obligés d'être d'accord : Qu'on dénature ainsi la rivière Rupert, c'est grave, on porte atteinte au patrimoine québécois et, pire encore, à la nature, à notre mère, la Terre. J'en ai toujours été convaincue.

Au retour de l'une de ces expéditions, alors que j'attendais Crocodile Dundee à l'aéroport de Val-d'Or, l'avion d'Air Creebec en provenance de Waskaganish avait 5 heures de retard. J'avoue que ça m'inquiétait un peu et pour tromper l'angoisse, j'ai écrit cette chanson à l'endos d'un napperon de papier :

HO HÉ HO

Refrain :

Ho Hé Ho, mon canot
Amène-moi dans l'effort
Vers les eaux
Vives du Nord

Une rivière solitaire
Aussi vive que l'éclair
Toujours indomptée
Souvent passionnée
Comme un vent de liberté
Nottaway, Broadback, Rupert
Faudrait jamais de barrières
Qui viennent entraver
Toutes ces beautés
Des hommes me l'ont raconté

Refrain

Une rivière solidaire
De son ciel et de sa Terre
Sauvage escapade
Et douce bravade
Contre-courants et marées
Une rivière sans manières
Qui rassemble comme des frères
Au coeur de l'immense
La vie prend son sens
Pour ces hommes de liberté

Refrain

Quand vous entendrez dans les médias que l'on vend notre hydroélectricité aux Américains à fort prix, que tout va bien, que cette énergie propre et renouvelable nous enrichit comme Québécois, vous saurez aussi qu'on ne vous présente qu'un seul côté des choses.

13 commentaires:

Anonyme a dit…

Malheureusement, pour la grande majorité des Québécois, la rivière Rupert ne représente rien, sinon un cours d'eau perdu quelque part dans le nord... et lorsque l'on sait que pour bien des Montréalais, le "Nord" commence à la "Porte du Nord", sur la 15...

Anonyme a dit…

Allo Zoreilles,

Je viens de lire ton texte. Tout ça me fait mal depuis que je sais que l’on va harnacher la Rupert et de voir détruise ainsi notre patrimoine au nom de l’argent. Je me sens impuissant comme tous les autres je pense. Notre gouvernement prend des décisions même si on leur fait savoir notre désaccord. Ces gens non aucunes sagesse, aucune connaissance de la nature. Aujourd’hui l’homme dénature tout et n’a plus aucun respect pour notre terre mère, comme tu dis, n’y pour la vie autre que la sienne. Cela vient probablement du fait que l’on ne vit plus en symbiose avec la terre. Ont y participe pas, en la respirant, la touchant, la sentant. Ont vit fermé dans nos villes et notre maison comme des ermites et l’on pense que tout peut être contrôler et qu’il n’y aura pas de conséquences.

Ces rivières je les connais bien.
J‘ai vécu là en 1971 et 1972. Notre camp était près de la rivière Pontax.

J’ai pêché dans ces eaux. J’ai survolé ces endroits magnifiques au-dessus de ces rapides sur la Rupert et la Broadback. J’étais émerveillé de toute cette beauté de cette force. Je comprends très bien ton chum et ces amis qui vont y faire du canot. Ont y palpe la liberté totale et le sentiment de participer à la nature et d’en être une partie vivante et vibrante. L’action à l’état pur. Comment peut-on, après ça, rester indifférent à la destruction ! La vie est cruelle parfois.

En passant ton refrain est très beau très inspiré.

En direct des îles a dit…

Encore une fois, le dieu Dollar a parlé.
Triste à pleurer...

voyageuse du monde a dit…

Encore un très beau texte, d'autant plus que j'imagine très bien la torture de Crocodine Dundee...il doit être avec ses chums en pensée, c'est certain.
c'est vrai, en tout cas pour moi, qu'on a pas beaucoup entendu parler de ces installations. Mais je dois avouer que je ne lis pas les journaux et que j'écoute rarement les nouvelles (trop déprimant).
c'est sûr que l'Hydro, c'est une grosse machine pour qui rien ne compte sauf les signes de piastre qui entrent.
A force de ne pas respecter la nature, elle nous le fera payer très cher, d'ailleurs elle a déjà commencé, quand on regarde les nombreux changements climatiques dans le monde.
et parfois, souvent même, je déplore de ne pas faire assez ma part pour un monde plus écologique, je crois à tout ce qu'on pourrait sauver si on s'y mettait tous mais la vie va tellement vite, on oublie rapidement nos bonnes résolutions. Mais j'avoue qu'à mon retour de voyage, après avoir vu de si belles choses mais qui risque de disparaître justement à cause de notre insouciance, je me sens plus concernée.
Merci à des personnes comme toi de nous remettre sur la track... on en a besoin.

Zoreilles a dit…

@ Henri : Que le Nord commence à La Porte du Nord à St-Jérôme, (cette affiche me fait toujours sourire aussi) c'est pas si pire mais s'il s'arrête à Mont-Tremblant ou à Labelle, et qu'après, c'est le néant (médiatique) c'est là que je crie : « Heille, you hou??? On existe ici! »

@ Macamic : Tu as vu aussi la Pontax, la Broadback, la Rupert et les autres? Tu les as survolées même? Je suis certaine que ces images t'ont marqué pour toujours. Je ne les ai pas faites en canot mais je les ai vues, ces rivières, tu as raison, on ne peut rester insensible à ça après.

@ en direct des îles : Bonjour, bienvenue chez moi. C'est triste, t'as raison, mais si tout le monde s'en fout, ce sera plus triste encore, alors, il faut sensibiliser les gens, en parler, raconter l'autre version des faits. Sans être alarmiste, on devrait s'intéresser davantage aux décisions prises en haut lieu, à notre environnement, au développement de nos ressources et ça s'applique partout dans notre monde.

@ Voyageuse du monde : C'est pour ça qu'on dit que les voyages « forment la jeunesse », ils élargissent nos horizons. Ça peut même nous concientiser davantage au point de vue environnemental, c'est ce que je comprends en te lisant.

Anonyme a dit…

À force de manquer de toutttttt, on manque de rien!.....ça c'est vrai et l'inverse est tout aussi vrai.
À force de manquer de rien, on manque de touttte (on manque peut-être le principal).
As-tu remarqué que plus tu vas dans le nord et moins ça dérange de monde.
1).Bloque un pont dans le sud et t'auras tout les journalistes.
Ferme le pont de Matagami pis pas un mot au provincial....2).étant donné que 97% de lÉnergie hydro-électrique est produite en région...on devrait écouter certains gens et fermer les régions!
merveilles et fils

Zoreilles a dit…

@ merveilles et fils : En plein dans le mille! Voilà, on vient de boucler la boucle, je me souviens que la fameuse question : « Doit-on fermer les régions? » a été le moteur, que dis-je, la bougie d'allumage, qui nous a fait exploser sur les sites, déployer toutes nos énergies, vous autres sur votre site et moi, sur mon blogue. Je t'avoue que pour ce billet, t'aurais pu être en désaccord avec moi, mais si c'était le cas, t'aurais eu toute la liberté pour le dire... Tu sais ça, hein?

Anonyme a dit…

Je ne suis pas familier avec cette rivière. Cela me chagrine tout de même de savoir qu'elle se transformera. Il y a deux façons de faire les choses: la bonne et la mauvaise. Nous choisissons souvent la première, pour des raisons d'économie à courte terme.

L'économie à long terme va de pair avec la qualité de vie. Notre société est jeune et immature, on n'envisage jamais le long terme.

L'économie doit être au service des hommes, pas le contraire.

Accent Grave

Anonyme a dit…

Notre structure économique, post-capitaliste, a le don de la vue.

En effet, ses dirigeants et associés voient à court, moyen et long termes tout ce qui NOUS entoure comme autant de signes de $$$$$$$$$$.

Aucun tsunami, tremblement de terre, aucune tornade, catsatrophe naturelle ne mettra un terme à cette vision du monde.

Hélas.

Zed

Amourable a dit…

C'est vrai que c'est loin des grands centres.
C'est vrai que cette nature est fréquentée par une toute petite minorité de gens.
C'est vrai que pour nos capitalistes, les autchtones n'existent pas.
Et pour le reste, comme on dit, "loin des yeux, loin du coeur".
La nature, elle, est très patiente et elle prendra bien un jour sa revanche.
Hubert Reeves a raconté cette histoire:
Une autre planète rencontre la terre et lui dit "t'as donc ben l'air malade" et la terre de répondre "J'ai attrapé l'humanité". La planète lui dit alors "Ha! T'en fait pas, ça ne durera pas longtemps"!!!!!

Anonyme a dit…

Salut Zoreilles
Je t'envoie un petit cadeau, quelques photos de la très belle Rupert....avant le harnachement.
La motteux

OMO-ERECTUS a dit…

Je dois dire que mon coeur est torturé dès qu'il m'est donné de lire des histoires comme celle-ci.

Je crois bien être atteint, moi aussi, du sydrome "pas dans ma cour".

Derrière le développement hydro électrique et la mise à jour de ce patrimoine économique, il y a nécessairement des compromis, écologiques et naturels.

Vous avez une de ces façons de nous présenter le problème! Si je vivais dans votre belle région, j'ignore commet je me positionnerais. Je crois bien toutefois que je préfererais la protection de l'état naturel des choses.

Zoreilles a dit…

@ Accent Grave : Comme vous avez raison quand vous écrivez que « notre société est jeune et immature », c'est bien là le coeur du problème...

@ Zed : Oui, hélas!

@ Amourable : Elle est jolie cette histoire d'Hubert Reeves. Vous permettez que je la raconte à mon tour? Déjà, Crocodile Dundee se l'est approprié et la fait circuler allègrement!

@ La Motteux : Merci, mon frère, pour tes magnifiques photos, elles valent tout un discours, t'as vu ce que j'en ai fait? Je te l'ai toujours dit, c'est toi l'écrivain de la famille!

@ Omo-Erectus : Je suis partie d'un point de vue personnel pour expliquer quelque chose qui nous concerne tous et votre commentaire me fait plaisir, il me laisse croire que si on arrive à sensibiliser quelqu'un, une réflexion va s'enclencher, un intérêt va se créer et pourrait mener à une opinion plus juste et réaliste. Ce n'est pas moi qui l'ai dit mais l'information est la clé de la démocratie et, ultimement, de la liberté.