
La première photo illustre un moment heureux au lac Clérion où notre ami Lylas, un fier Algonquin, construisait sa maison de bois où il vit en ermite avec Evelyn. Pour connaître un peu mieux Lylas, je vous invite à lire mon billet du 25 janvier dernier, « Lylas, mon frère autochtone ». On le voit ici à côté de Crocodile Dundee, ensuite, il y a Richard, un ami commun, tout ce qu'il y a de plus blanc et au bout complètement, Inimiki, métis, Algonquin par son père, sa mère, Evelyn, ayant grandi au sein d'une famille bourgeoise à Winnipeg. Ma deuxième photo a été prise il y a plus de 20 ans au Vieux Fort à Ville-Marie, au Témiscamingue, tout près de la Forêt enchantée. Je me souviens de ma révolte au moment où j'ai aperçu cette plaque qui n'est probablement plus là d'ailleurs ou alors, elle a été corrigée pour ajouter un fait important qu'on a trop souvent négligé : Les Autochtones étaient là bien avant nous et nous n'avons pas découvert ces terres mais nous nous les sommes appropriées sans tenir compte de la présence autochtone. Cette fois, je sais que je ne pourrai publier un billet qui sera court. Je m'en excuse à l'avance. À ma défense, je vous dirai qu'il y a deux ou trois choses qui me révoltent dans la vie : L'injustice, le manque d'écoute et le mensonge. Je lutte contre ça à ma manière, avec mes convictions et mes passions pour tout bagage, avec mes mots comme seules armes. Je suis pourrie dans les conflits et la controverse, je ferais 5 milles sur les genoux à reculon pour les éviter, c'est dans ma nature.
À ce propos, je veux vous raconter une légende autochtone qui est devenue ma philosophie de vie. Un jour, un jeune Autochtone voyant que sa vie était tout à l'envers décide d'aller en parler avec un sage du village, un vieil Amérindien qui connaissait les hommes mais qui aimait mieux les arbres. Il lui dit : « Il y a en dedans de moi deux loups qui se battent constamment, je n'en peux plus. Il y a en a un qui est doux, accueillant, qui respecte mes frères et la nature mais il y a l'autre, plein de haine, de révolte et de ressentiment. Dis-moi lequel des deux va continuer à vivre » et le vieil Amérindien lui a répondu après un long moment de réflexion : « Celui que tu vas nourrir ».
Alors, je ne veux entretenir aucune haine, révolte ou ressentiment, je ne crois pas que je puisse changer les choses de cette manière. Il y a longtemps que j'ai tué ce loup en dedans de moi, que j'ai laissé vivre l'autre.
Oui, je sais, les Autochtones n'ont pas bonne presse. D'ailleurs, on ne devrait jamais dire les Autochtones puisque leur situation est tellement différente, qu'on parle des Cris, des Algonquins, des Hurons Wendat, des Innus, des Mohawks, etc. Mais ils ont quelque chose en commun, ils connaissent des problèmes de santé et sociaux incroyables. Je refuse pourtant de les voir comme des victimes, je les respecte trop, je tenterai plutôt de vous raconter ce que quelques-uns d'entre eux m'ont apporté de merveilleux, de vrai et de différent.
Dorothée, métisse, moitié Acadienne, moitié Huron Wendat Je l'ai connue à cause de notre moitié Acadienne mais c'est sa moitié Huron Wendat qui me fascine toujours. Dorothée est écrivaine, mais pour gagner sa vie, elle a été infirmière sur les réserves de Lac Simon et Kitcisakik, auprès des Algonquins. Une Mère Térésa pour eux, elle les aimait profondément et leur était dévouée. Aujourd'hui retraitée, elle vit à Kuujjuaraapik, sur le bord de la baie d'Hudson, là où trois peuples cohabitent à peu près en paix : les Cris, les Inuits et les blancs.
Un jour, dans une des rencontres du Regroupement des écrivains et auteurs de l'Abitibi-Témiscamingue, Dorothée nous a proposé d'animer la rencontre, ce qui ne lui ressemblait pas. Nous avons acquiescé à sa demande avec étonnement et grand plaisir. Elle a sorti de son livre une longue plume blanche, elle a demandé le silence puis nous a expliqué que pour une meilleure écoute et un plus grand respect, seule la personne qui avait la plume en main pouvait parler, sans être interrompue, et qu'il fallait qu'il y ait des silences entre chaque intervention pour permettre à la plume de voyager d'une personne à l'autre. Vous dire tout le non verbal qu'il nous a fallu décoder avec beaucoup de respect pour chacun et chacune... mais je ne pourrais vous décrire l'ambiance merveilleuse qu'il y a eu ce soir-là dans la salle du fond d'un restaurant de Val-d'Or.
Mélissa Pash, métisse, moitié Crie, moitié Québécoise C'est de cette manière que Mélissa Pash se présentait sur la scène du Théâtre du Cuivre, jeudi de la semaine dernière, lors d'un spectacle où elle nous donnait tout ce qu'elle est, tout ce qu'elle a comme trésors. J'avais hâte d'aller voir ce show qui rassemblait sur la même scène trois de nos auteurs compositeurs interpètes de la région : Robert Gagnon, un vieux chum avec qui j'ai déjà fait de la musique et que je présentais toujours fièrement lors des Cafés littéraires, Stéphane Gosselin, que je connaissais à cause de son premier album mais qui m'a littéralement impressionnée quand je l'ai vu sur scène et puis, il y avait elle, Mélissa...
J'ai été ébranlée, littéralement bouleversée, le mot n'est pas trop fort, par Mélissa, si douce, si fragile et si forte. Son chant vient de loin, de milliers d'années d'occupation du territoire, de la nature, de la simplicité, de la vérité de son âme pure. Ses mélodies qui raisonnent dans nos battements de coeur, son petit tambour traditionnel qu'elle cajole presque et sa voix, puissante, qui retentit comme un cri, un appel à l'amitié, à la solidarité entre nos peuples. Et belle, tellement belle... Avec ses mains, quand elle chante, on dirait qu'elle nous dessine des paysages!
Une pacifique, une amoureuse de tout, un soleil du Nord, une aurore boréale. Elle nous tend la main et nous offre tout ce qu'elle possède, sa culture, sa voix, sa musique et son univers. J'avais acheté son album avant le show, c'était le seul que je n'avais pas encore et depuis une semaine, je l'écoute et n'en finis plus de m'émerveiller. Certains de ses titres sont assez évocateurs : The Worst Beautiful Thing, My Salvation, United, Echo of the Land, etc. Dans Nmywaytaan, elle chante « River's in my view, I'll build my own bridge, Call it after me and follow in my trail », ce qui m'a rentré dedans, moi qui dis toujours que j'aime mieux construire des ponts qu'ériger des barrières. Melissa est en nomination aux Canadian Aboriginal Music Awards et je souhaite qu'elle gagne, juste pour qu'elle puisse pendant 45 secondes apparaître sur la scène de Toronto et livrer son message.
Mon ami, mon frère, Lylas, Algonquin Avant que cette photo ne soit prise, comme Lylas vit en forêt, là où il construisait sa maison, il nous fallait prendre rendez-vous pour aller jusque là au moment précis où il avait prévu avoir besoin d'aide. Ce n'est pas évident de s'y rendre, c'est très loin en forêt et pour ne rien arranger, il est de l'autre côté d'un lac qu'il faut traverser, au bout d'une dizaine de kilomètres de route impraticable où l'on ne peut apporter de canot. Disons qu'il est plus facile de le visiter l'hiver, en motoneige. En d'autres saisons, il doit venir nous chercher à l'heure dite et au jour dit. Crocodile Dundee lui avait demandé de préciser une date, une heure et qu'on serait là, sur le rivage, avec tout ce qu'il faut d'outils et de bras.
Alors, Lylas lui a dit : « Mon frère, tu es Autochtone plus que moi, tu vas comprendre... À 10 heures pile, un samedi, quand les feuilles des bouleaux seront de la même grosseur que les oreilles des castors » et Crocodile Dundee a compris tout à fait, Lylas ne pouvait être plus précis que ça et ce matin-là, sur le bord du rivage, il y avait Richard, Crocodile Dundee et moi, Lylas est arrivé dans son vieux bateau tout rafistolé avec son grand sourire, pendant qu'Evelyn nous préparait du thé.
Lylas est un sage, voilà pourquoi il vit en forêt. Il ne manque de rien. Il a tout. Comme tous les Algonquins, il ne reçoit aucune somme d'aucun gouvernement, aucune aide. On l'a dépossédé de tout, même de son enfance, on l'a envoyé dans un pensionnat, on a voulu le dénaturer mais on n'y est pas arrivé. Pourtant, lui, il donne tout ce qu'il a. Encore dernièrement, il est venu chez nous me remettre la clé de sa maison du lac Clérion. Je lui ai dit que je n'avais nul besoin de cette clé, que je n'irais jamais là en son absence. Il y tenait pourtant. Il m'a dit : « Gilles, c'est mon frère, toi, t'es ma soeur, ma maison, c'est votre maison... »
Lors du tournage de leur film,
Le peuple invisible, Richard Desjardins et Robert Monderie ont passé deux jours au lac Clérion, chez Lylas et Evelyn. Lylas a gardé des liens avec Richard, qui est devenu aussi son frère. Lylas lui a chanté quelques chansons dans sa langue d'origine, le soir, sur sa galerie, après que les caméras aient été bien rangées. Lylas n'en a rien à foutre que Desjardins soit Desjardins, il voulait partager sa musique avec lui, ce à quoi Richard a répondu en lui chantant des siennes. De beaux instants qu'on ne verra pas lors de la projection du film sur nos écrans mais qui construisent des ponts. En douce.
Le peuple invisible, film documentaire de Desjardins/Monderie, sera la primeur de cette année à la soirée d'ouverture du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue. Ce film dira la vérité et dénoncera la situation vécue par les Algonquins, cette nation de chez nous, celle qu'on dit la plus proche de la nature, celle qui vit des injustices innommables mais celle qui nous tend la main. Bien sûr que je verrai le film, non pas lors de la soirée d'ouverture où il y aura tout le gratin des médias et les VIP hypocrites de l'establishment social et politique. Desjardins a exigé d'obtenir une foule de billets lors de la première projection, il les a donnés à tous ses amis Algonquins, dont Lylas et Evelyn. Je suis fière de lui, quand bien même ce serait juste pour ça.
À un journaliste qui lui demandait si son film allait avoir autant d'impact que
L'erreur boréale qui a tout changé de notre rapport avec la forêt, voici ce qu'a répondu Desjardins : « Non, pantoute. Dans les forêts, il y a de l'argent, beaucoup d'argent mais un Autochtone, ça vaut rien! », ce qui donne le ton à ce qu'on verra dans ce documentaire attendu depuis de nombreuses années. Il y en a, comme Desjardins, qui peuvent changer le monde, sensibiliser, toucher, dénoncer, faire bouger les choses, à leur manière. Je les admire.
Pour ma part, je ne suis pas capable de faire cohabiter deux loups en moi, j'ai dû choisir le doux et le nourrir du mieux que je peux mais je voudrais que vous preniez conscience que ce qu'on entend, ce qu'on voit, ce que les médias nous présentent des Premières Nations, c'est souvent le plus spectaculaire, le plus négatif, le plus médiatiquement vendeur, le plus hypocrite et réducteur, le plus loin de la réalité. Comme Mélissa Pash, je crois que si on n'est pas à l'aise dans la revendication, alors, il faut aimer, donner, dire qui on est et chanter tout ce qu'on a dans le ventre.
Ce billet, je le porte en moi depuis trop longtemps. J'ignore pourquoi il a été si difficile à écrire, je n'ai pas une seule petite goutte de sang autochtone dans mes veines, j'aurais été fière d'en avoir pourtant. Et au moment d'y mettre le point final, comme si je venais de mettre au monde une « lettre délivrée », j'ai très envie de pleurer...