vendredi 27 février 2009

Une question d'éthique




Photo 1 : Avril 2008. Une première brèche sur la rivière. Oh, rien à craindre, ce n'est qu'une simple craque dans la glace, ça reste solide dessous comme alentour, même lorsqu'on y regarde de très près.

Photo 2 : Même endroit, quelques semaines plus tard, mais vu plus globalement, avec un peu de recul. Là où se trouvait une brèche, l'eau vive a créé des remous et a suivi son cours lorsqu'a débuté le processus irréversible de la fonte des glaces. Le printemps couvait, il fallait juste en être conscient. La nature, c'est plus fort que toutes les idéologies...

Une question d'éthique

Un phénomène touchant les relations humaines dans le monde virtuel s'est produit récemment sur un blogue que je fréquentais. J'en ai été profondément bouleversée.

Je croyais avoir vécu bien des choses dans cet univers, cette forme de communication qui m'enchante habituellement...

On m'a demandé un jour de prononcer une conférence sur le sujet devant des étudiants en informatique et multimédia. « Les relations humaines dans le monde virtuel ». Quelques semaines plus tard, parce que des questions avaient à peine été abordées et que les étudiants en redemandaient, on m'a demandé de traiter plus spécifiquement de la question de « l'éthique dans le monde virtuel ». J'avais alors demandé l'aide, la collaboration et l'expertise de mon ami Jacks, celui-là même que vous pouvez lire aujourd'hui dans son blogue, Détour improvisé.

Pour nous tous, fin des années 90, à l'époque des forums de discussion de la Place publique de Sympatico, l'ancêtre des blogues d'aujourd'hui, Jacks était un mentor. Un ami, bien sûr, mais un collègue animateur que nous admirions pour son jugement éclairé et très humain, son respect des autres, ses valeurs, ses qualités personnelles. C'est donc à lui que j'avais fait appel pour livrer l'essentiel du contenu de cette conférence. Les étudiants avaient adoré l'entendre et moi aussi, puisque j'étais à l'écoute, pour capter le plus possible de ce qu'il avait à nous dire au sujet de l'éthique dans ce monde où toutes les libertés pouvaient être prises alors qu'on ne réalisait pas encore tout à fait que ces espaces publics de prise de parole devaient comporter aussi leur lot d'obligations morales.

Un privilège, un droit, devrait toujours être assorti d'obligations. Nous avions le mandat, Jacks et moi, de livrer le fruit de nos expériences à ces étudiants de niveau collégial. Ce fut un beau moment pour tout le monde. J'ai donc beaucoup pensé à mon vieil ami Jacks depuis une dizaine de jours... et pourtant, je ne l'ai pas alerté ni informé de ce qui se passait ailleurs et qui me questionnait autant.

À cette époque, l'expérience la plus traumatisante que j'avais vécue virtuellement, était d'avoir fait l'objet d'un vol d'identité virtuelle. Ça me vire encore à l'envers d'y repenser. Quelle saga! Un jour, je vous raconterai comment une femme s'était appropriée mon pseudo, Zoreilles, pour semer la zizanie un peu partout, faire des ravages dans le coeur de beaucoup d'internautes qui m'avaient connue, fait confiance et ne me reconnaissaient plus du tout. Je comprends, ce n'était pas moi! Jusque là, j'avais cru que les hackers agissaient seulement pour des motifs de profit ou un mandat de sabotage d'une firme concurrente...

Mais revenons à ce qui s'est passé dernièrement et qui est venu ébranler les bases de tout ce que je croyais au chapitre des communications dans notre merveilleux monde des blogues.

Les faits

J'essaie de vous expliquer la situation en ne nommant aucun individu. Je sais, ça pourra vous sembler flou... Quelques personnes seulement en ont été témoins et c'est très consciemment que je ne veux d'aucune manière que vous puissiez y référer. Pas de date, pas de lieu, pas de nom. D'accord?

Un billet inoffensif au sujet de la performance d'un joueur de hockey est publié quelque part sur un blogue en avril 2008. Des commentaires suivent. Dans l'un d'eux, une attaque est portée de manière agressive au sujet d'une expression de langage utilisée dans le billet d'origine. Une réaction bouillante de l'accusé suit immédiatement. Des paroles dépassent des pensées. Ce sont des choses qui arrivent... Je tente une intervention, gauche peut-être, je l'admets, de vouloir que ces gens-là se parlent, s'expliquent. Une déformation professionnelle dans mon cas. Peine perdue. Un silence lourd vient clore cette discussion avortée. Une brèche. Rien de plus.

Dix mois plus tard, on ramène ailleurs ce billet et les discussions avortées qui ont suivi. On le dénonce avec véhémence. C'est sans appel. On le remet à l'affiche, ce billet, on nomme son auteur en toutes lettres, le voilà à l'ordre du jour, avec des liens et tout, invitant les lecteurs à suivre ces liens. On condamne sur la place publique (les blogues sont espaces publics de prise de parole, vous vous souvenez?...) un des deux belligérants. On lui fait un procès où il est condamné d'avance, sans avocat et sans représentant. On se fait juge et partie. Dans la tourmente, je suis, avec une autre personne également, accusée d'avoir tenté que ces personnes s'expliquent, qu'elles puissent débattre du sujet qui leur tenait à coeur... Il paraît que j'aurais dû choisir mon clan, je ne l'ai pas fait, ni à l'époque, ni récemment. On me reproche plein d'autres attitudes aussi.

Alors, j'essaie à nouveau de m'expliquer sans accuser personne. On se sert de mon commentaire pour en rajouter. Je ne lâche pas facilement quand il y a injustice, et que je crois de mon devoir de faire quelque chose. Je rédige un deuxième commentaire, essayant d'ouvrir les yeux et les oreilles de la personne concernée sans qu'elle perde la face. Même réaction insensible. Non-écoute, incompréhension, accusations à peine voilées. Je comprends alors qu'il s'agit d'un règlement de compte déguisé en une certaine idéologie à faire triompher. Fin de l'histoire.

Le remède pire que la maladie

Cet événement aura, je l'espère, réussi à faire triompher le postulat qui était à l'origine de cette désolation, quoique j'en doute, puisqu'on n'arrive jamais à entrer le concept du respect en l'enfonçant dans le crâne du monde à coup de masse.

Par contre, les conséquences de cette affaire auront eu d'autres impacts très tristes dans la vie de plusieurs personnes qui ont été jugées, peinées, méprisées, humiliées et bouleversées par cette histoire, comme pour quelques-uns qui en ont été témoins.

Pour ma part, j'ai été littéralement paralysée virtuellement depuis. Voilà pourquoi je suis absente depuis ce temps dans les discussions et commentaires chez mes amis blogueurs. J'ai toujours continué à lire avec le même bonheur les billets et les commentaires qui s'écrivaient partout où j'ai mes habitudes. J'ai très souvent appelé la boîte des commentaires, rédigé des bouts que je virais de bord si tant tellement beaucoup que je finissais par quitter l'endroit, les larmes aux yeux, sans avoir été capable de publier une seule ligne. Il n'y a que chez moi que je me sente encore un peu en sécurité.

Parce que les écrits restent

Et pourtant, je l'avais toujours su...

Tout ce qu'on a écrit jusqu'ici, chez nous comme ailleurs, peut être lu et interprété de mille façons, remis à l'affiche, pointé du doigt, mal compris, psychanalysé et condamné.

Mais ce qui me paralyse, c'est que tout ce qu'on écrit aujourd'hui peut subir le même traitement. Ça détruit l'élan, le naturel, l'enthousiasme, le goût d'échanger ou de chercher à mieux se comprendre.

J'entends, il me semble, mes amis blogueurs me dire que je n'aurais pas dû accorder tant d'importance à cette peccadille, que c'était une histoire sans envergure, que j'aurais dû tourner la page, simplement cesser de fréquenter un endroit où la discussion n'est pas possible, où je risque d'être blessée à nouveau. Ouais, c'est vrai, j'aurais pu. J'aurais probablement dû. Mais je n'aurais pas été fidèle à moi-même en faisant semblant de rien, en balayant sous le tapis ce qui m'avait tant ébranlée. Il ne s'agit pas de faire ici une thérapie cognitive et comportementale mais ce qui s'est passé dans le monde virtuel doit aussi se vivre et s'expliquer dans cet univers qui est le nôtre. Ici, maintenant. Après, j'oublierai, je passerai à autre chose, peut-être que j'abandonnerai, je ne sais pas encore. On pourra m'accuser de plein de choses mais jamais de ne pas me tenir debout pour ce en quoi je crois, d'abandonner des gens que j'aime ou de ne pas être vraie, conséquente avec les propos que j'ai tenus. Je suis désolée. Sincèrement. J'aurais préféré vous parler aujourd'hui d'un sujet plus joyeux et autrement plus constructif.

Après ce temps de silence et d'absence où j'ai tout remis en question, surtout moi-même, je tenterai peut-être bientôt de sortir de ma paralysie virtuelle, de retrouver mon élan. Je serai prudente et insécure au début, il faut donner du temps au temps. Je souhaite sincèrement retrouver ma joie de communiquer avec des mots, le plaisir insouciant et naïf de participer aux blogues de mes amis pour m'informer, réfléchir, découvrir, discuter, apporter mon point de vue, m'enrichir de celui des autres, soulever des questionnements, des réflexions, mettre mon grain de sel, un brin de folie, de fantaisie, de tendresse ou d'humour. Sans aucune prétention.

Réflexion personnelle

Pour changer le monde, ça prend beaucoup, beaucoup, beaucoup d'amour. Autrement, il n'y a que les noms des victimes qui changent...

Ce billet est le plus difficile que j'ai pu écrire de toute ma vie de blogueuse...

176 commentaires: