jeudi 10 octobre 2019

JACKY VA SE DÉGOLFER

Savez-vous ce que signifie l'expression « se dégolfer »? Les Îles de la Madeleine, c'est un archipel situé en plein golfe St-Laurent.  Se dégolfer, ça veut dire quitter les Îles, se sortir du golfe, s'arracher de gré ou de force de ce lieu mythique, cet archipel en forme d'hameçon, qu'on ne quitte qu'en bateau ou en avion, pour aller… ailleurs.



JACKY VA SE DÉGOLFER

Mais Jacky, lui, va se dégolfer tout à l'heure, à 14 heures précisément, heure des Îles, une heure plus tard dans les Maritimes donc, et il ne le fera ni en bateau ni en avion. Je vous fais un peu comme qui dirait la chronique d'une mort annoncée : Jacky a demandé et obtenu l'autorisation pour l'aide médicale à mourir. 

Nous avons des liens de parenté, Jacky et moi. Mais je l'ai connu surtout virtuellement parce qu'il avait inventé, alimenté et animé depuis de nombreuses années une plateforme citoyenne madelinienne qui s'appelle Info Madelinot. Aujourd'hui plus de 6000 membres fréquentent assidûment son site pour s'informer, discuter, échanger, prendre des actions, supporter, se concerter, se mobiliser et s'encourager. 

Jacky a toujours su toucher le cœur de sa communauté, des Îles et d'ailleurs, parce que c'était tout un rassembleur. Un pacifique. Un écolo. Un gars de party qui aime le monde, l'humour et la musique. 

Il y a 3 ans, on lui a diagnostiqué un cancer et depuis ce temps qu'il fait tout ce qu'il faut de traitements, de changements, de thérapies, et tout cela avec courage, sérénité et résilience. Sur son site, il répétait souvent que tout devait se faire dans l'ordre et le respect, il rappelait souvent à l'ordre des personnes qui savaient plus affirmer et condamner que discuter et chercher à comprendre ou faire avancer les choses. Tout le monde aimait et respectait Jacky. 

Depuis quelques jours, il est hospitalisé à Cap-aux-Meules et on sait qu'il n'en sortira plus de cette chambre-là. C'est là qu'il recevra l'injection à 14 heures cet après-midi, entouré de ses proches, familles et amis. C'est aussi là que les gens vont le visiter depuis une semaine. Hier soir encore, ils ont apporté les guitares et ils ont chanté ensemble jusqu'à 20 heures 45. Jacky a fait rire tout le monde en fin de semaine, on a dit qu'on n'avait jamais vu plus serein que Jacky devant la fin imminente qu'il avait si ardemment souhaitée. 

Il l'a fait un peu pour lui-même mais aussi pour sa femme, ses deux filles, sa parenté et ses amis. Il a voulu prêcher par l'exemple dans sa communauté pour dire au monde que c'était possible de partir ainsi. Dans la dignité. 

Une autre expression typiquement madelinienne que je trouve originale et tout à fait de circonstances, c'est lorsqu'on dit d'une personne qu'elle est « sur ses puyinques », lorsqu'il n'y a plus rien à faire, médicalement, et que cette personne a « puyinques » (plus rien que) quelques jours ou quelques heures à vivre. Jacky est sur ses puyinques parce qu'il a choisi qu'il en soit ainsi. Je le respecte et je l'admire de vivre cette étape avec tant de force, de calme, de sérénité, d'humour, d'amour, d'amitié, de musique et d'heureusité. 

Auprès de lui aux Îles, ça circule sans relâche depuis la fin de semaine. Je le sais, je suis en communication avec beaucoup d'entre eux qui me donnent des nouvelles. Sur le site Info Madelinot, c'est pareil, les témoignages, vidéos, photos, souvenirs, messages s'additionnent et se multiplient. Jacky a publié hier soir son dernier message, tout simple, très beau et touchant. Il a légué sa plateforme à quelques-uns de ses meilleurs amis qui continueront son œuvre, celle qui lui tient à cœur. 

Des quatre coins du Québec, des Maritimes et des Îles, on a ce lien unique qui nous rattache à l'archipel madelinot et à Jacky aujourd'hui malgré la distance. On a lancé l'appel à toute la communauté là-bas de se rendre, nombreux, habillés en vert, dans le stationnement de l'hôpital à 13 h 30 pour que Jacky puisse voir de la fenêtre de sa chambre cette grande vague d'amour et tout le respect qu'on lui voue en l'accompagnant jusqu'à la fin. Ensuite, il pourra s'étendre sur son lit, recevoir l'injection et partir en paix. 

Pour ma part, je suis déjà en communion de pensée avec eux depuis quelques jours et ce matin, en me réveillant, j'ai pensé que c'était la dernière fois que Jacky voyait le soleil se lever. Oui, mon cœur est aux Îles avec toute la cousinerie et en ce moment, j'allume une chandelle, j'ai le goût de fermer les yeux et de chanter tout bas « J'aime ce petit coin de terre/Perdu là-bas aux grandes eaux/Où j'ai vécu avec ma mère/Mes premiers jours tendres et beaux/Les souvenirs de l'enfance/Viennent charmer mon âge mûr/Comme la vapeur que le vent balance/Embellit parfois ce ciel d'azur... »


19 commentaires:

Jackss a dit…

Zoreilles

L’événement est triste. Mais c’est beau de t’en t’entendre parler.
C’est ainsi que j’aimerais partir: dans la sérénité, par amour pour ceux que j’aime et pour moi-même.

Zoreilles a dit…

@ Jacks : Je viens de voir des images vidéos que la famille publie, avec toute cette foule silencieuse et recueillie, dans le stationnement de l'hôpital de Cap-aux-Meules. À un moment donné, la caméra zoome une fenêtre, c'est un peu flou mais je reconnais des visages, dont celui de Jacky qui salue de la main, le sourire d'une oreille à l'autre.

Ce matin, ils étaient une dizaine avec lui dans sa chambre, c'est Alain à Adèle à mon oncle Azade qui raconte ça. Les infirmières lui ont fait sa toilette, l'ont lavé, rasé, parfumé et il y en a qui ont dit que Jacky allait faire le mort le plus cute à entrer au ciel.

J'aimerais aussi partir dans la sérénité, sans souffrance, avec toute ma lucidité, quand le temps viendra. J'aurais surtout aimé que mes proches auraient pu faire ce choix plutôt que d'avoir souffert indéfiniment et nous autour d'eux à se sentir impuissants et inutiles.

Mon discours n'est pas très jojo aujourd'hui mais c'est promis que je vais me reprendre bientôt avec un billet sur les expressions de langage très colorées qui me rappellent sans cesse mes origines et l'eau salée qui coule dans mes veines.

Jackss a dit…

Ton langage, pas jojo?

Pour moi, c’est correct! Pour savoir ne pas avoir peur de la mort, il faut apprendre à l’apprivoiser, en parler naturellement.
Mon père est décédé à 61 ans d’un cancer du poumon. Il avait refusé tout traitement. La dernière fois que je l’ai vu, il disait n’avoir aucune crainte en ajoutant que sa valise était prête pour le Ciel. Pourtant il est loin d’avoir vécu comme un saint homme. Il parlait beaucoup avec émotion, en faisant de l’humour par moment. Ce jour-là il a perdu connaissance et s’est éteint 2 ou 3 jours plus tard, sans souffrance.

Personnellement, j’ai connu beaucoup plus d’expérience positives face à ceux que j’ai vu partir. Mais personne ne sait comment il réagira quand le moment sera venu. Et la suite, c’est le plus grand mystère de la vie, celui que nous aimerions tous connaître mais dont on n’ose à peine parler.

Barbe blanche a dit…

Bonne route M Jacky,
as tu vu arrivée ma cousine Charlotte?
Elle, le départ était prévu pour 17h,ce 10 octobre 2019.
Elle nous a quitté toute sereine
entourée de nombreux parents et amis et amies.
Hier soir encore, nous causions sur son profil face book.

Grand-Langue a dit…

Ce billet remue. Il est à la fois beau et triste, ce n'est pas incompatible, c'est particulier.

En prime j'ai droit à de nouveaux mots, deux pour le prix d'un.

Je ne connais rien aux Îles qui sont pour moi un mystère. Je supporte mal la navigation et j'ai toujours l'impression que les nombreux touristes doivent « déranger » les Madelinots », ils doivent perturber la vie que j'imagine tranquille.

Les gens des Îles doivent être particuliers. Comment ne pas se croire en prison sur ces îles parfois bien minces! Une prison paradisiaque certes! Mon père, qui ressemblait au tien s'y rendait souvent. Il en parlait comme d'un paradis perdu.

Je suis un peu jaloux de tes souvenirs d'enfance.

Zoreilles a dit…

@ Jacks : Ce n'est pas mon langage dans ce billet que je ne trouvais pas jojo mais plutôt le sujet : la mort. Comme toi, j'ai connu des expériences positives face à ceux que j'ai vu partir. Ce n'était pas leur mort que je trouvais difficile, bien au contraire, elle survenait comme un moment de grâce, une libération, une délivrance au bout de trop longtemps de souffrances inutiles. Pire que la mort, il y a tout ce qui vient avant… quand on accompagne la vieillesse, la perte d'autonomie, la maladie qui tue à petit feu.

Zoreilles a dit…

@ Barbe blanche : À moins qu'il s'agisse d'une crise cardiaque pour ta cousine Charlotte, il semblerait que ce soit l'aide médicale à mourir qu'elle a choisie pour que tout se passe aussi rapidement, aussi précisément, aussi sereinement.

Quant à Jacky, j'ai su par des proches que tout s'était fait en douceur, dans cette chambre à l'hôpital de Cap-aux-Meules, avec une dizaine de personnes autour de lui, plus une trentaine dans le corridor qui menait à sa chambre et plus une centaine de personnes dehors, sous la fenêtre de sa chambre où il est venu les saluer une dernière fois quelques minutes avant l'heure dite, 14 h. Cinq minutes plus tard, tout était fini.

On aime penser que ta cousine Charlotte et mon cousin Jacky sont partis le même jour et presqu'à la même heure. Hier soir, il devait y avoir deux étoiles plus brillantes et plus lumineuses que les autres dans notre ciel d'octobre.

Zoreilles a dit…

@ Grand-Langue : Eh qu'on pourrait s'en parler longtemps de tout ça!

Si vous aimez les nouveaux mots, vous serez ravis de lire mon prochain billet. Je vais vous en dévoiler des savoureux, des délicieux, des authentiques et tellement pratiques.

Mais déjà, pratico-pratique, je peux vous dire que même en ne supportant pas trop la navigation, vous pourriez suivre les traces de votre père un jour et vous rendre aux Îles de la Madeleine en avion. C'est ce que je fais depuis de nombreuses années à tel point que je rêve maintenant de le faire autrement, c'est-à-dire en voiture jusqu'à Souris, Île-du-Prince-Édouard, prendre le traversier qui dure 5 heures jusqu'au port de Cap-aux-Meules. Pour voir du paysage!

Les touristes ne dérangent pas les Madelinots, au contraire, ils sont l'industrie première qui leur apporte tout ce dont ils ont besoin. Ils gagnent leur vie avec le tourisme et d'ailleurs, ils les reçoivent à bras ouverts, c'est leur marque de commerce. Avant, la haute saison touristique était surtout les mois de juillet et août alors que maintenant, c'est plutôt les mois de mai à septembre inclusivement.

Les Madelinots et les Madeliniennes, comme tous les insulaires, ont bien des choses en commun qui savent nous charmer. Ils ne se sent pas en prison en vivant dans leurs îles mais ils sont malheureux lorsqu'ils doivent vivre loin d'elles. De ça aussi, je pourrais vous en parler longtemps!

Je vous souhaite d'y aller un jour, vous auriez l'impression de retrouver un peu de votre père… En tout cas, moi, quand j'y vais, je retrouve le mien, dans son accent chantant, ses expressions, son humour, sa musique, ses dunes de sable, ses filets de pêche, ses buttes et ses caps rouges où les vagues viennent s'échouer, entre vents et marées…

Anonyme a dit…

Ton commentaire est à la fois triste, poignant, plein d'empathie et de tendresse On peut dire que ton cousin Jacky a "dégolfé" comme il le souhaitait dans la paix la sérénité et la confiance, entouré de tant d'amour, ce n'est malheureusement pas le cas pour beaucoup.
Une fois de plus tes mots touchent au plus profond de nous.
Merci.
Geneviève sud de France.

Zoreilles a dit…

@ Geneviève : Il y a maintenant plus de 24 heures que Jacky a quitté ce monde, entouré d'amour, en paix avec lui-même et les autres.

Sur son site, ceux à qui il a légué cette plateforme qui permet les échanges, les discussions et les actions, on s'affaire déjà à créer une fondation qui portera son nom, Jacky Poirier, et qui continuera à rassembler, à servir de levier pour sensibiliser et éduquer la population au sujet de l'environnement maritime. J'aime quand on peut créer du beau et du merveilleux à partir d'un événement difficile ou malheureux.

C'est comme ça qu'on crée des villages, des villes, des régions, des pays, des nations.

Probablement que j'ai réussi à te toucher parce que je l'étais beaucoup moi-même.

Jackss a dit…

Zoreilles,
Quand tu parles de ce monsieur Jackie, ça me rappelle Brise de mer, une habituée de nos forum de discussion de La Place publique de Sympatico.Elle était atteinte d’un cancer incurable et prenait part à nos discussions avec beaucoup d’aplomb. Quand des participants commençaient à s’énerver, elle savait intervenir avec beaucoup de doigté.
Je suis toujours impressionné par le courage et la résilience de personnes atteintes du cancer. J’en vois tous les jours à l’hôpital. On finit par se connaître, créer des liens.

Barbe blanche a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Zoreilles a dit…

@ Jacks : Brise de mer, ça me dit quelque chose en effet. Moi, dans le forum que j'animais, « Toutes les régions du Québec » il y avait aussi une personne, Casa était son pseudo, qui était atteinte d'un cancer. Elle est finalement décédée alors que la Place Publique était encore très fréquentée et nous lui avions rendu hommage, elle était de la région des Laurentides.

Il y a eu et il y a encore tellement de personnes autour de moi qui sont aux prises avec le cancer. C'est devenu le tueur numéro 1, pire encore que l'était le cœur auparavant. Pourtant, il y a de l'espoir encore et toujours, plus que jamais. Et oui, ces personnes font preuve de courage, détermination, résilience, je m'en rends compte moi aussi en les côtoyant.

GeRT a dit…

C'est un magnifique texte maman! Merci!

Zoreilles a dit…

@ GeRT : Isa, c'est toi? Depuis quand tu t'appelles GeRT? Ben… merci, t'es gentille xx

Le factotum a dit…

GeRT est une personne de Rouyn-Noranda.
Bonjour madame et à sa maman.

Zoreilles a dit…

@ Le factotum : Ben oui, d'habitude, GeRT c'est le surnom de mon gendre, un gars de Rouyn-Noranda, tous ses amis l'appellent GeRT, tu savais ça, toi?

Zoreilles a dit…

Ah OK je vois, tu as consulté son profil? Il a déjà tenu un blogue il y a longtemps…

Zoreilles a dit…

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1346456/aide-medicale-a-mourir-jacky-poirier-madelinots-info-madelinot-deuil?fbclid=IwAR2QYtdXzNFDq0gOTiFJfok7AxM6FbolXuby9rBh0EW5V7Z2t07Xr3ih74g